Mephisto (1981 film)
Le film est une coproduction de studios hongrois, autrichiens et ouest-allemands. mettant en vedette un mélange d’acteurs germanophones et hongrois. Il a été présenté pour la première fois à Budapest le 11 février 1981 et a été largement acclamé par la critique, remportant l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, le premier film hongrois à le faire. La performance de Brandauer lui a valu de nombreuses distinctions, y compris des nominations aux BAFTA et aux German Film Awards, et a lancé sa carrière cinématographique
Synopsis
Le film adapte l’histoire de Méphistophélès et du docteur Faustus en révélant les coûts au personnage principal Hendrik Höfgen alors qu’il abandonne sa conscience et continue à jouer, s’attirant les bonnes grâces du parti nazi afin de conserver son emploi et d’améliorer sa position sociale.
Höfgen (inspiré de l’acteur allemand Gustaf Gründgens) aspire à occuper le devant de la scène. Le premier tiers du film suit sa carrière d’acteur frustré et passionné qui se débrouille dans les théâtres provinciaux, dansant et chantant occasionnellement et jouant dans des films pour se faire remarquer. Il fonde même un théâtre bolchevique avec un ami pour générer plus de travail, dans la période d’avant-garde du début des années 1930, avant l’arrivée au pouvoir des nazis. Au début, Hendrik a plus de succès dans sa vie sociale et amoureuse qu’en tant qu’acteur. Les deux courants s’unissent, cependant, lorsque sa nouvelle épouse le regarde jouer le rôle ultime, Mephisto (le diable dans la pièce de Faustus), juste avant que le parti nazi n’arrive au pouvoir en Allemagne.
Alors que sa femme, des acteurs principaux et des amis partent en exil ou protestent contre le nouveau régime, Hendrik retourne en Allemagne attiré par la promesse du pardon de son escapade théâtrale communiste et le désir de jouer dans sa langue maternelle. Quand le parti nazi lui propose effectivement de faire de lui une star, il n’hésite pas. De grands rôles et des éloges lui viennent rapidement, et Hendrik se réjouit de son succès. Hendrik reprend son plus grand rôle de Mephisto et accepte de diriger le théâtre national, en contournant les restrictions culturelles et la brutalité du gouvernement nazi. Il néglige allègrement les profonds compromis moraux de sa situation, s’excusant en utilisant le pouvoir de ses relations étroites avec les responsables nazis pour aider des amis qui seraient autrement ciblés par le régime.
L’ironie amère de l’intrigue est que le rêve le plus cher du protagoniste est de devenir le plus grand acteur d’Allemagne, jouant Hamlet et Mephisto, mais pour réaliser ce rêve, il vend son âme. Dans le processus, il se rend compte trop tard qu’il ne joue pas le rôle de Méphisto mais celui de Faustus; c’est le chef nazi avec un rôle majeur dans le film (inspiré de Hermann Göring) qui est le vrai Mephisto.
(w trad. auto eng.-fr.)
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MEPHISTO, ISTVÁN SZABÓ : JUSQU’OÙ PEUT ALLER L’AMBITION D’UN ACTEUR ?
Mephisto – Résumé
Dans l’Allemagne des années 30, Hendrik Hoefgen, acteur ambitieux, ne se soucie que très peu des problèmes politiques de son pays et ne vit que pour sa carrière artistique.
Lorsque les nazis prennent le pouvoir, il saisit l’opportunité de jouer des pièces pour la propagande du parti et devient très rapidement le comédien le plus populaire d’Allemagne.
Dévoré par sa gloire et par le doute, il doit maintenant survivre dans un monde où la haine et la peur sont devenus les véritables acteurs d’une scène où se joue le destin de l’humanité.
Réalisateur – Istvàn Szabó.Durée du film – minutes.Note – ★★★★☆
Mephisto – Critique
L’histoire se déroule en effet dans l’Allemagne nazie mais vous n’y verrez ni camp de concentration ni acte de bravoure d’un anonyme pour sauver des Juifs du régime. Il a pour héros un homme qui n’a rien d’héroïque et que vous n’aimerez sans doute pas.
Mais alors, pourquoi regarder ce film ?
Mephisto est l’histoire d’un personnage aussi captivant que détestable : Hendrik Hoefgen (Klaus Maria Brandauer). Cet acteur brillant et pétri d’ambition végète dans des théâtres de province en Allemagne, loin des grandes scènes qu’il est convaincu de mériter.
