luni, 25 mai 2020

ANNE APPLEBAUM:

Anne Applebaum, Amurgul Democratiei, Penguin, 2021

Anne Applebaum est née à Washington, DC en 1964. Après avoir obtenu son diplôme de l'Université de Yale, elle a été boursière Marshall à la LSEet au St. Antony's College d'Oxford. Son mari, Radoslaw Sikorski, est un homme politique et écrivain polonais. Ils ont deux enfants, Alexander et Tadeusz.Le 13 décembre 2023, il prend ses fonctions de ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Donald Tusk.
=========================================================

16 feb. 2024

Pourquoi la Russie a tué Navalny

 (https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2024/02/navalny-death-russia-prison/677485/)

 Même derrière les barreaux, le leader dissident constituait une menace pour le dictateur russe corrompu.

Par Anne Applebaum

Alexeï Navalny est rentré en Russie en janvier 2021. Juste avant de monter à bord de l'avion, il a posté sur YouTube un film intitulé « Le palais de Poutine : l'histoire du plus grand pot-de-vin au monde ». La vidéo, d’une durée de près de deux heures, était un exploit extraordinaire en matière de reportage d’investigation. À l'aide de plans secrets, d'images de drones, de visualisations 3D et de témoignages d'ouvriers du bâtiment, la vidéo de Navalny raconte l'histoire d'une hideuse villa de 1,3 milliard de dollars sur la mer Noire contenant tout le luxe qu'un dictateur peut imaginer : un bar à narguilé, une patinoire de hockey, un un héliport, un vignoble, un parc ostréicole, une église. La vidéo décrivait également les coûts exorbitants et la supercherie financière impliquée dans la construction du palais au nom de son véritable propriétaire, Vladimir Poutine.

Mais la puissance du film ne résidait pas seulement dans les images, ni même dans la description de l’argent dépensé. Le pouvoir résidait dans le style, l’humour et le professionnalisme hollywoodien du film, dont une grande partie a été transmise par Navalny lui-même. C’était là son don extraordinaire : il pouvait prendre les faits arides de la kleptocratie – les chiffres et les statistiques qui enlisent généralement même les meilleurs journalistes financiers – et les rendre divertissants. À l’écran, il n’était qu’un Russe ordinaire, tantôt choqué par l’ampleur de la greffe, tantôt se moquant du mauvais goût. Il semblait réel aux yeux des autres Russes ordinaires et il racontait des histoires qui concernaient leur vie. « Vous avez des routes en mauvais état et des soins de santé médiocres, a-t-il dit aux Russes, parce qu'ils ont des patinoires de hockey et des bars à chicha.

Et les Russes ont écouté. Un sondage réalisé en Russie un mois après la diffusion de la vidéo a révélé qu'un Russe sur quatre l'avait vue . Quarante pour cent en avaient entendu parler. Il est raisonnable de supposer qu’au cours des trois années qui se sont écoulées depuis, ces chiffres ont augmenté. À ce jour, cette vidéo a été visionnée 129 millions de fois.

Navalny est désormais présumé mort. Le système pénitentiaire russe a déclaré qu'il s'était effondré après des mois de mauvaise santé. Peut-être a-t-il été assassiné plus directement, mais les détails n'ont pas d'importance: l'État russe l'a tué. Poutine l’a tué – en raison de son succès politique, de sa capacité à faire connaître la vérité aux gens et de son talent à briser le brouillard de la propagande qui aveugle désormais ses compatriotes, et certains des nôtres également.

Il est également mort parce qu’il est revenu d’exil en Russie en 2021, après avoir déjà été empoisonné à deux reprises, sachant qu’il serait arrêté. Ce faisant, il est passé d’un Russe ordinaire à quelque chose d’autre : un modèle de ce à quoi peut ressembler le courage civique, dans un pays qui en a très peu. Non seulement il a dit la vérité, mais il voulait le faire en Russie, là où les Russes pouvaient l’entendre. Voici ce que j’écrivais à l’époque : « Si Navalny montre à ses compatriotes comment être courageux, Poutine veut leur montrer que le courage ne sert à rien. »

Le fait que Poutine craignait toujours Navalny était clair en décembre, lorsque le régime l’a transféré dans une prison lointaine de l’Arctique pour l’empêcher de communiquer avec ses amis et sa famille. Il avait été en contact avec de nombreuses personnes ; J'ai vu certains de ses messages en prison, envoyés secrètement par l'intermédiaire d'avocats, de policiers et de gardiens, tout comme les prisonniers du Goulag envoyaient autrefois des messages dans l'Union soviétique de Staline. Il reste l’esprit de la Fondation Anti-Corruption, une équipe d’exilés russes qui continuent d’enquêter sur la corruption en Russie et de dire la vérité aux Russes, même de l’étranger. (J'ai siégé au conseil consultatif de la fondation.) Plus tôt cette semaine, avant son prétendu effondrement, il a envoyé un message pour la Saint-Valentin à sa femme, Yulia, sur Telegram : « Je sens que tu es là à chaque seconde et je t'aime encore plus. et plus."

