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marți, 14 iulie 2020

camus


Long format

Albert Camus, l’éclaireur des temps obscurs

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  • Jean-Claude Raspiengeas

Albert Camus nous apparaît plus actuel que jamais.
Reading a Lost Wartime Letter from Albert Camus in 2020 | The New ...
Isolé de son vivant, attaqué par les radicaux de tous bords, le prix Nobel de littérature mort accidentellement à 46 ans, le 4 janvier 1960, n’a cessé de nous accompagner. Pourtant, tout se passe comme si on le redécouvrait avec la relecture de « La Peste ».
À la fin des années 1950, on courait grand risque à monter dans une Facel Vega qui, tenant mal la route, pouvait échapper au contrôle de son conducteur. La presse avait déjà évoqué les faiblesses de ce modèle puissant, responsable de trop d’accidents malheureux.
Le 4 janvier 1960, Albert Camus, qui devait rallier Paris en train, son billet en poche, décide de remonter de Lourmarin (Vaucluse), après les fêtes de fin d’année, dans la Facel Vega de son vieux complice, Michel Gallimard. Rue de Valois, André Malraux, ministre de la culture, attend son retour pour le nommer à la tête d’un grand théâtre, l’Athénée.
→ ÉDITO. Urgence Camus
À 13 h 54, après le déjeuner, aux abords de Villeblevin (Yonne), sur la Nationale 5, le bolide du neveu de son éditeur s’encastre à vive allure dans l’un des nombreux platanes, sentinelles impitoyables des longues lignes droites. Albert Camus meurt sur le coup ; Michel Gallimard, grièvement blessé, succombe cinq jours plus tard.
Autour de la voiture désarticulée, parmi les bagages éparpillés, quelqu’un ramassera la sacoche dans laquelle Albert Camus avait rangé le manuscrit, encore incomplet, du roman qui devait être son Guerre et Paix, le symbole éclatant de sa renaissance littéraire, après des années d’errements et d’impuissance. Le Premier Homme.

Un fils de pauvre devenu philosophe

Albert Camus, prix Nobel de littérature 1957, fauché à 46 ans… Son cercueil, porté par les habitants du village, sera enterré à Lourmarin, dans une froide lumière d’hiver, sous les arbres dénudés du Luberon. L’émotion est considérable partout, en France comme dans le monde. « La disparition fulgurante d’Albert Camus ne fut pas seulement celle d’un homme mais aussi celle d’un possible qu’il représentait, l’existence du fait moral dans un monde dépouillé de sens »écrit Vincent Duclert, dans Camus, des pays de liberté, un bel essai paru récemment.
Au-dessus de la tombe, une simple stèle de pierre grise : Albert Camus 1913-1960. Le poète René Char dont, sur les photos, la haute stature domine le cortège funéraire, dira : « Avec celui que nous pleurons, nous avons cessé de parler mais ce n’est pas le silence. »
Après bien des hésitations de ses amis et un long travail de différentes versions et notations raboutées par sa fille Catherine, gardienne infatigable de ses écrits et de sa mémoire, Le Premier Homme paraît trente-quatre plus tard. L’histoire d’un orphelin, né pauvre, dont le père est mort à la guerre en 1914, « et personne ne lui avait parlé et il lui avait fallu apprendre seul, grandir seul, en force, en puissance, trouver seul sa morale et sa vérité ». Autant d’accents autobiographiques, en écho à son premier essai publié à 21 ans – L’Envers et l’Endroit –, dont la publication posthume révélera que Camus tenait là son grand œuvre. Une découverte éblouissante et douloureuse, tirée à 760 000 exemplaires.
Sartre, le « saigneur », l’exécutera dans sa revue Les Temps modernes.
Enterré, Camus l’avait déjà été par les fossoyeurs de Saint-Germain-des-Prés, après la publication de L’Homme révolté, en 1952. Son ami depuis des années, Jean-Paul Sartre, avait lâché ses chiens dans Les Temps modernes, sa revue alors fort influente, pour briser avec condescendance ce fils de pauvre qui ne pouvait, à ses yeux d’agrégé, se prétendre philosophe. Supérieur et méprisant, il avait jeté cet argument à la figure de Camus, sans doute déjà suspect devant ces beaux esprits de répéter que les stades de football et les théâtres avaient été ses seules universités.

