vineri, 7 iulie 2023

Klaus Mann / Mefisto: film, teatru, carte

Mephisto (1981 film)





 Mephisto est un film américain réalisé par István Szabó, sorti en 1981. Il met en vedette Klaus Maria Brandauer dans le rôle d’un acteur de théâtre allemand (modelé sur Gustaf Gründgens) qui trouve un succès inattendu et des bénédictions mitigées dans la popularité de sa performance dans une pièce faustienne alors que les nazis prennent le pouvoir dans l’Allemagne d’avant la Seconde Guerre mondiale. Alors que ses associés et amis fuient ou sont clandestins par le régime nazi, la popularité de son personnage finit par remplacer sa propre existence, jusqu’à ce qu’il découvre que sa meilleure performance est de garder les apparences pour ses patrons nazis.


Le film est une coproduction de studios hongrois, autrichiens et ouest-allemands. mettant en vedette un mélange d’acteurs germanophones et hongrois. Il a été présenté pour la première fois à Budapest le 11 février 1981 et a été largement acclamé par la critique, remportant l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, le premier film hongrois à le faire. La performance de Brandauer lui a valu de nombreuses distinctions, y compris des nominations aux BAFTA et aux German Film Awards, et a lancé sa carrière cinématographique

Synopsis

Le film adapte l’histoire de Méphistophélès et du docteur Faustus en révélant les coûts au personnage principal Hendrik Höfgen alors qu’il abandonne sa conscience et continue à jouer, s’attirant les bonnes grâces du parti nazi afin de conserver son emploi et d’améliorer sa position sociale.

Höfgen (inspiré de l’acteur allemand Gustaf Gründgens) aspire à occuper le devant de la scène. Le premier tiers du film suit sa carrière d’acteur frustré et passionné qui se débrouille dans les théâtres provinciaux, dansant et chantant occasionnellement et jouant dans des films pour se faire remarquer. Il fonde même un théâtre bolchevique avec un ami pour générer plus de travail, dans la période d’avant-garde du début des années 1930, avant l’arrivée au pouvoir des nazis. Au début, Hendrik a plus de succès dans sa vie sociale et amoureuse qu’en tant qu’acteur. Les deux courants s’unissent, cependant, lorsque sa nouvelle épouse le regarde jouer le rôle ultime, Mephisto (le diable dans la pièce de Faustus), juste avant que le parti nazi n’arrive au pouvoir en Allemagne.

Alors que sa femme, des acteurs principaux et des amis partent en exil ou protestent contre le nouveau régime, Hendrik retourne en Allemagne attiré par la promesse du pardon de son escapade théâtrale communiste et le désir de jouer dans sa langue maternelle. Quand le parti nazi lui propose effectivement de faire de lui une star, il n’hésite pas. De grands rôles et des éloges lui viennent rapidement, et Hendrik se réjouit de son succès. Hendrik reprend son plus grand rôle de Mephisto et accepte de diriger le théâtre national, en contournant les restrictions culturelles et la brutalité du gouvernement nazi. Il néglige allègrement les profonds compromis moraux de sa situation, s’excusant en utilisant le pouvoir de ses relations étroites avec les responsables nazis pour aider des amis qui seraient autrement ciblés par le régime.

L’ironie amère de l’intrigue est que le rêve le plus cher du protagoniste est de devenir le plus grand acteur d’Allemagne, jouant Hamlet et Mephisto, mais pour réaliser ce rêve, il vend son âme. Dans le processus, il se rend compte trop tard qu’il ne joue pas le rôle de Méphisto mais celui de Faustus; c’est le chef nazi avec un rôle majeur dans le film (inspiré de Hermann Göring) qui est le vrai Mephisto.

(w trad. auto eng.-fr.)

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MEPHISTO, ISTVÁN SZABÓ : JUSQU’OÙ PEUT ALLER L’AMBITION D’UN ACTEUR ?


Mephisto – Résumé

Dans l’Allemagne des années 30, Hendrik Hoefgen, acteur ambitieux, ne se soucie que très peu des problèmes politiques de son pays et ne vit que pour sa carrière artistique.

Lorsque les nazis prennent le pouvoir, il saisit l’opportunité de jouer des pièces pour la propagande du parti et devient très rapidement le comédien le plus populaire d’Allemagne.

Dévoré par sa gloire et par le doute, il doit maintenant survivre dans un monde où la haine et la peur sont devenus les véritables acteurs d’une scène où se joue le destin de l’humanité.