La décision de Navalny de retourner en Russie et d'aller en prison a inspiré le respect même parmi ceux qui ne l'aimaient pas, n'étaient pas d'accord avec lui ou lui trouvaient à redire. Il était également un modèle pour d’autres dissidents d’autres autocraties violentes à travers le monde. Quelques minutes seulement après l’annonce de sa mort, j’ai parlé avec Sviatlana Tsikhanouskaya, la chef de l’opposition biélorusse. « Nous sommes également inquiets pour notre peuple », m'a-t-elle dit. Si Poutine peut tuer Navalny en toute impunité, alors les dictateurs d’ailleurs pourraient se sentir habilités à tuer d’autres personnes courageuses.

L’énorme contraste entre le courage civique de Navalny et la corruption du régime de Poutine demeurera. Poutine mène une guerre sanglante, anarchique et inutile, dans laquelle des centaines de milliers de Russes ordinaires ont été tués ou blessés, sans autre raison que de servir sa propre vision égoïste. Il mène une campagne de réélection lâche et microgérée, dans laquelle tous les vrais opposants sont éliminés et le seul candidat qui obtient un temps d’antenne est lui-même. Au lieu de faire face à de véritables questions ou défis, il rencontre des propagandistes apprivoisés tels que Tucker Carlson, à qui il ne propose rien d’autre que des versions longues, circulaires et complètement fausses de l’histoire.

Même derrière les barreaux, Navalny représentait une réelle menace pour Poutine, car il était la preuve vivante que le courage est possible, que la vérité existe, que la Russie pourrait être un pays différent. Pour un dictateur qui survit grâce au mensonge et à la violence, ce genre de défi était intolérable. Poutine sera désormais contraint de lutter contre la mémoire de Navalny, et c’est une bataille qu’il ne gagnera jamais.

Anne Applebaum est rédactrice à The Atlantic .





Anne Applebaum, Amurgul democratiei. Atractia seducatoare a autoritarismului.

Anne Applebaum, née le 25 juillet 1964 à Washington, est une journaliste et écrivaine, lauréate du prix Pulitzer en 2004, qui a écrit sur le communisme et le développement de la société civile dans Europe de l'Est, l'Union soviétique et la Russie. Depuis 2006, elle est éditorialiste et membre de la rédaction du Washington Post. (w.fr.)

Anne Applebaum este sotia fostului si actualului ministru de externe al Poloniei, Radosław Sikorski (din 1992)


Carti de Anne Applebaum traduse in romana:
Cortina de fier - Anne Applebaum - LibrisGulagul: o istorie de Anne Applebaum - DivertaRed Famine: Stalin's War on Ukraine: Stalin's War on Ukraine, 1921 ...

Inca netradusa: Foametea rosie. Razboiul lui Stalin impotriva Ucrainei
Famine rouge La guerre de Staline en Ukraine - broché - Anne ...


Une famine politique ?
par Jean-Jacques Marie2 janvier 2020

Le livre d’Anne Applebaum, La famine rouge, est formé de deux strates fort différentes. D’un côté, le récit détaillé de l’effrayante famine qui a ravagé l’Ukraine en 1932-1933, y a ressuscité le cannibalisme et tué près de 4 millions d’individus, et que le régime de Staline a tenté de camoufler par tous les moyens. D’ultimes momies staliniennes tentent toujours aujourd’hui, sans la moindre pudeur, d’en nier l’existence.
Anne Applebaum, La famine rouge. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Anne de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat. Grasset, 506 p., 26 €
Ce récit, nourri d’une masse de documents hallucinants, plonge le lecteur dans l’univers de l’horreur : files de cadavres le long des rues, enfants affamés, squelettiques, abandonnés, errant çà et là avant de s’éteindre, villages totalement désertés où plane une odeur de mort. Certes, une partie de ces documents était déjà connue en France, publiée par Georges Sokoloff dans son livre remarquable 1933, l’année noire (Albin Michel, 2000), mais les documents, recueillis par deux journalistes ukrainiens, y étaient publiés intégralement, classés par districts, à la suite les uns des autres, précédés d’une introduction historique très solide. Anne Applebaum, elle, a organisé les témoignages qu’elle utilise en une narration cohérente.