Arrogant, méprisant, Hoefgen n’aspire qu’à laisser derrière lui ces petits rôles qui, croit-il, ne sont pas à la hauteur de son talent. Il a même changé son nom, Heinz, pour « Hoefgen », qu’il juge plus prestigieux. Il a quitté sa première femme, fille d’un homme de pouvoir, quand ce dernier a perdu de son influence.
Hoefgen a soif de gloire mais avant tout, il a soif de reconnaissance et d’amour. Il souffre d’un manque de confiance en lui profondément ancré dans sa personnalité et tente de l’étouffer sous une attitude faussement assurée.
Hendrik Hoefgen ne partage en rien les vues du parti nazi mais l’arrivée au pouvoir de ce dernier lui offre une opportunité de carrière qui le place face à un choix cornélien : doit-il renoncer à ses propres désirs de succès au nom de ses idées politiques ? Ou doit-il considérer le théâtre comme indépendant de la politique, extérieur à lui-même, et accepter un rôle même s’il va à l’encontre de ses principes ?
Le choix est vite fait. Bien qu’étant, à l’origine, plutôt communiste, Hoefgen se laisse entraîner dans une spirale où, obéissant et docile, il joue le rôle que les Nazis attendent de lui.
Pourquoi ? Probablement parce qu’au fond, Hoefgen n’a aucune personnalité : il va dans le sens du vent… se laissant guider strictement par ses envies de succès, guidé par le désir presque obsessionnel d’être au sommet plus que par son sens moral. Mais l’acteur est-il réellement indépendant des bouleversements politiques qui s’opèrent dans son pays, surtout quand ils sont aussi graves ?
Le film tente de répondre à cette question en effectuant un parallèle entre l’histoire de Hoefgen et le mythe de Faust. Faust était un savant, qui dans sa prétention croyait ne plus rien avoir à apprendre. Le diable (Mephisto) lui proposa alors un pacte : la connaissance suprême en échange de son âme. Faust accepta mais se rendit compte, en rencontrant l’amour, qu’il avait peut-être eu tort… Ici, Hendrik Hoefgen est Faust à la ville et Mephisto à la scène, un paradoxe qui reflète le doute qui gagne peu à peu l’acteur.
L’univers du film (tiré d’un roman satirique de Klaus Mann) est captivant : l’ambiance des petits et des grands théâtres, les grands rassemblements nazis où l’on s’amuse, où l’on danse et où l’on rit (pendant que le spectateur du film, lui, pense à la Grande Histoire et aux horreurs perpétrées à cette époque), la vie sociale animée du Berlin des années 30…
Les partis pris de réalisation sont forts (la scène de fin est absolument sublime), comme lorsque le général nazi qui a pris Hoefgen sous son aile nous est montré dans un bureau dépouillé de tout mais qui suinte le pouvoir.
Le début est un peu laborieux (l’acteur paraît trop hystérique, trop tyrannique, trop superficiel) mais une fois que les Nazis accèdent au pouvoir et que commence l’équilibre précaire entre éthique et ambition, Mephisto devient fascinant.
On ressent tout le poids de la docilité imposée par le régime nazi (ceux qui ne s’y soumettent pas disparaissant du jour au lendemain). On ressent cette atmosphère ambiguë où l’on s’amuse tout en étant prisonnier d’un carcan idéologique. L’interprétation de Klaus Maria Brandauer est exceptionnelle, entre le personnage traqué et sans éclat qu’est Hoefgen dans la vie et le Mephisto maléfique et époustouflant qu’il est au théâtre.
Mais surtout, c’est une réflexion très originale sur la place même de la culture dans une société.
« Je ne suis qu’un acteur », ne cesse de répéter Hendrik Hoefgen. Mais peut-on n’être « qu’un acteur » quand un régime politique est en train de procéder à l’extermination d’une partie de la population ?
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Un roman longtemps interdit de parution
Lorsqu’en 1949 Klaus Mann se suicide à Cannes, ce roman n'est toujours pas publié dans son pays natal, qui depuis quatre ans est divisé en deux États : la RFA à l’ouest (Bonn) et la RDA à l’est (Berlin-Est).