Réalisateur – Istvàn Szabó.
Durée du film –  minutes.
Note – ★★★★☆
Mephisto, István Szabó

Mephisto – Critique

Mephisto est un film tout simplement extraordinaire et aussi méconnu qu’il est extraordinaire ! Il a pourtant remporté l’Oscar du meilleur film étranger en 1982 mais on le trouve difficilement dans le commerce. Il n’existe qu’en version sous-titrée… et tant mieux, car le fait qu’il soit en allemand lui donne une saveur toute particulière compte tenu du thème.

L’histoire se déroule en effet dans l’Allemagne nazie mais vous n’y verrez ni camp de concentration ni acte de bravoure d’un anonyme pour sauver des Juifs du régime. Il a pour héros un homme qui n’a rien d’héroïque et que vous n’aimerez sans doute pas.

Mais alors, pourquoi regarder ce film ?

Klaus Maria Brandauer dans Mephisto d'István Szabó

Mephisto est l’histoire d’un personnage aussi captivant que détestable : Hendrik Hoefgen (Klaus Maria Brandauer). Cet acteur brillant et pétri d’ambition végète dans des théâtres de province en Allemagne, loin des grandes scènes qu’il est convaincu de mériter.

Arrogant, méprisant, Hoefgen n’aspire qu’à laisser derrière lui ces petits rôles qui, croit-il, ne sont pas à la hauteur de son talent. Il a même changé son nom, Heinz, pour « Hoefgen », qu’il juge plus prestigieux. Il a quitté sa première femme, fille d’un homme de pouvoir, quand ce dernier a perdu de son influence.

Hoefgen a soif de gloire mais avant tout, il a soif de reconnaissance et d’amour. Il souffre d’un manque de confiance en lui profondément ancré dans sa personnalité et tente de l’étouffer sous une attitude faussement assurée.

Hendrik Hoefgen ne partage en rien les vues du parti nazi mais l’arrivée au pouvoir de ce dernier lui offre une opportunité de carrière qui le place face à un choix cornélien : doit-il renoncer à ses propres désirs de succès au nom de ses idées politiques ? Ou doit-il considérer le théâtre comme indépendant de la politique, extérieur à lui-même, et accepter un rôle même s’il va à l’encontre de ses principes ?

Le choix est vite fait. Bien qu’étant, à l’origine, plutôt communiste, Hoefgen se laisse entraîner dans une spirale où, obéissant et docile, il joue le rôle que les Nazis attendent de lui.

Pourquoi ? Probablement parce qu’au fond, Hoefgen n’a aucune personnalité : il va dans le sens du vent… se laissant guider strictement par ses envies de succès, guidé par le désir presque obsessionnel d’être au sommet plus que par son sens moral. Mais l’acteur est-il réellement indépendant des bouleversements politiques qui s’opèrent dans son pays, surtout quand ils sont aussi graves ?

Le film tente de répondre à cette question en effectuant un parallèle entre l’histoire de Hoefgen et le mythe de Faust. Faust était un savant, qui dans sa prétention croyait ne plus rien avoir à apprendre. Le diable (Mephisto) lui proposa alors un pacte : la connaissance suprême en échange de son âme. Faust accepta mais se rendit compte, en rencontrant l’amour, qu’il avait peut-être eu tort… Ici, Hendrik Hoefgen est Faust à la ville et Mephisto à la scène, un paradoxe qui reflète le doute qui gagne peu à peu l’acteur.

Klaus Maria Brandauer dans Mephisto d'István Szabó

L’univers du film (tiré d’un roman satirique de Klaus Mann) est captivant : l’ambiance des petits et des grands théâtres, les grands rassemblements nazis où l’on s’amuse, où l’on danse et où l’on rit (pendant que le spectateur du film, lui, pense à la Grande Histoire et aux horreurs perpétrées à cette époque), la vie sociale animée du Berlin des années 30…

Les partis pris de réalisation sont forts (la scène de fin est absolument sublime), comme lorsque le général nazi qui a pris Hoefgen sous son aile nous est montré dans un bureau dépouillé de tout mais qui suinte le pouvoir.

Le début est un peu laborieux (l’acteur paraît trop hystérique, trop tyrannique, trop superficiel) mais une fois que les Nazis accèdent au pouvoir et que commence l’équilibre précaire entre éthique et ambition, Mephisto devient fascinant.

On ressent tout le poids de la docilité imposée par le régime nazi (ceux qui ne s’y soumettent pas disparaissant du jour au lendemain). On ressent cette atmosphère ambiguë où l’on s’amuse tout en étant prisonnier d’un carcan idéologique. L’interprétation de Klaus Maria Brandauer est exceptionnelle, entre le personnage traqué et sans éclat qu’est Hoefgen dans la vie et le Mephisto maléfique et époustouflant qu’il est au théâtre.