Assassinat intellectuel

De quoi fut-il accusé ? D’avoir dénoncé les dérives du marxisme, décrit le mécanisme implacable de ce totalitarisme sanglant et répressif, le système soviétique qui avait dénaturé l’élan révolutionnaire. Crime impardonnable aux yeux des thuriféraires de l’URSS. Les grandes manœuvres furent déployées contre cet irrégulier libertaire qui ne rentrait pas dans le rang.
Sartre, le « saigneur », l’exécutera dans sa revue et le rabaissera par des traits cinglants, utilisant ses affidés pour ostraciser cet « humaniste à la morale de Croix-Rouge ». Catherine Camus n’a que 7 ans au moment de « l’assassinat intellectuel » de son père. Elle le voit un matin se tenir la tête entre les mains, le regard triste. « Je suis seul… », lui dit-il, d’un air las.
C’est dans ce climat de règlement de comptes que Camus, rejeté par les apparatchiks marxistes et l’intelligentsia germanopratine retranchée au Café de Flore, reçoit, écrasé par la charge, l’annonce de son prix Nobel à l’automne 1957. Loin de le réjouir, cette consécration mondiale, qui le couronne à 44 ans, l’enfonce un peu plus. Il se sent embaumé de son vivant. Depuis des mois, il n’arrive plus à écrire, marine dans une sourde dépression, songe à en finir. Pourtant, son discours de Stockholm fera date.
On se souviendra longtemps de sa voix traînante de sépulcre, au léger accent couleur de soleil, distribuant des piques à ses ennemis, dépassant les vaines querelles par une formule très camusienne. « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Son retentissement moral n’effacera pas les flétrissures. Dix ans après sa mort, un critique littéraire bien en vue dégainera à son tour un libelle dont on ne retiendra que le titre : Camus, philosophe pour classe terminale. Ultime pelletée de terre…

Un « traître » aux yeux des radicaux

Si Camus, armé de son honnêteté, ne refusait pas la bagarre, il avait horreur des coups bas. Face à lui, une gauche marxiste s’arrogeant le camp dit du progrès l’attaquait par esprit de meute, et la droite conservatrice fustigeait le peu de patriotisme de cet enfant d’Alger. Toute sa courte vie, Albert Camus fut désigné comme un « traître » par les radicaux des deux bords, hostiles à son désir autant qu’à la nécessité, après les massacres et les attentats, de rendre conciliable ce que la guerre rendit inconciliable. La question algérienne sera la pierre de touche des jugements sans appel contre lui et de ses propres tourments.
Conscient du destin sanglant vers lequel basculait sa terre natale, il prôna le dialogue et un compromis.
Et quand, conscient du destin sanglant vers lequel basculait sa terre natale, il prôna en 1956 par un Appel pour une trêve civile une troisième voie vers le dialogue et un compromis, les deux camps, le FLN partisan du terrorisme pour arracher l’indépendance et les ultras de l’Algérie française, violemment arc-boutés sur les acquis de la colonisation, le chasseront de leur terrain d’affrontement. Condamnant cet homme de bonne volonté à un silence qu’il ne rompra qu’au lendemain du discours de Stockholm, lors d’une conférence de presse, poussé dans ses retranchements par un jeune étudiant kabyle l’accusant publiquement de ne pas prendre parti pour le FLN.
Que répond Camus, qui fut le premier journaliste expulsé d’Algérie pour avoir mené campagne en faveur des Arabes ? « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. » On ne voudra retenir que la dernière partie de la phrase pour mieux l’accabler, sans lui reconnaître l’humanité du propos, ni lui concéder la dignité de cette réponse.
Il passera dès lors pour « une belle âme », insensible au drame de son peuple, à l’urgence de se libérer du joug colonial et à l’inéluctable indépendance. Et comme il condamne le terrorisme du FLN, c’est donc qu’il est pour l’Algérie française… Emballez, c’est pesé ! Ce fut bien le procès le plus mal ficelé à son endroit mais aussi celui qui laissera le plus de traces.

Un « humanisme raisonné »

Tous ces assauts, violents, ne pouvaient qu’atteindre ce partisan inlassable d’un « humanisme raisonné », qui avait su prendre les armes face aux nazis. Comment pouvait-on le traîner devant le tribunal de l’opinion, lui, le fils de pauvre, né le 7 novembre 1913, à Mondovi, orphelin de père, élevé par sa mère, sourde, illettrée, femme de ménage et sa grand-mère, femme rigide et intraitable ?
Fidèle à ses origines, il sera et restera la voix des humbles, des invisibles, des humiliés. Sauvé par l’école où deux enseignants, Louis Germain son instituteur à Alger, puis Jean Grenier, son professeur de philosophie au lycée Bugeaud, l’arrachèrent à la fatalité de sa condition sociale en lui ouvrant les portes de la culture, l’accompagnant sur les chemins de sa liberté. Le fameux vers de René Char, l’un de ses amis les plus proches, aurait pu être écrit pour le jeune Albert Camus : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. »
Très vite, ce boursier, qui a connu « la honte » du regard porté sur lui par les autres, puis « la honte d’avoir honte », attire l’attention de ses professeurs qui distinguent l’élève hors du commun. Il dispose de tous les talents, écrit, se fait un nom dans la grande ville, dès ses premiers articles, mûr dans ses idées, charpenté dans ses convictions. Séduisant, solaire et rayonnant mais aussi pudique, modeste, perclus de doutes qui ne le lâcheront jamais.