En 1956 ce roman est publié à Berlin-Est par les éditions Aufbau-Verlag, sous le titre Mephisto : roman eneir Karrier. Nous sommes alors en pleine guerre froide : ce livre n’a pas le droit d’être diffusé en RFA.
Lorsqu’en 1963 l’acteur Gustaf Gründgens s’éteint, l’éditeur de la famille Mann - Spangenberg - décide d’éditer ce roman en RFA. Le fils adoptif de Gründgens engage alors un procès qui dure trois ans et l'éditeur est condamné : les juges de la Cour Constitutionnelle Fédérale considèrent que ce roman donne « une fausse image » du monde du théâtre allemand sous le nazisme.
Il faut se souvenir que dans les années soixante, la RFA n'est pas encore totalement dénazifiée, à bien des niveaux. Des initiatives venant de la société civile sont menées contre cette situation, dont beaucoup se prolongent pas des actions en justice où elles arrivent à leurs fins.
Ainsi par exemple, le 7 novembre 1968 à Berlin-Ouest, Beate Klarsfeld monte à la tribune d'un congrès de la CDU, parti chrétien-démocrate du nouveau chancelier Kurt Kiesinger : elle arrive jusqu'à lui en se faisant passer pour une journaliste et elle lui donne alors une énorme gifle, car c'est un ancien responsable de la propagande radiophonique hitlérienne. Elle est bien sûr arrêtée, mais son action ne fait que commencer.
C’est une décennie plus tard, en 1975, que ce roman est publié pour la première fois en France - sous le titre Mephisto : roman - par les Éditions Denoël, dans une traduction de Louise Servicen, préfacée par Michel Tournier.
En 1979, le Théâtre du Soleil décide d’adapter le roman de Klaus Mann, sous le titre : Méphisto, le roman d’une carrière. La scénographie conçue par Guy-Claude François est faite de deux scènes dressées face à face : sous une fresque murale évoquant l’Allemagne de Guillaume II et sous un éclairage de lustres, le Théâtre Officiel se tient dans un cadre scénique orné de cariatides et de moulures ; à l’opposé, sous une fresque de paysage champêtre, l’Oiseau d’Orage est un cabaret orné de figures allégoriques aux couleurs bariolées, plongé par moments dans les lueurs vives d’une boule à miroirs. Le public est assis entre les deux scènes, sur des strapontins doubles : il doit changer de position pour suivre le spectacle selon la scène où il se joue.
Enfin cette adaptation est publiée par les Editions Solin et le Théâtre du Soleil. Elle est illustrée par des photographies de Michèle Laurent et comporte une annexe : liste des artistes à qui cette création est dédiée, distribution du spectacle, clés des personnages, références bibliographiques, chronologie de 1916 à 1933.
Du point de vue des commentaires, cette création insolite génère un véritable mutisme de la recherche française en études théâtrales, ce qui perdure toujours, à deux exceptions près.
La première en 1985 est de Hans Werner Ring, alors étudiant à la Sorbonne Nouvelle, qui y consacre son mémoire de maîtrise sous le titre : Le Méphisto du Théâtre du Soleil, analyse d’un spectacle politique, dont seul le département des Arts du spectacle de la BnF conserve un exemplaire consultable.
La seconde en 2004 est de Sylvain Shryburt qui y consacre un article conséquent dans la revue Jeu, sous le titre : Au théâtre dans l’entre-deux guerres Méphisto le roman d’une carrière.
En outre, la tournée de ce spectacle est très agitée à deux reprises.
D’abord au Festival d’Avignon (1979, Paul Puaux), où le Parti Communiste Français organise un débat avec Ariane Mnouchkine, accusée de désigner la responsabilité des communistes allemands dans la victoire du nazisme : face à face, une délégation du P.C.F. (Jack Ralite, Lucien Marrest, Claude Mazauric), Ariane Mnouchkine et une partie de la troupe. Un débat très vite agité par les questions du public.
Puis au Festival de Munich (1980), où la troupe doit d’abord changer l’affiche prévue - qui ne porte pas le nom de Klaus Mann, dont le roman est toujours interdit de publication en RFA - par l’affiche française du spectacle. La troupe joue au Tramdepot de la Dauchauer Straße où le stand des livres de l’auteur est alors interdit, tandis que des éditions pirates du roman sont vendues à la sortie des représentations. Les responsables du festival font publier l’adaptation d’Ariane Mnouchkine par Spangenberg.