De l’autre côté, La famine rouge propose une analyse politique infiniment plus faible que la narration présentée. Anne Applebaum voit dans cette famine d’abord et avant tout une tentative délibérée de Staline, et derrière son ombre de Moscou, d’écraser les aspirations nationales des Ukrainiens : «  Ce fut une famine politique, créée dans le dessein d’affaiblir la résistance paysanne et donc l’identité nationale. De ce point de vue elle réussit ». Et l’autrice précise un peu plus loin :  « Staline ne chercha pas à tuer tous les Ukrainiens […] Il chercha à éliminer physiquement les Ukrainiens les plus actifs et engagés, tant dans les campagnes que dans les villes ».

Mais Staline applique en Ukraine les mesures qu’il met partout en œuvre à divers moments : alors que l’Ukraine perd environ 12 % de sa population, 30 % des habitants du Kazakhstan périssent au cours de la famine qui ravage le pays au même moment. En 1934 et 1935, il déporte au Kazakhstan plusieurs milliers de familles de Polonais et d’Allemands soviétiques vivant près des frontières. En août 1937, Staline fait déporter en Ouzbékistan 170 000 Coréens qui vivaient dans la région de Khabarovsk, non loin de la frontière avec la Corée occupée par les Japonais, dont la domination féroce les avait chassés, eux ou leurs parents. Ces 170 000 Coréens sont qualifiés d’espions potentiels, parfaitement imaginaires. Un cinquième des déportés meurent pendant le transfert, qui dure des semaines.

Anne Applebaum, La famine rouge

D’octobre 1943 à juillet 1944, au fur et à mesure de l’avance de l’Armée rouge qui libère les territoires occupés, Staline confie à Beria la déportation au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Kirghizie, en Sibérie, de peuples entiers accusés de trahison collective : 68 000 Karatchaïs, 80 000 Kalmouks, 496 000 Tchétchènes et Ingouches, 37 000 Balkars, 200 000 Tatars de Crimée, 40 000 Grecs, Bulgares et Arméniens installés en Crimée, 86 000 Turcs-Meskhètes. Un déporté sur cinq en moyenne périra au cours du transfert. En 1945, Staline fait déporter 70 000 Estoniens, Lituaniens et Lettons puis, en 1947 et en 1949, 94 000 Moldaves. Les Ukrainiens figurent donc dans une longue liste de victimes d’un totalitarisme bureaucratique sanglant qui ne peut supporter aucune forme de conscience échappant à son contrôle et à sa loi. Il n’y a pas d’exception ukrainienne.

Pour valider son affirmation selon laquelle Staline poursuivait un but spécifique contre les Ukrainiens, Anne Applebaum efface certains aspects de l’histoire même du pays. Elle souligne à juste titre la liquidation par lui de la politique dite d’ukrainisation  instaurée dès le début des années 1920 et visant à développer l’enseignement, la littérature… en ukrainien. Mais, pour tenter de démontrer que les Ukrainiens sont victimes d’une politique qui les viserait eux seuls, et qui mériterait la qualification de « génocide » à la mode en Ukraine aujourd’hui, Applebaum oublie un autre aspect de cette politique qui vise les juifs, rescapés des pogromes déchaînés par les nationalistes ukrainiens et les Blancs pendant la guerre civile. En même temps que l’ukrainisation, avait été décrétée en Russie et en Ukraine la yiddishisation, marquée par l’ouverture massive d’écoles en yiddish et le développement massif de publications d’ouvrages en yiddish. Staline met fin à cette yiddishisation en même temps qu’à l’ukrainisation et, pour les mêmes raisons, il interdit toute forme de regroupement indépendant – même vague – échappant au contrôle absolu de l’appareil central du PC soviétique. Mais Anne Applebaum n’en dit mot.