Mais surtout, c’est une réflexion très originale sur la place même de la culture dans une société.

« Je ne suis qu’un acteur », ne cesse de répéter Hendrik Hoefgen. Mais peut-on n’être « qu’un acteur » quand un régime politique est en train de procéder à l’extermination d’une partie de la population ?

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Un roman longtemps interdit de parution

Illustration 3
Klaus Mann en 1932"Mephisto" est un roman écrit de 1933 à 1936 par Klaus Mann (1906-1949), auteur allemand qui est alors en exil suite à l'accession au pouvoir du parti nazi. Il y expose la vie de deux amis comédiens allemands au cours de 1933 : Hendrick Höfgen (personnage inspiré par le célèbre acteur de l’époque Gustaf Gründgens) est nommé Intendant des Théâtres Nationaux, tandis qu’Otto Ulrich (communiste) est d'abord licencié du théâtre où il joue, puis il est assassiné par la Gestapo. Par ailleurs, l’auteur se met également en scène dans ce roman sous le nom de Sébastien. Il est publié en 1936 à Amsterdam par Querido Verlag , une maison d’édition allemande alors également en exil.

Lorsqu’en 1949 Klaus Mann se suicide à Cannes, ce roman n'est toujours pas publié dans son pays natal, qui depuis quatre ans est divisé en deux États : la RFA à l’ouest (Bonn) et la RDA à l’est (Berlin-Est).

En 1956 ce roman est publié à Berlin-Est par les éditions Aufbau-Verlag, sous le titre Mephisto : roman eneir Karrier. Nous sommes alors en pleine guerre froide : ce livre n’a pas le droit d’être diffusé en RFA.

Lorsqu’en 1963 l’acteur Gustaf Gründgens s’éteint, l’éditeur de la famille Mann - Spangenberg - décide d’éditer ce roman en RFA. Le fils adoptif de Gründgens engage alors un procès qui dure trois ans et l'éditeur est condamné : les juges de la Cour Constitutionnelle Fédérale considèrent que ce roman donne « une fausse image » du monde du théâtre allemand sous le nazisme.

Il faut se souvenir que dans les années soixante, la RFA n'est pas encore totalement dénazifiée, à bien des niveaux. Des initiatives venant de la société civile sont menées contre cette situation, dont beaucoup se prolongent pas des actions en justice où elles arrivent à leurs fins.

Ainsi par exemple, le 7 novembre 1968 à Berlin-Ouest, Beate Klarsfeld monte à la tribune d'un congrès de la CDU, parti chrétien-démocrate du nouveau chancelier Kurt Kiesinger : elle arrive jusqu'à lui en se faisant passer pour une journaliste et elle lui donne alors une énorme gifle, car c'est un ancien responsable de la propagande radiophonique hitlérienne. Elle est bien sûr arrêtée, mais son action ne fait que commencer.

C’est une décennie plus tard, en 1975, que ce roman est publié pour la première fois en France - sous le titre Mephisto : roman - par les Éditions Denoël, dans une traduction de Louise Servicen, préfacée par Michel Tournier.



Otto Ulrich (Jean-Claude Bourbault) et Hendrik Höfgen (Gérard Hardy) dans Méphisto, le roman d'une carrière, par le Théâtre du Soleil © Michèle Laurent

En 1979, le Théâtre du Soleil décide d’adapter le roman de Klaus Mann, sous le titre : Méphisto, le roman d’une carrière. La scénographie conçue par Guy-Claude François est faite de deux scènes dressées face à face : sous une fresque murale évoquant l’Allemagne de Guillaume II et sous un éclairage de lustres, le Théâtre Officiel se tient dans un cadre scénique orné de cariatides et de moulures ; à l’opposé, sous une fresque de paysage champêtre, l’Oiseau d’Orage est un cabaret orné de figures allégoriques aux couleurs bariolées, plongé par moments dans les lueurs vives d’une boule à miroirs. Le public est assis entre les deux scènes, sur des strapontins doubles : il doit changer de position pour suivre le spectacle selon la scène où il se joue.

Enfin cette adaptation est publiée par les Editions Solin et le Théâtre du Soleil. Elle est illustrée par des photographies de Michèle Laurent et comporte une annexe : liste des artistes à qui cette création est dédiée, distribution du spectacle, clés des personnages, références bibliographiques, chronologie de 1916 à 1933.

Du point de vue des commentaires, cette création insolite génère un véritable mutisme de la recherche française en études théâtrales, ce qui perdure toujours, à deux exceptions près.