Les commentaires de la presse écrite de RFA vont du passage sous silence à l’attaque violente. Ainsi, dans Münchner Merkur, le journaliste Armin Eichholz conclue : « Mais un théâtre français ne peut pas se permettre de jouer une telle pièce dans la Dauchauer Straße, dans la rue qui mène à Dachau ».
La troupe organise alors un débat où se rend une centaine de spectateurs : « Nous faisons un débat avec le public pour qu’il y ait un niveau supérieur à ce qui est dit dans la presse » a dit Ariane Mnouchkine. « Comment le public français a-t-il réagi ? » « Il se défend moins que le public allemand » répond Mnouchkine. « Il ne reçoit pas le spectacle comme un produit sur l’Allemagne, mais comme une parabole beaucoup plus universelle. » (...) « Pourquoi êtes-vous venus ici avec ce spectacle, qui traite de notre passé, alors que les autres troupes ici traitent de l’histoire de leur pays ? » « S’il y a un endroit où on peut être un peu international, c’est bien au théâtre », répond Mnouchkine, « et je vous refuse l’appropriation de ce moment de l’histoire. » (Hervé Guibert, A qui appartient l’histoire ? in Le Monde, 19 juin 1980).
Une chaîne télévisée bavaroise fait filmer la pièce malgré le refus des chaînes françaises qui la jugent trop longue (4 heures) et lui reprochent deux scènes osées. Réalisé en treize jours par Bernard Sobel, ce film de théâtre est diffusé trois fois en RFA, mais il n’est jamais programmé en France.
En 1980, le cinéaste hongrois
István Szabó adapte ce roman sous le titre Mephisto dans une production germano-austro-hongroise. En 1981 il reçoit l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, tandis qu'au Festival de Cannes il reçoit le Prix de la critique internationale ainsi que le Prix du scénario.
Enfin en 1981 en RFA, l’éditeur Rowohlt passe outre l’interdiction et publie ce livre qui est alors diffusé de façon officielle, sans que l'État n'y fasse obstruction.
Des années 80 à nos jours, moins d'une dizaine d'adaptations théâtrales de Mephisto est produite dans l'hexagone, ce qui est peu au regard d'autres textes durant la même période.
Depuis juin 2022, en France, quatre-vingt-sept députés d'extrême droite siègent à l'Assemblée nationale.
Le cauchemar de Mephisto par Les Barbares
Cela fait maintenant quatre ans et demi que Jérémie Lebreton, metteur en scène de cette troupe, travaille sur ce texte et c’est encore d'une autre adaptation du Mephisto de Klaus Mann dont il est question ici.
A l’origine, ce spectacle est une réalisation de fin d’étude produite en septembre 2021 à la Manufacture, Haute École de la Scène des Arts de Suisse. Il a été joué quatre fois sans être repris. Le metteur en scène a donc remis son travail à l’ouvrage pour ce nouveau cycle de dix représentations.
Qui dit jeune théâtre, dit souvent : aventure collective, aléas imprévus, courage nécessaire, contraintes économiques, détermination joyeuse et autres inévitables rebondissements. Dans le cas présent, une actrice a dû être remplacée par un acteur, le scénographe n’est plus le même, l’éclairagiste et la costumière non plus. Ainsi, pour la première reprise de ce spectacle, la troupe achevait le réglage des arrangements sonores tout juste quinze minutes avant l’entrée du public…
C’est donc un jeune théâtre en haleine qu’il nous fut donné de découvrir, à travers un spectacle plein d’inventivité, de fracas scénographiques et d’engagements physiques, ayant pour toile de fond l’ascension du nazisme. Un cocktail détonnant, mais qui ce soir-là dans la salle ne fut pas du goût tou(te)s. Après tout, ne dit-on pas de l’enfer qu'il est pavé de bonnes intentions ? Or il faut effectivement un certain courage pour mettre en scène Mephisto.
Ce premier soir de reprise recueillait néanmoins de chaleureux applaudissements de la majorité du public. Sans doute parce que dès l’envoi de ce spectacle ces artistes partagent avec nous ce profond désir de jouer, de se lier à nous par l’imaginaire et la fiction, de jubiler, de blaguer, de jouir, de nous faire voyager tout à la fois dans le théâtre et dans l’Histoire.