La fureur de vivre

Il éprouve un vrai bonheur à jouer, très bien, au football où il acquiert au milieu de ses coéquipiers, unis et complémentaires dans l’action, « le peu de morale » qu’il s’attribue et qu’il conservera comme le trésor de ses jeunes années algéroises. Le gardien de but qui court vers un destin de professionnel est terrassé par la tuberculose. Il frôle la mort à 17 ans. Il comprend que la vie ne sera qu’une brève aventure et qu’il ne doit pas passer à côté.
« Il y a ainsi une volonté de vivre sans rien refuser de la vie qui est la vertu que j’honore le plus dans ce monde », écrira-t-il. Comme il se sait en sursis, il ne traîne pas en chemin. Il vivra à fond ses engagements, sa création, ses amours. « Pourquoi faudrait-il aimer rarement pour aimer beaucoup ? » Une jolie formule qui recouvrira la souffrance de quelques cœurs brisés mais témoigne de la sincérité de ses attachements.
Il fait du théâtre sur le modèle du TNP de Jean Vilar, s’épanouit dans l’exercice de la mise en scène, fortifie ses amitiés et multiplie les conquêtes. Il n’a que 24 ans lorsqu’il rédige L’Envers et l’Endroit, vibrant récit autobiographique sur ses origines de pauvreté et de lumière, bréviaire destiné à le préserver des « deux dangers qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction ».

Un grand journaliste

Chroniqueur judiciaire, position qui lui offre de sonder les obscurités de l’âme humaine, critique littéraire, reporter, journaliste de terrain, il signe, à 25 ans, une retentissante enquête sur « La misère en Kabylie » dont chaque phrase est un réquisitoire contre la colonisation. À la même époque, son Manifeste pour un journaliste libre, qui sera censuré, pose les quatre commandements d’un digne exercice de ce métier : la lucidité, le refus, l’ironie, l’obstination.
Il recommande déjà de « ne rien publier qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir ». Des années plus tard, il quittera Combat, que son engagement et ses articles tranchants avaient hissé au plus haut niveau, en invoquant l’incompatibilité entre l’argent et l’indépendance. « Les capitaux ne vont jamais sans servitude. »
C’est à Alger que s’ancre chez ce Méditerranéen son héliotropisme sensuel, son goût charnel des paysages, ses inclinations pour les femmes auxquelles le relient des passions parallèles, de ferventes complicités intellectuelles et le désir de graver par de longues lettres les heures passées qui en prolongent le plaisir et en augmentent l’attente. C’est à Alger que s’affirme chez cet agnostique le sens du tragique, que se forge son éthique de la liberté, que s’élabore sa philosophie de l’absurde.
Comment aurait-il pu en être autrement ? Il entre, évidemment, dans la Résistance, journaliste à Combat le jour, clandestin la nuit, organisateur de l’ombre au péril de sa vie. Et trouve même le temps de finir d’écrire La Peste.
« Ses articles et ses éditos, irrigués par une réflexion déontologique plus que jamais nécessaire, restent très inspirants, note Maria Santos-Sainz, auteure de Camus, journaliste. La cohérence de son propos, résumée par son célèbre Ni victimes, ni bourreaux, et sa recherche obsessionnelle de la vérité dégagent une métaphysique de la dignité. Rendre visible l’inadmissible et la souffrance des humiliés. Soigner le langage, toujours chercher le mot juste, admirablement synthétisé par sa formule si souvent citée et si mal appliquée : “Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.” Combat fut la courroie de transmission de son humanisme réconciliateur. »
Éditorialiste de choc à Combat, il impose un ton, un style et une lucidité qui forcent l’admiration.
Directeur de collection et membre du comité de lecture de Gallimard, éditorialiste de choc à Combat, l’organe de la Résistance qui tirait à 200 000 exemplaires après la Libération, Albert Camus impose un ton, un style et une lucidité qui forcent l’admiration. Au lendemain de Hiroshima, il est le premier à entrevoir le gouffre vers lequel plonge l’humanité. « Ses articles dans Combat sont magnifiques et méritent d’être lus en public au même titre que ses grands textes littéraires, comme Noces », soutient Agnès Spiquel, ancienne présidente de la Société des études camusiennes.