La première en 1985 est de Hans Werner Ring, alors étudiant à la Sorbonne Nouvelle, qui y consacre son mémoire de maîtrise sous le titre : Le Méphisto du Théâtre du Soleil, analyse d’un spectacle politique, dont seul le département des Arts du spectacle de la BnF conserve un exemplaire consultable.

La seconde en 2004 est de Sylvain Shryburt qui y consacre un article conséquent dans la revue Jeu, sous le titre : Au théâtre dans l’entre-deux guerres Méphisto le roman d’une carrière.

En outre, la tournée de ce spectacle est très agitée à deux reprises.

D’abord au Festival d’Avignon (1979, Paul Puaux), où le Parti Communiste Français organise un débat avec Ariane Mnouchkine, accusée de désigner la responsabilité des communistes allemands dans la victoire du nazisme : face à face, une délégation du P.C.F. (Jack Ralite, Lucien Marrest, Claude Mazauric), Ariane Mnouchkine et une partie de la troupe. Un débat très vite agité par les questions du public.

Illustration 5
Affiche du spectacle © Théâtre du Soleil

Puis au Festival de Munich (1980), où la troupe doit d’abord changer l’affiche prévue - qui ne porte pas le nom de Klaus Mann, dont le roman est toujours interdit de publication en RFA - par l’affiche française du spectacle. La troupe joue au Tramdepot de la Dauchauer Straße où le stand des livres de l’auteur est alors interdit, tandis que des éditions pirates du roman sont vendues à la sortie des représentations. Les responsables du festival font publier l’adaptation d’Ariane Mnouchkine par Spangenberg.

Les commentaires de la presse écrite de RFA vont du passage sous silence à l’attaque violente. Ainsi, dans Münchner Merkur, le journaliste Armin Eichholz conclue : « Mais un théâtre français ne peut pas se permettre de jouer une telle pièce dans la Dauchauer Straße, dans la rue qui mène à Dachau ».

La troupe organise alors un débat où se rend une centaine de spectateurs : « Nous faisons un débat avec le public pour qu’il y ait un niveau supérieur à ce qui est dit dans la presse » a dit Ariane Mnouchkine. « Comment le public français a-t-il réagi ? » « Il se défend moins que le public allemand » répond Mnouchkine. « Il ne reçoit pas le spectacle comme un produit sur l’Allemagne, mais comme une parabole beaucoup plus universelle. » (...) « Pourquoi êtes-vous venus ici avec ce spectacle, qui traite de notre passé, alors que les autres troupes ici traitent de l’histoire de leur pays ? » « S’il y a un endroit où on peut être un peu international, c’est bien au théâtre », répond Mnouchkine, « et je vous refuse l’appropriation de ce moment de l’histoire. » (Hervé Guibert, A qui appartient l’histoire ? in Le Monde, 19 juin 1980).

Une chaîne télévisée bavaroise fait filmer la pièce malgré le refus des chaînes françaises qui la jugent trop longue (4 heures) et lui reprochent deux scènes osées. Réalisé en treize jours par Bernard Sobel, ce film de théâtre est diffusé trois fois en RFA, mais il n’est jamais programmé en France.

En 1980, le cinéaste hongrois

Illustration 6
Affiche hongroise du film Mephisto d'István Szabó (1980) 

István Szabó adapte ce roman sous le titre  Mephisto  dans une production germano-austro-hongroise. En 1981 il reçoit l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, tandis qu'au Festival de Cannes il reçoit le Prix de la critique internationale ainsi que le Prix du scénario.

Enfin en 1981 en RFA, l’éditeur Rowohlt passe outre l’interdiction et publie ce livre qui est alors diffusé de façon officielle, sans que l'État n'y fasse obstruction.

Des années 80 à nos jours, moins d'une dizaine d'adaptations théâtrales de Mephisto est produite dans l'hexagone, ce qui est peu au regard d'autres textes durant la même période.

Depuis juin 2022, en France, quatre-vingt-sept députés d'extrême droite siègent à l'Assemblée nationale.


                                 Le cauchemar de Mephisto par Les Barbares

Cela fait maintenant quatre ans et demi que Jérémie Lebreton, metteur en scène de cette troupe, travaille sur ce texte et c’est encore d'une autre adaptation du Mephisto de Klaus Mann dont il est question ici.

A l’origine, ce spectacle est une réalisation de fin d’étude produite en septembre 2021 à la Manufacture, Haute École de la Scène des Arts de Suisse. Il a été joué quatre fois sans être repris. Le metteur en scène a donc remis son travail à l’ouvrage pour ce nouveau cycle de dix représentations.