C’est une création dont l’esthétique relève du studio de théâtre. Un espace inachevé et librement modulé par les interprètes à l’aide d’éléments évocateurs : flight cases, lustre et autres homards de guimauve, rideau rouge traité tel un oripeau, évocation de loge d’artiste en clair-obscur, brume de théâtre…
Pour autant ce n’est pas un théâtre de la déconstruction, mais bien du théâtre d’essai, où de nombreuses formes sont explorées : abolition du rapport scène/salle par le maintien des éclairages établissant l’unité, douche lumineuse rétablissant le jeu théâtral sous une forme captivante, séquences froides et autres séquences agitées soutenues par des néons ou bien encore un stroboscope.
C’est aussi du théâtre physique où s’incarnent les plaisirs, les excès, les querelles, les désirs, l’érotisme, les conflits théoriques sur le théâtre, ainsi que les conflits politiques sur le rôle du théâtre face au nazisme. Tandis que ces personnages basculent dans la débandade, les conflits verbaux sont d’une violence incroyable et la porte du théâtre est claquée avec colère. A divers moments la représentation n’hésite pas à tendre vers le gueuloir politique : on attrape un micro et on balance tout.
C’est aussi un spectacle très musical, qui par moments est soutenu par une création sonore, qui à d’autres moments fait place au piano et au chant, mais aussi à la batterie rock et aux séquences de musique électronique : un spectacle faisant s’alterner la poésie du théâtre avec l’enfer de la crise politique.
Dans cette tempête provoquée par l’ascension du nazisme, un rideau rouge fini par se dresser sur le fond du plateau. Tel un horizon lointain dont le ton pourpre aurait bien plus à voir avec le sang des victimes du nazisme qu’avec les ors du théâtre à l’italienne, il prend tour à tour les aspects d’une relique ou d’un manteau.
A l’issue de la représentation, j’ai souhaité m'entretenir avec Jérémie Lebreton, le metteur en scène, sur le choix de ce texte : « J’avais très envie de travailler cette idée de pacte avec le diable : jusqu’où peut-on aller pour son ambition ou pour ses rêves ? Nous sommes tous confrontés à la question de la compromission, la question de Mephisto, de travailler pour un système contre les idéaux qu’on prétend avoir, mais qu’on accepte pour une forme de reconnaissance. Nous y sommes tous plus ou moins confrontés, que ce soit dans le théâtre ou ailleurs. C’est toujours la question de l’équilibre entre nos croyances et le système dans lequel on est impliqué : qu’est-ce qu’on est prêt à accepter ? Ce spectacle pousse les limites jusqu’à l’extrême, en prenant le régime nazi comme une incarnation du diable sur Terre. »
Enfin, il convient de saluer le travail des jeunes artistes et techniciens de cette troupe, qu’il faudrait pouvoir tou(te)s citer et dont on retrouvera donc les noms ici.
La rencontre bord plateau, avec la troupe Les Barbares à l'issue de la représentation, aura lieu ce mardi 6 juin.
Souhaitons bonne chance à ce spectacle, qui est joué jusqu'au 14 juin, ainsi qu’à l’ensemble de ces Départs d’Incendies, qui ont lieu jusqu'au 2 juillet. Et vous qui me lisez : osez le choix du jeune théâtre et allez donc les découvrir !
Joël Cramesnil
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Mephisto - Klaus Mann
Le seul reproche que l'on pourrait faire à "Mephisto", c'est un début un poil trop lent même si la scène d'ouverture se situe à une réception donnée par Goering et son épouse, c'est-à-dire alors que Hendrik Höfgen est déjà devenu l'acteur du IIIème Reich.
D'un autre côté, cette lenteur s'allie bien avec ses débuts provinciaux et cette sensation d'enlisement dans la petite-bourgeoisie de province - son milieu natal - qui l'étouffe à un point tel qu'il est prêt à faire n'importe quoi pour prouver au monde qu'il s'en est sorti.
Le premier acte par lequel le futur comédien marque sa volonté d'en finir avec son enfance minable, c'est son changement de prénom. Il troque donc un "Heinz" tout ce qu'il y a de plus banal pour le très raffiné Hendrik, méprisant au passage la forme "Henrik" qui avait convenu à un Ibsen mais qu'il jugeait pour sa part trop plébéienne.