L’éternel garde-fou

Ses écrits obligent les intellectuels du moment à se confronter à cette pensée de la mesure, ferme sur les principes, inflexible sur la recherche de la vérité et la dénonciation des injustices. Début du malentendu mais aussi de la différence de perception entre le vaste peuple de ses lecteurs et le carré de l’intelligentsia, acharné à le réduire en le cataloguant soit comme « fasciste » (mais oui !), soit comme un indécis.
« Sa” pensée de midi”, qualifiée de “morale pour boy-scout”, rappelle Agnès Spiquel, ne correspond en rien à la caricature du juste milieu où on a tant voulu l’enfermer. C’est une morale exigeante, en équilibre fragile, en tension permanente avec des forces opposées. La conciliation, chez Camus, réclame d’écouter les raisons de l’adversaire et de dialoguer pour arriver à la possibilité de négocier. Et la mesure, c’est opposer l’éthique à l’efficacité, consentir à être moins efficace à court terme mais pour bâtir l’avenir sur des fondations solides. » Quand l’heure est aux excommunications, comment recevoir cet apôtre d’une justice équitable ? Camus trouve les mots pour se défendre. Et attaquer. « La démesure ? Une posture toujours, une carrière parfois. »
Marylin Maeso, professeure de philosophie à Orléans, auteure de L’Abécédaire d’Albert Camus, revient sur cette querelle capitale. « Camus a raison. L’excès fait vendre. C’est facile, intense, ne demande pas beaucoup d’efforts et assure une bonne image. L’époque actuelle, qui privilégie le jugement lapidaire à l’analyse, nous en inflige le spectacle tous les jours, sur les écrans et les réseaux sociaux. Camus nous apprend l’importance vitale de la nuance et de la réflexion, le recul, le pas de côté pour se défaire du schématique et du manichéisme, le temps du silence pour dépassionner les débats trop virulents. Il est l’éternel garde-fou contre les tentations extrêmes. »
Le destin de Camus est glorieusement et tragiquement lié à celui des Gallimard. Gaston Gallimard le porta sur les fonts baptismaux de l’édition et Michel Gallimard l’entraîna dans une farandole d’amitié qui les mena tous deux à la mort. Depuis, Gallimard, avec le soutien de sa fille Catherine Camus, maintient haut le flambeau de son héritage par une politique éditoriale exemplaire.
« Rien de ce qui touche à Albert Camus ne laisse indifférent. »
Alban Cerisier
Parution posthume du Premier Homme, deux publications de ses Œuvres complètes dans la Pléiade, de multiples éditions renouvelées en Folio, exhumation de ses Carnets, Conférences et discours, révélation de ses nombreuses Correspondances dont la dernière en date, celle, volumineuse et ardente (865 lettres…) avec l’actrice Maria Casarès, dont les ventes (60 000 exemplaires) se sont envolées.
« Rien de ce qui touche à Albert Camus ne laisse indifférent. Ce succès de librairie impressionnant atteste qu’il demeure une figure très présente dans notre culture », souligne Alban Cerisier, secrétaire général des Éditions Gallimard. Il fut même question, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, de le transférer au Panthéon, projet recalé par ses enfants.

« Une conscience contre le chaos »

Au printemps 2020, l’engouement soudain pour La Peste, provoqué par la pandémie, ramène sur le devant de la scène l’éternel Albert Camus, plus actuel que jamais, envisagé comme un phare dans la tempête, éclairant par une description clinique l’enchaînement des événements qui nous emportent. Du déni à l’affolement, quand la vague invisible du virus submerge les corps et les esprits. « Camus montre comment l’obstination de quelques-uns quand tout semble perdu, la solidarité et l’engagement individuel au service du collectif deviennent la force de tous, pour tous », souligne Marylin Maeso.
Le recours à Camus renvoie aux années lycée, à la découverte émue de ses livres à l’adolescence, période de grandes questions philosophiques, ces futurs bagages existentiels. « Les réseaux sociaux fourmillent de ses citations, relève Alban Cerisier. Il accompagne nos vies, touche l’intimité de ses lecteurs. Par son refus des explications trop faciles, par son insistance à rappeler que chacun de nos actes nous lie à une communauté de destins, il nous aide à penser le monde. »
→ DOSSIER. La Croix L’Hebdo
Soixante ans après, sa mort marque la fin d’une époque. « Nous avions tellement besoin de ce juste, dira Ionesco. Il était, tout naturellement, dans la vérité. » Le 5 janvier 1960, lendemain de l’accident, le titre de l’édito barre la une de Combat, son ancien journal : « Une conscience contre le chaos ». N’est-ce pas, au fond, plongés dans le désarroi d’une catastrophe sanitaire, humaine, économique, en quête de repères, avides de solidarité et de fraternité, ce que les lecteurs de 2020 cherchent en ouvrant La Peste ?

duminică, 28 iunie 2020

L’Italie de Gérard de Nerval / REVUE LITTERAIRE TEMPOREL

Temporel.fr
L’Italie de Gérard de Nerval
23 septembre 2015

« Ainsi qu’un rêve », l’Italie de Gérard de Nerval.