Qui dit jeune théâtre, dit souvent : aventure collective, aléas imprévus, courage nécessaire, contraintes économiques, détermination joyeuse et autres inévitables rebondissements. Dans le cas présent, une actrice a dû être remplacée par un acteur, le scénographe n’est plus le même, l’éclairagiste et la costumière non plus. Ainsi, pour la première reprise de ce spectacle, la troupe achevait le réglage des arrangements sonores tout juste quinze minutes avant l’entrée du public…

C’est donc un jeune théâtre en haleine qu’il nous fut donné de découvrir, à travers un spectacle plein d’inventivité, de fracas scénographiques et d’engagements physiques, ayant pour toile de fond l’ascension du nazisme. Un cocktail détonnant, mais qui ce soir-là dans la salle ne fut pas du goût tou(te)s. Après tout, ne dit-on pas de l’enfer qu'il est pavé de bonnes intentions ? Or il faut effectivement un certain courage pour mettre en scène Mephisto.

Ce premier soir de reprise recueillait néanmoins de chaleureux applaudissements de la majorité du public. Sans doute parce que dès l’envoi de ce spectacle ces artistes partagent avec nous ce profond désir de jouer, de se lier à nous par l’imaginaire et la fiction, de jubiler, de blaguer, de jouir, de nous faire voyager tout à la fois dans le théâtre et dans l’Histoire.

C’est une création dont l’esthétique relève du studio de théâtre. Un espace inachevé et librement modulé par les interprètes à l’aide d’éléments évocateurs : flight cases, lustre et autres homards de guimauve, rideau rouge traité tel un oripeau, évocation de loge d’artiste en clair-obscur, brume de théâtre…

Pour autant ce n’est pas un théâtre de la déconstruction, mais bien du théâtre d’essai, où de nombreuses formes sont explorées : abolition du rapport scène/salle par le maintien des éclairages établissant l’unité, douche lumineuse rétablissant le jeu théâtral sous une forme captivante, séquences froides et autres séquences agitées soutenues par des néons ou bien encore un stroboscope.

C’est aussi du théâtre physique où s’incarnent les plaisirs, les excès, les querelles, les désirs, l’érotisme, les conflits théoriques sur le théâtre, ainsi que les conflits politiques sur le rôle du théâtre face au nazisme. Tandis que ces personnages basculent dans la débandade, les conflits verbaux sont d’une violence incroyable et la porte du théâtre est claquée avec colère. A divers moments la représentation n’hésite pas à tendre vers le gueuloir politique : on attrape un micro et on balance tout.

C’est aussi un spectacle très musical, qui par moments est soutenu par une création sonore, qui à d’autres moments fait place au piano et au chant, mais aussi à la batterie rock et aux séquences de musique électronique : un spectacle faisant s’alterner la poésie du théâtre avec l’enfer de la crise politique.

Dans cette tempête provoquée par l’ascension du nazisme, un rideau rouge fini par se dresser sur le fond du plateau. Tel un horizon lointain dont le ton pourpre aurait bien plus à voir avec le sang des victimes du nazisme qu’avec les ors du théâtre à l’italienne, il prend tour à tour les aspects d’une relique ou d’un manteau.

A l’issue de la représentation, j’ai souhaité m'entretenir avec Jérémie Lebreton, le metteur en scène, sur le choix de ce texte : « J’avais très envie de travailler cette idée de pacte avec le diable : jusqu’où peut-on aller pour son ambition ou pour ses rêves ? Nous sommes tous confrontés à la question de la compromission, la question de Mephisto, de travailler pour un système contre les idéaux qu’on prétend avoir, mais qu’on accepte pour une forme de reconnaissance. Nous y sommes tous plus ou moins confrontés, que ce soit dans le théâtre ou ailleurs. C’est toujours la question de l’équilibre entre nos croyances et le système dans lequel on est impliqué : qu’est-ce qu’on est prêt à accepter ? Ce spectacle pousse les limites jusqu’à l’extrême, en prenant le régime nazi comme une incarnation du diable sur Terre. »

Enfin, il convient de saluer le travail des jeunes artistes et techniciens de cette troupe, qu’il faudrait pouvoir tou(te)s citer et dont on retrouvera donc les noms ici.

La rencontre bord plateau, avec la troupe Les Barbares à l'issue de la représentation, aura lieu ce mardi 6 juin.

Souhaitons bonne chance à ce spectacle, qui est joué jusqu'au 14 juin, ainsi qu’à l’ensemble de ces Départs d’Incendies, qui ont lieu jusqu'au 2 juillet. Et vous qui me lisez : osez le choix du jeune théâtre et allez donc les découvrir ! 