Staline et ses sbires dénonçaient comme « agents petliouristes » (du nom du dirigeant nationaliste ukrainien Petlioura) tous ceux, y compris des militants du Parti communiste ukrainien, qui se montraient hostiles, voire simplement réticents, à la brutalité d’une politique visant à spolier les paysans pour les faire céder. Anne Applebaum souligne à juste titre le caractère fantasmatique de cette vision policière et complotiste de l’histoire, ce qui ne l’empêche pas de prétendre que « le langage de Staline plongeait ses racines dans son interprétation marxiste de l’économie », interprétation pourtant totalement étrangère aux visions complotistes. Stigmatisant le « fanatisme idéologique » de Staline, elle conclut que sa politique agricole, menée, soulignons-le, dans toute l’Union soviétique et non dans la seule Ukraine, « s’accordait avec la pensée marxiste […] les millions de morts ne prouvaient pas l’échec de la politique stalinienne. C’était au contraire un signe de succès ». Marx doit se tordre de rire dans sa tombe…

Anne Applebaum, La famine rouge


Jeune fille pendant la famine de Karkhov (1933), photographiée par Alexander Wienerberger

Dans cette voie, Anne Applebaum sombre dans un simplisme grotesque. Ainsi, elle évoque à un moment la terrible loi promulguée par Staline le 7 août 1932, loi dite par les paysans « des cinq épis ». Cette loi d’une extrême brutalité à l’encontre des déshérités proclame que tout « vol » de propriété socialiste ou kolkhozienne, si minime soit-il (un litre de lait, une livre de beurre ou quelques épis glanés dans un champ, d’où le nom que lui donnent les paysans), est puni de la peine capitale ou de dix ans de travaux forcés. D’où vient à Staline l’idée de cette loi terroriste, dont il promulguera une nouvelle version le 4 juin 1947 ?  « La foi obsessionnelle de Staline dans la théorie marxiste triompha une fois encore de ce qu’il aurait appelé la morale bourgeoise ». Quel rapport le marxisme peut-il bien avoir avec la condamnation à mort d’affamés (et même de gens bien nourris !) qui dérobent un kilo de sucre ou une motte de beurre ?

Dans son livre sur le Goulag, qui a reçu le prix Pulitzer en 2014, Anne Applebaum condamnait en une demi-phrase la révolution russe : « la richesse et l’expérience d’une vie étaient un passif tandis que le vol était qualifié sous le couvert de “nationalisation” ». On retrouve une idée similaire dans La famine rouge : « En soi la collectivisation ne devait pas mener à une famine de l’ampleur de celle de 1932-33. Mais les méthodes employées pour collectiviser les paysans [sic : la collectivisation ne vise que la terre et le bétail !] réduisirent à néant la structure éthique des campagnes comme l’ordre économique. Les anciennes valeurs – respect de la propriété, de la dignité, de la vie humaine – disparurent. À la place les bolcheviks instillèrent les rudiments d’une idéologie qui allait être mortelle. »
Qu’est-ce donc que la « structure éthique des campagnes » ? La vieille structure patriarcale, dont le caractère éthique apparaît malaisé à définir. La vénération de la propriété privée et la divinisation de « valeurs » patriarcales évoque davantage la propagande de conservateurs évangéliques américains très soucieux de leurs recettes qu’une étude historique.
======================

Publications

Originales en anglais

  • (en) Between East and West : Across the Borderlands of Europe, Pantheon, , 314 p. 
  • (en) Gulag : A History of the Soviet Camps, Allen Lane, , 624 p. 
  • (en) Gulag Voices : An Anthology, Yale University Press, , 192 p. 
  • (en) Iron Curtain : The Crushing of Eastern Europe 1944-1956, Allen Lane, , 656 p. 
  • (en) Red Famine : Stalin's War on Ukraine, Allen Lane, , 512 p. 
  • (en) Twilight of Democracy : The Seductive Lure of Authoritarianism, Doubleday, , 224 p.

Traductions en français

  • Goulag : une histoire [« Gulag: A History »] (trad. Pierre-Emmanuel Dauzat), Paris, Bernard Grasset,  (1re éd. 2003), 718 p. 
  • Rideau de fer : l’Europe de l'Est écrasée [« Iron Curtain : The Crushing of Eastern Europe 1944-1956 »] (trad. Pierre-Emmanuel Dauzat), Paris, , , 608 p. Bernard Grasset
  • Famine rouge : la guerre de Staline en Ukraine [« Red Famine: Stalin's War on Ukraine »] (trad. Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat), Grasset, , 512 p. (
  • Démocraties en déclin : Réflexions sur la tentation autoritaire [« Twilight of Democracy:The Seductive Lure of Authoritarianism »] (trad. Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat), Grasset, , 240 p.

Niciun comentariu:

Trimiteți un comentariu