Pise. Photographie : Guy Braun.« Je vis Nice, Gênes et Florence ; j’admirai le Dôme et la Baptistère, les chefs-d’œuvre de Michel-Ange, la tour penchée et le Campo Santo de Pise. Puis, prenant la route de Spolete, je m’arrêtai dix jours à Rome. Le dôme de Saint-Pierre, le Vatican, le Colisée m’apparurent ainsi qu’un rêve. Je me hâtai de prendre la poste pour Civita-Vecchia, où je devais m’embarquer. » C’est au début d’ « Octavie » qu’on lit ces lignes, témoignant d’un enthousiasme pour l’Italie, d’un « vif désir » qui, à la suite d’un « amour contrarié », conduisit Nerval jusqu’à Naples, où il retourna, entre le 18 novembre et le 1er décembre 1843, à la fin de son voyage en Orient. Trois nouvelles se situent dans cette ville qui fit rêver leur auteur, « Octavie », « Isis » et « Corilla ». On a comparé la première avec « Sylvie » ; la seconde prend plutôt la forme d’un essai, dans lequel Nerval cherche dans la diversité des figures divines l’unité d’une seule, source de vie ; la troisième se compose de dialogues, comme au théâtre ; le personnage de la femme aimée se dissimule sous le masque d’une boutiquière, vendeuse de roses. Dans « Octavie », on trouve cet esprit du récit que j’ai mis en valeur dans les Chroniques italiennes de Stendhal. Nerval toutefois ne s’intéresse pas tant à la Renaissance qu’au monde antique. C’est en songeant à la Campanie, terre volcanique, terre de feu, qu’il donnera à son célèbre recueil le titre de Filles du feu. Il songeait aussi à cette filiation caïnite qu’il décrit dans son Voyage en Orient dans le chapitre consacré à Adoniram, sorte d’artiste forgeron qui fait penser au Los de Blake : « ... l’activité de l’artiste animait seule des mains faites pour pétrir le monde, et courbait seule des épaules faites pour le soulever. » [2] Le personnage, biblique, participe de la construction du temple sous la direction du roi Salomon (IRois 5, 13-14), puis, dans des textes franc-maçonniques, il est donné comme architecte. Quant aux Chimères, c’est en songeant à Heine, qu’il avait traduit en 1848 dans La Revue des Deux Mondes, qu’il trouva ce titre. Il écrivit alors : « La femme est la chimère de l’homme, ou son démon, comme vous voudrez, – un monstre adorable, mais un monstre ; aussi règne-t-il dans toutes ces jolies strophes une terreur secrète. » [3] Si Nerval a commencé à travailler sur Aurélia en 1841, lors de sa première crise de folie, il reprit cette nouvelle en 1854. Sans doute peut-on rapprocher ces quelques lignes : « La route semblait s’élever toujours et l’étoile s’agrandir. Puis je restai les bras étendus, attendant le moment où l’âme allait se séparer du corps, attirée magnétiquement dans le rayon de l’étoile. » [4] des premiers vers du poème intitulé « Catherine », de Heine :
Une belle étoile s’élève dans ma nuit,
Une étoile souriante qui me console
Et me promet une vie nouvelle –
Je t’en supplie, ne me mens pas ! [5]
Les étoiles sont aussi celles qui couvrent le manteau noir d’Isis, manteau de nuit, chez Apulée, et que Nerval décrit de même dans « Isis ». « Ma seule étoile est morte » [6], écrit Nerval dans « El Desdichado », puis s’en remet au « Soleil noir de la Mélancolie ». Dans ce poème désespéré (le titre signifie « Le malheureux »), le Je s’adresse à une deuxième personne :
Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.
Le Pausilippe, cette longue colline qui surplombe à l’ouest de la ville le golfe de Naples, tient son nom du grec pausilypos, signifiant « qui apaise le chagrin », adjectif que l’on trouve notamment dans Les Bacchantes d’Euripide et qui désigne la vigne, donnée aux mortels par Dionysos. Le messager décrit le délire des bacchantes : « Dans leurs cheveux elles portent du feu : il ne les brûle pas. » [7] La rose revient dans « Artémis » : « La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière » [8], qui est aussi celle de la dame suivie dans le rêve, [9] dans Aurélia, et Nerval affirme, dans « vers dorés » : « Chaque fleur est une âme à la Nature éclose » [10]. Le poète trouve chez la bohémienne, amante d’une nuit, « une figure de sainte Rosalie, couronnée de roses violettes » [11] ; elle est dans « Artémis » : « Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule » [12]. Rosalie, jeune fille noble née en Sicile au douzième siècle, se retira pour prier dans une grotte du mont Pellegrino sur les conseils de la Vierge, qui lui était apparue. Ayant fait cesser la peste au dix-septième siècle à Palerme, elle devint patronne de la ville. Gudule, sainte nationale de Belgique et patronne de la ville de Bruxelles, passa sa vie en prière. Elle se rendait à l’église du Saint-Sauveur avec une lanterne, que le diable lui éteignait ; un ange venait alors la lui rallumer. Dans son symbolisme chrétien, la rose associe la coupe contenant le sang du Christ, le Graal, à la figure de la Vierge. Devenant rosace, elle s’associe à la roue, symbolisant dès lors la totalité du monde. Isis, par la coupe contenant les eaux du Nil, s’associe à ce symbolisme. Le violet, couleur que Nerval attribue aux roses de Rosalie et de Gudule, est la couleur du Carême, attente du sacrifice conçu comme promesse de renouveau : « La victime céleste est présentée par le marbre ou la cire, avec ses chairs ensanglantées, avec ses plaies vives, que les fidèles viennent toucher et baiser pieusement. Mais le troisième jour tout change : le corps a disparu, l’immortel s’est révélé ; la joie succède aux pleurs, l’espérance renaît sur la terre ; c’est la fête renouvelée de la jeunesse et du printemps. » [13] Chez Apulée, que Nerval cite dans « Isis », la rédemption de Lucius, son retour à l’humanité, s’effectue grâce aux roses que porte le prêtre d’Isis avec le sistre et que l’âne doit cueillir pour se débarrasser de « ce cuir bestial qui te recouvre et qui me fait depuis longtemps horreur » [14]. La rose, associée au sistre d’Isis, se lie donc au chant, ainsi qu’aux heures, comme nous le dit le poète. De la sorte se crée une figure à la fois une et en perpétuelle métamorphose (« c’est l’identité primitive de cette reine du ciel, aux attributs divers, au masque changeant ! » [15]), qui peut porter des noms multiples. Elle devient Artémis, étroitement liée à son amant, dans le sonnet qui porte ce titre :
La Treizième revient... C’est encor la première ;
Et c’est toujours la seule, – ou c’est le seul moment ;
Car es-tu reine, ô toi ! la première ou dernière ?
Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?... [16]
Vue de Naples de la route du Pausilippe.Nerval cherche à faire ressurgir une unité, origine de toute chose, dans la diversité des phénomènes, renouant le devenir et ses altérations à la conscience une et entière d’une source en soi toujours renouvelée. Cette aspiration le pousse à un syncrétisme qui ne dénotait guère au dix-neuvième siècle ; on songe notamment, plus tardivement, à la méthode comparatiste de James George Frazer, auteur du Rameau d’or (1890), qui aura une influence sur certains poètes du vingtième siècle, notamment T.S. Eliot et Robert Graves, de façon différente pour l’un et pour l’autre. Nerval, lui, dans « Isis », mentionne l’ouvrage de Constantin-François Volney (1757-1820), Les Ruines, ou Méditation sur les Révolutions des Empires (1791), dans lequel ce penseur médite sur la décadence des empires et la multiplicité des systèmes religieux, aboutissant à la prise de conscience manifestée par la Révolution française. L’être humain doit s’organiser pour créer les conditions de son bien-être terrestre sans accuser la fatalité. A Volney, Nerval associe Charles-François Dupuis (1742-1809), auteur, en 1795, de L’Origine de tous les cultes ou religion universelle. Cet idéologue se réclame lui aussi de l’athéisme, au nom de la philosophie ; seule existe la Nature. Nerval se démarque de ce courant, refusant d’ignorer la « part de révélation divine » [17] dans « tous les cultes intelligents ». Robert Graves, lui, ne désespérait pas de réconcilier « la religion et l’intellect » [18] et aspirait à faire émerger les figures originelles. De Nerval à Robert Graves, on peut établir quelques analogies. Ce feuilleté du devenir, entre mythe et Bible, figures chrétiennes et païennes, issues de la perception que le singulier a de ses propres métamorphoses, appartient pleinement à l’esprit de la narration.