Joël Cramesnil

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Mephisto - Klaus Mann

Par Woland

Le seul reproche que l'on pourrait faire à "Mephisto", c'est un début un poil trop lent même si la scène d'ouverture se situe à une réception donnée par Goering et son épouse, c'est-à-dire alors que Hendrik Höfgen est déjà devenu l'acteur du IIIème Reich.

D'un autre côté, cette lenteur s'allie bien avec ses débuts provinciaux et cette sensation d'enlisement dans la petite-bourgeoisie de province - son milieu natal - qui l'étouffe à un point tel qu'il est prêt à faire n'importe quoi pour prouver au monde qu'il s'en est sorti.

Le premier acte par lequel le futur comédien marque sa volonté d'en finir avec son enfance minable, c'est son changement de prénom. Il troque donc un "Heinz" tout ce qu'il y a de plus banal pour le très raffiné Hendrik, méprisant au passage la forme "Henrik" qui avait convenu à un Ibsen mais qu'il jugeait pour sa part trop plébéienne.

Maintenant, a-t-il du talent ? Oui, c'est indéniable. Ses pires ennemis eux-mêmes - et il s'en fait pas mal - ne le lui dénient pas. Sur scène, Hendrik Höfgen est un grand, voire un très grand. Seul bémol - qui ne retentit qu'à la fin, après la représentation d'"Hamlet" : il n'a pas cette grâce innée qui permet au comédien d' "être" tout et n'importe qui. Sa personnification du prince de Danemark est bonne, certes mais elle ne transcende rien : pour une fois, Hendrik Höfgen n'habite pas son personnage, Hamlet le fuit et le nargue car Hamlet n'est pas, ne sera jamais du côté des vainqueurs.

Autant qu'un réquisitoire implacable contre la lâcheté et le carriérisme, le "Mephisto" de Klaus Mann est aussi l'histoire d'une fascination amoureuse, celle que l'auteur éprouvait pour l'acteur Gustaf Gründsgen. Car, derrière "Mephisto", c'est bien son ancien amant que Mann met en scène. Il nous conte sa sexualité trouble, orientée vers le sado-masochisme, son impuissance vis à vis des femmes qui, pour lui, symbolisaient la Mère, sa soif d'arriver tout au haut de l'affiche, son désir de puissance et de reconnaissance, ses petites manies, son opportunisme sans vergogne et toutes ses traîtrises : envers ses camarades de scène, envers ses amis, envers son épouse légitime et même, par la réplique finale, celles, encore à venir, envers ses maîtres du moment.

Hendrik Höfgen est comme ça : une belle machine sans âme, simplement préoccupée d'elle-même, encore d'elle-même et toujours d'elle-même.

En toile de fond, les dernières années de la République de Weimar et l'arrivée au pouvoir des Nazis. De la démocratie corrompue qui agonise jusqu'à la dictature arrogante qui va prendre sa suite, Höfgen oscille entre des professions de foi plutôt à gauche et l'amitié du maréchal Goering qui le présentera au Führer. Mais le pire, c'est que, foncièrement, il n'a d'opinion sincère que sur lui-même. Les tourments politiques et sociaux, en fait, il s'en contrefiche - à condition toutefois qu'ils ne nuisent pas à son ascension sociale. C'est parce qu'il se sent menacé dans son confort - matériel et moral - que Höfgen se donne aux Nazis, non parce qu'il partage leurs idées sur la race ou le communisme. Cet homme qui, sur scène, est un sublime "Méphisto", se révèle, dans la vie, un petit bonhomme égocentrique qui traverse l'une des plus grandes tempêtes de l'Histoire sans pratiquement en avoir conscience.

Précis, littéraire et pourtant simple, parfois brillant, le style de Klaus Mann n'a pas, pour les digressions, l'amour qui caractérise celui de son père. Ses personnages sont moins "kolossaux" mais gagnent en complexité même si, bien entendu, le romancier se refuse à rendre subtils l'infernal trio des dirigeants nazis. Cà et là cependant, il nous laisse entendre que Goering (jamais appelé par son nom dans le roman mais toujours désigné sous le terme "l'Obèse" comme Goebbels est "le Boiteux") est bien plus intelligent et même bien plus ouvert qu'il ne veut le paraître.