Maintenant, a-t-il du talent ? Oui, c'est indéniable. Ses pires ennemis eux-mêmes - et il s'en fait pas mal - ne le lui dénient pas. Sur scène, Hendrik Höfgen est un grand, voire un très grand. Seul bémol - qui ne retentit qu'à la fin, après la représentation d'"Hamlet" : il n'a pas cette grâce innée qui permet au comédien d' "être" tout et n'importe qui. Sa personnification du prince de Danemark est bonne, certes mais elle ne transcende rien : pour une fois, Hendrik Höfgen n'habite pas son personnage, Hamlet le fuit et le nargue car Hamlet n'est pas, ne sera jamais du côté des vainqueurs.
Autant qu'un réquisitoire implacable contre la lâcheté et le carriérisme, le "Mephisto" de Klaus Mann est aussi l'histoire d'une fascination amoureuse, celle que l'auteur éprouvait pour l'acteur Gustaf Gründsgen. Car, derrière "Mephisto", c'est bien son ancien amant que Mann met en scène. Il nous conte sa sexualité trouble, orientée vers le sado-masochisme, son impuissance vis à vis des femmes qui, pour lui, symbolisaient la Mère, sa soif d'arriver tout au haut de l'affiche, son désir de puissance et de reconnaissance, ses petites manies, son opportunisme sans vergogne et toutes ses traîtrises : envers ses camarades de scène, envers ses amis, envers son épouse légitime et même, par la réplique finale, celles, encore à venir, envers ses maîtres du moment.
Hendrik Höfgen est comme ça : une belle machine sans âme, simplement préoccupée d'elle-même, encore d'elle-même et toujours d'elle-même.
En toile de fond, les dernières années de la République de Weimar et l'arrivée au pouvoir des Nazis. De la démocratie corrompue qui agonise jusqu'à la dictature arrogante qui va prendre sa suite, Höfgen oscille entre des professions de foi plutôt à gauche et l'amitié du maréchal Goering qui le présentera au Führer. Mais le pire, c'est que, foncièrement, il n'a d'opinion sincère que sur lui-même. Les tourments politiques et sociaux, en fait, il s'en contrefiche - à condition toutefois qu'ils ne nuisent pas à son ascension sociale. C'est parce qu'il se sent menacé dans son confort - matériel et moral - que Höfgen se donne aux Nazis, non parce qu'il partage leurs idées sur la race ou le communisme. Cet homme qui, sur scène, est un sublime "Méphisto", se révèle, dans la vie, un petit bonhomme égocentrique qui traverse l'une des plus grandes tempêtes de l'Histoire sans pratiquement en avoir conscience.
Précis, littéraire et pourtant simple, parfois brillant, le style de Klaus Mann n'a pas, pour les digressions, l'amour qui caractérise celui de son père. Ses personnages sont moins "kolossaux" mais gagnent en complexité même si, bien entendu, le romancier se refuse à rendre subtils l'infernal trio des dirigeants nazis. Cà et là cependant, il nous laisse entendre que Goering (jamais appelé par son nom dans le roman mais toujours désigné sous le terme "l'Obèse" comme Goebbels est "le Boiteux") est bien plus intelligent et même bien plus ouvert qu'il ne veut le paraître.
Enfin, ce témoin privilégié rétablit l'Histoire en toute innocence, bien avant qu'elle ne soit réécrite. Il nous donne en effet du peuple allemand aux prises avec le Nazisme un portrait dépourvu de tout manichéisme. Après avoir lu "Méphisto", on comprend mieux pourquoi, après la guerre, la RFA fit grise mine devant les ouvrages de Klaus Mann : ce qu'il dépeignait ne correspondait pas tout à fait à ce que les vainqueurs voulaient imposer comme seule et unique vision de l'Allemagne hitlérienne. S'il n'y avait que cela dans Méphisto", ce roman vaudrait déjà d'être lu. Mais on y trouve aussi le talent d'écorché vif et l'humanité d'un écrivain qui mérite au moins autant que son père d'être cité avec honneur dans l'Histoire de la Littérature mondiale. Lisez, vous ne serez pas déçu.
editia germana: Klaus Mann, Mefisto. Roman einer karriere / Rowohlt Taschenbuch; 21. Auflage, Überarbeitete Neuausgabe (1 Oct. 2010)
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