« Octavie » ou l’esprit du récit

Le voyage, ainsi que la nouvelle, naissent d’un « vif désir » [19], suscité par la nostalgie d’un « amour contrarié ». Le poète est donc l’objet (« un vif désir me prit ») d’un élan dans l’instant présent qui du passé tente de faire surgir l’avenir à l’aide des sens, odorat, puis vision et ouïe mêlées ; une voix surgit. Cet éveil s’associe à trois lieux d’Italie, Terni, ville ombrienne au nord de Rome en direction d’Ancône, où se trouve la cascade créée artificiellement au troisième siècle avant Jésus-Christ afin de canaliser les eaux du Velinus ; les cascades du Teverone, à Tivoli, ainsi que le lac Trasimène, entre Pérouse et Cortone, qui vit la victoire d’Hannibal en 217 avant Jésus-Christ. Nerval nomme la cascade, les « sources écumantes » du Teverone, les « roseaux de Trasimène » ainsi qu’une « voix délicieuse, comme celle des sirènes ». L’eau, comme par la figure d’Isis, s’allie à la voix, et donc au chant. La « jeune fille anglaise, dont le corps délié fendait l’eau verte auprès de moi » est nommée « fille des eaux ». Cette ondine, qui a pour nom Octavie, donne au poète un poisson, qui participe peut-être de l’analogie entre le « culte égyptien » [20] et « la religion naissante du Christ », représenté par les premiers Chrétiens sous la forme d’un poisson, tandis que la déesse Isis apparaît à Apulée comme Vénus sortant de l’eau, une lampe dans une main, surmontée d’un aspic. Avec ses « dents d’ivoire » [21], Octavie évoque la porte des songes que Nerval reprend à Homère au début d’Aurélia. Il nomme la sibylle de Tibur (ancien nom de Tivoli), liant le monde antique à la scène moderne (« un vaste salon rempli d’étrangers ») et au dédale des rues de Naples. On rencontre dans cette cité le même monde cosmopolite que décrivent Henry James, et surtout Thomas Mann, à Venise. Cet aspect tient de l’esprit de la narration. L’enchevêtrement de l’antique et du moderne se poursuit, dans les salons de la marquise Gargallo, par l’évocation des Grâces, d’Eleusis et de Vesta, le monde grec se mêlant au monde latin dans cette Campanie qui fut dénommée Grande Grèce.
Dans la nuit, au sortir du palais, Naples se transforme en un labyrinthe où se perdre jusqu’au songe ; il s’agit également d’une descente aux enfers du délaissement : « Mourir, grand Dieu ! pourquoi cette idée me revient-elle à tout propos, comme s’il n’y avait que ma mort qui fût l’équivalent du bonheur que vous promettez ? La mort ! ce mot ne répand cependant rien de sombre dans ma pensée. Elle m’apparaît couronnée de roses pâle, comme à la fin d’un festin ; [...]. Je ne suis pas belle, mais je suis bonne et secourable, et je donne pas le plaisir, mais le calme éternel. » [22] La figuration de la mort offre un des aspects de la déesse lunaire, Artémis, à la fois treizième et première. Nerval rappelle, dans « Isis », que la déesse se nomme également Hécate. [23] Dans la chambre « mystique » [24] de la bohémienne, se trouvent pêle-mêle des « ornements d’église », une « madone noire » et une « figure de sainte Rosalie », la simplicité originelle des « quatre éléments » associés à des « divinités mythologiques », ainsi que des « vases étrusques », un bric-à-brac tout italien en somme, illustrant ce riche feuilleté du devenir qu’incarne la péninsule. Tenant dans ses bras le « bambino » [25], la jeune femme devient alors, elle aussi, une madone, et le poète accomplit une forme de chemin de croix, songeant à « aller demander compte à Dieu de [sa] singulière existence » [26], puis retrouvant la « force », la « résolution », le « pouvoir » de parvenir à l’amour. La nuit ouvre dès lors sur une aube, et sur une ascension, créatrice d’un souffle neuf : « .. à mesure que je gravissais la montagne, l’air pur du matin venait gonfler mes poumons ; je me reposais délicieusement sous les treilles des villas, et je contemplais sans terreur le Vésuve couvert encore d’une coupole de fumée. » La treille s’associe là aussi à l’apaisement, et le feu ne brûle pas.
La descente qui suit, « dans la ville souterraine » d’Herculanum, s’inscrit comme une attente, allant vers une double rencontre, celle d’Octavie qui, comme Antigone, guide son père malade, et celle d’Isis, dans son temple, à Pompéi. Le poète, dans le dédale de l’antique cité, trouve aisément son chemin et le couple qu’il forme avec la jeune anglaise se métamorphose : « Elle voulut jouer elle-même le personnage de la Déesse, et je me vis chargé du rôle d’Osiris dont j’expliquai les divins mystères. » [27] Le jeu analogique se nourrit véritablement de songe, qui glisse, transparent, sur l’événement : « Je lui contai le mystère de cette apparition qui avait réveillé un ancien amour dans mon cœur, et toute la tristesse qui avait succédé à cette nuit fatale où le fantôme du bonheur n’avait été que le reproche d’un parjure. » Comme dans « Corilla », la femme aimée se dissimule sous un masque afin d’éprouver ses amants. Elle se fait figure initiatique et voix du chant que le poète lui compose comme à une muse aux visages multiples, capables de se substituer l’un à l’autre, ou de se superposer, sans craindre la disparité des époques. « O mystère de l’âme humaine ! » Le Je en miroir est à la fois unique à la source et divers en ses métamorphoses. « Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ? » [28] On retrouve cette diversité analogique dans « Isis » et le même lien au chant.