Enfin, ce témoin privilégié rétablit l'Histoire en toute innocence, bien avant qu'elle ne soit réécrite. Il nous donne en effet du peuple allemand aux prises avec le Nazisme un portrait dépourvu de tout manichéisme. Après avoir lu "Méphisto", on comprend mieux pourquoi, après la guerre, la RFA fit grise mine devant les ouvrages de Klaus Mann : ce qu'il dépeignait ne correspondait pas tout à fait à ce que les vainqueurs voulaient imposer comme seule et unique vision de l'Allemagne hitlérienne. S'il n'y avait que cela dans Méphisto", ce roman vaudrait déjà d'être lu. Mais on y trouve aussi le talent d'écorché vif et l'humanité d'un écrivain qui mérite au moins autant que son père d'être cité avec honneur dans l'Histoire de la Littérature mondiale. Lisez, vous ne serez pas déçu.

editia germana: Klaus Mann, Mefisto. Roman einer karriere / Rowohlt Taschenbuch; 21. Auflage, Überarbeitete Neuausgabe (1 Oct. 2010)


 
editia romana
Klaus Mann, Mefisto, Ed.Leda, 2006

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Mephisto:(Les Cahiers Rouges) 



« ... Situé à la charnière grinçante du réel (politique) et de l'imaginaire (théâtral), ce roman rejoint la relation subtile et dangereuse de la vie et de l'oeuvre de l'écrivain (...) Parce qu'il sut garder l'allure et la réserve d'un grand bourgeois nordique. Thomas Mann put laisser libre cours dans son oeuvre à tous les démons de la chair et de l'esprit. Klaus Mann n'avait pas son génie, et son oeuvre multiple, abondante, brillante, relève plus du témoignage que de la création. Mais on peut imaginer que sa vie éclatée, déchirée, haletante était une réponse à celle par trop maîtrisée de son père. Thomas Mann n'avait jamais été jeune. Il incombait peut-être à Klaus Mann de ne pas pouvoir vieilllir. Le suicide à quarante-deux ans de cet éternel adolescent balance étrangement la terrible et efficace maturité de son père. »
Michel Tournier,
De l'Académie Goncourt
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Ariane Mnouchkine, Méphisto et le diable nazi
Article paru dans Les Nouvelles Littéraires N° 2688 du 23 au 31 mai 1979
Le spectacle inspiré à Ariane Mnouchkine par le Méphisto de Klaus Mann est plus qu’un reflet du monde théâtral de Weimar à la veille du fascisme. C’est une fable sur « l’émigration intérieure « .
Un visage blafard, le crâne rasé, lui aussi maquillé de blanc, un sourire sardonique qui déforme les traits, des cernes noirs qui soulignent les yeux tandis que des paillettes d’argent émaillent les tempes : images parmi d’autres qu’il est fréquent de retrouver dans les histoires du théâtre allemand ou les monographies consacrées à l’acteur Gustav Gründgens. C’est ainsi qu’il triompha sur scène dans les années trente, c’est ainsi qu’il apparaît encore dans sa version filmée du Faust de Goethe. Je me souviens aussi de l’impression de malaise ressentie en regardant d’autres photographies sur de vieux programmes de théâtre datant de l’époque hitlérienne. Le maquillage est identique, les traits moins sévères. Au-dessous de sa photographie, une immense croix gammée. Méphisto, Gustav Gründgens a toujours aimé jouer avec ses images et sa légende. Cet acteur compte assurément parmi les plus grands de sa génération. Même pour ceux qui ne l’ont jamais vu sur scène, on ne peut nier l’étrange fascination qu’exerce son personnage. Né le 21 décembre 1899, celui qu’on appelait familièrement « G.G. » étudia le théâtre à Düsseldorf, connut d’abord des débuts difficiles dans les théâtres de province avant d’être engagé à Hambourg en 1923, faute d’avoir pu s’établir à Berlin. C’est au Kammerspiel d’Erich Ziegel que s’affirme sa carrière comme acteur et comme régisseur. Connu, il le devint assez vite dans le petit monde où il vit. Parmi ses amis, il compte Pamela Wedekind, Erika et Klaus Mann. Ces derniers rêvent aussi de théâtre et de littérature. Klaus veut devenir comme son père un « grand écrivain ». Erika se prend pour une actrice. Gründgens s’est-il sincèrement épris d’Erika ou a-t-il vu dans un mariage avec le fille de Thomas Mann une possibilité d’ascension sociale ? Nul ne pourra l’établir vraiment. Ce qui est certain, c’est qu’il l’épouse, est introduit chez les Mann. Ses idées politiques sont progressistes. sans être communiste, il sympathise avec eux. Par ailleurs, son talent comme acteur et metteur en scène est indéniable. Pourtant en 1926, il quitte Erika et ne reviendra plus. Depuis 1926, il peut se vanter d’avoir été invité chez Max Reinhardt et à partir de 1927, il est engagé dans son théâtre de Berlin. Lui, l’acteur de province, peut désormais se mêler aux grands acteurs de la capitale allemande : il se veut l’égal de Werner Krauss, Peter Lorre, Fritz Kortner, Hans Albers, Alexandre Cranach. A force de travail, il est vite remarqué par la critique et, en 1932, il incarne dans Faust, Méphisto. Ce n’est, bien sûr, pas le rôle le plus important. C’est Werner Krauss qui joue le vieux docteur. Mais l’interprétation qu’il donne du diable est surprenante et saluée par les critiques.