Isis, la source et ses échos

La visite à Pompéi qui s’annonce au début d’« Isis » se situe à la suite d’un certain nombre d’occasions antérieures. Est tout d’abord évoqué le « voyage » [29] qu’elle constituait avant « l’établissement du chemin de fer de Naples », voyage invitant à une exploration nocturne de la cité antique, en « remontant le cours des siècles » : « ... la lune paisible convenait mieux peut-être que l’éclat du soleil à ce ruines, qui n’excitent tout d’abord ni l’admiration ni la surprise, et où l’antiquité se montre pour ainsi dire dans un déshabillé modeste. » Notons la personnalisation du temps dans l’attribution à l’époque antique d’une parure légère, plutôt féminine.
La seconde occasion implique également une présence nocturne dans les ruines, pour une reconstitution « des usages de l’antique colonie romaine ». C’est à ce moment-là que Nerval situe son évocation d’Isis. « Cette fête donna lieu aux recherches suivantes, touchant les formes qu’affecta le culte égyptien lorsqu’il en vint à lutter directement avec la religion naissante du Christ. » La figure de la déesse se complète, en miroir, de celle de son fils et amant, ainsi que l’a décrite Robert Graves dans La Déesse blanche en 1948. « Une femme divinisée, mère, épouse ou amante, baigne de ses larmes ce corps saignant et défiguré, victime d’un principe hostile qui triomphe par sa mort, mais qui sera vaincu un jour ! » [30] Le rituel figure la mort et la résurrection. « Une évolution nouvelle des dogmes pourrait faire concorder sur certains points les témoignages religieux des divers temps. Il serait si beau d’absoudre et s’arracher aux malédictions éternelles les héros et les sages de l’Antiquité ! » [31] Les figures et les époques, de l’Antiquité à nos jours, se superposent en transparences analogiques révélatrices d’un même mystère. Nerval souhaite effectuer une reprise qui permette d’échapper à la mort de Dieu, voulue par les idéologues et annoncée par Hegel, mort de Dieu qui est aussi aliénation du sujet à sa source vive :
Les mortels en sont-ils venus à repousser toute espérance et tout prestige, et, levant ton voile sacré, déesse de Saïs ! le plus hardi de tes adeptes s’est-il donc trouvé face à face avec l’image de la Mort ?
Si la chute successive des croyances conduisait à ce résultat, ne serait-il pas plus consolant de tomber dans l’excès contraire et d’essayer de se reprendre aux illusions du passé ? [32]
Nerval compare Isis et Horus avec la Vierge à l’Enfant, toutes deux associées au symbole lunaire. Parlant de « transsubstantiation » [33], il suggère une analogie entre la coupe de l’eau du Nil, eau du renouveau, et le Graal. Il décrit la déesse comme le fit Apulée au Livre XI de ses Métamorphoses. Il cite également l’auteur latin. La déesse, en ses différentes identités, s’avère, comme l’a démontré Graves, déesse de la vie, de l’amour et de la mort, conciliation d’un destin ambivalent avec cette force intérieure, dont parlait Nerval dans « Octavie », qui se fait guide au travers de l’épreuve. « Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché » [34], écrit-il dans « Vers dorés ». Le monde animé est un monde de correspondances. Le sujet est celui qui est capable de s’orienter dans le labyrinthe de l’existence à l’aide des figures qui en incarnent les métamorphoses, « c’est la fête renouvelée de la jeunesse et du printemps » [35].
Nerval parvient à cette conclusion lors de son second voyage à Naples, alors qu’il revenait d’Egypte. La descente aux éléments simples, aux origines, permet de percer les strates du temps en les assemblant, comme on assemble les figures qui toutes, si on en éprouve le rayonnement, donnent en leur résonance de miroirs la saveur métamorphique de la source vitale. L’eau du Nil, manifestant « le miracle de la miséricorde divine » [36], « source de guérisons et de miracles », est au centre du rituel et de ses chants, qui suivent les métamorphoses du jour. C’est bien dans le temps que l’on se situe et toutes ces figures, toutes ces métamorphoses feuilletant le devenir, tentent à chaque fois de rassembler les strates du passé, plus ou moins récentes, plus ou moins lointaines, pour le projeter dans un avenir ouvert, parce que trempé à sa source singulière. « ... ou plutôt n’est-il pas vrai qu’il faut réunir tous ces modes divers d’une même idée, et que ce fut toujours une admirable pensée théogonique de présenter à l’adoration des hommes une Mère céleste dont l’enfant est l’espoir du monde ? » [37]
L’Italie, terre aux passés multiples, attire à elle ceux qui rêvent d’inscrire le récit dans le très vaste temps, où l’être peut trouver la dimension adéquate à son vif désir de vivre. « Ayant prononcé ces adorables paroles, l’invincible déesse disparaît et se recueille dans sa propre immensité. » [38] Nerval nomme la « cabale » [39] dans la deuxième partie d’Aurélia et l’on songe au tzimtzoum, ou retrait de Dieu après la Création, l’un se déployant dans le langage et dans le devenir. C’est en tout cas une conception incarnée du devenir qu’il nous propose, incarnée dans l’histoire humaine, ses figures et sa narration renouvelée. « Le fidèle croyait même à la présence réelle d’Osiris dans l’eau du Nil », écrit-il, s’opposant à l’abstraction hégélienne et à une conception du symbole comme signe, déduit de la mort de la réalité sensible. Il nomme Hegel [40] dans son adresse à Alexandre Dumas qui vient en préface aux Filles du feu, qualifiant d’obscure sa métaphysique et affirmant que ses sonnets des Chimères ne le sont guère davantage. Le philosophe allemand énonce, dans son Esthétique, que si, pour le catholique, « le pain consacré est le corps réel de Dieu, le vin son sang réel » [41], « le symbolique n’émerge que dans la religion réformée, qui sépare explicitement le spirituel du sensible, et conçoit alors l’objet extérieur comme une simple indication vers une signification qui s’en distingue » [42]. Cette coupure entre l’esprit et la vie, c’est exactement ce que Nerval, et Graves plus tard, contestent : « Tout est sensible ! » [43], s’écrie le premier dans ses « Vers dorés ». Il arrime le langage à la matière, ne lui permettant pas de s’égarer dans ce que Kierkegaard appelait le possible, ou réalité pensée : « A la matière même un verbe est attaché... » Le signe, détaché de sa réalité sensible, équivaut à la mort et, soulevant le voile de la déesse de Saïs, on se trouve « face à face avec l’image de la Mort » [44], avec un objet inanimé arraché à l’instant singulier et voué à l’inerte. Le vers final de ce sonnet évoque les étincelles des Cabalistes, dissimulées sous les écorces, garantes de l’incarnation de l’esprit dans la Création, ou monde révélé à la lumière de la parole : « Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres ! » Le sujet refuse de la sorte d’abdiquer sa plénitude d’être. C’est son « vif désir » [45] qui le fonde. L’Italie, déployant à ciel ouvert les strates du temps et les degrés du récit, permet cette descente à la source première dans le dépouillé de l’origine.

duminică, 31 mai 2020

Fayard-Gallimard-Citadelles et Mazenod / coup de coeur

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Léa Touch Book: Morteparole - Jean VédrinesGallimard (@Gallimard) | Twitter

Envoyé : lundi 11 novembre 2019 20:38
Objet : Fayard-Gallimard-Citadelles et Mazenod / coup de coeur


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