Une irrésistible ascension
Sept semaines plus tard, Adolf Hitler devient chancelier du Reich. Alors que de nombreux acteurs comme Kortner prennent le chemin de l’exil, sont exclus des théâtres comme juifs ou sympathisants communistes, Gustav Gründgens poursuit son irrésistible ascension. Il s’identifie à Méphisto. Mais c’est lui qui, en fait, signera le pacte avec le diable. Hermann Göring est tellement séduit par son interprétation, qu’il tient à le féliciter en personne. Bientôt, il sera nommé intendant des théâtres de Prusse. Méphisto, le rôle qui le rendit populaire à Berlin, il continue à l’interpréter sous le IIIè Reich.
Le cas de Gründgens n’a rien d’exceptionnel. De tous ceux qui se compromirent avec le régime nazi, il fut peut-être l’un des rares à garder une certaine honnêteté. Si on lui reproche d’avoir accepté les honneurs des mains des bourreaux, nul ne peut l’accuser de dénonciations. Après la guerre, certains exilés ou opposants antinazis prendront sa défense. Brecht lui gardera son estime. Si l’on examine la compromission d’un Emil Jännings, le professeur Unrath de l’Ange Bleu, d’un Heinrich George, contre-maître dans Métropolis de Fritz Lang, qui hurlèrent avec les loups par conviction (George) ou intérêt personnel (Jännings), leur cas est infiniment plus infamant que celui de Grundgens. Pourquoi est-il donc devenu une figure légendaire ?  A cause de son interprétation géniale de Méphisto sans doute, de son talent, de son ambiguïté, mais surtout par un roman : celui que lui consacra son beau-frère Klaus Mann, Méphisto (1).
Klaus Mann ne fut pas seulement ce « fils à papa » doué, infantile et vaniteux que l’on présente souvent. Enfant de la bourgeoisie dorée, écrasé par son père Thomas Mann et son oncle Heinrich, c’est aussi un être torturé par son identité – et comment s’en étonner ! – qui écrira rien moins que deux autobiographies, et qui se suicidera à quarante -trois ans. Hypersensible, Klaus Mann fut aussi un grand écrivain, auteur de plusieurs romans, pièces de théâtre, essais dont on ne saurait assez regretter l’absence de traduction comme celle de son admirable autobiographie, écrite en Amérique, Wendepunkt, en exil. Même si Méphiston’est pas une très grande oeuvre littéraire, c’est plus un cri de vengeance contre celui qui épousa sa soeur bien-aimée. Etonnant roman à clefs, il fait surgir le monde du théâtre de Weimar, plus particulièrement berlinois à la veille de la montée des nazis au pouvoir. C’est un acte d’accusation porté par l’un des plus célèbres émigrés antinazis contre tous ceux qui demeurèrent en Allemagne, choisissant le destin si ambigu de l’ »émigration intérieure » ou qui collaborèrent avec les nazis. Faut-il rappeler que la plus célèbre polémique autour de l’expressionnisme, celle qui opposa, en 1938-1939, dans Das Wort, partisans et adversaires du mouvement, eut comme point de départ immédiat la lettre adressée par Klaus Mann au poète Gottfried Benn, lui demandant s’il était vraiment rangé du côté de la barbarie.
On retrouve dans Méphisto,la description assez précise de la carrière de Gründgens, et Klaus Mann fait surgir beaucoup de personnalités intellectuelles de l’époque sous des noms déguisés et que l’on déchiffre assez facilement : Höfgen (Gründgens), von Muck (Hanns Johst), Lotte Lindenthal (un mélange de Léni Riefensthal et d’Emmy Sonnemann), Rachel Mohrenwitz (Mirjam Horwitz), Barbara Brukner (Erica Mann), le  » Professeur  » (Max Reinhardt) et Otto Ulrichs (Hans Otto) acteur communiste , révolutionnaire assassiné par la Gestapo en novembre 1933. Le roman de Klaus Mann n’est pas seulement fondé sur la description de l’itinéraire de Gründgens mais sur l’opposition entre deux destins : celui de Méphisto qui triomphe devant les nazis et celui de son ami, Hans Otto, torturé, assassiné par la Gestapo, qui refusera de  renoncer à ses convictions. Quoi de plus symbolique que les dernières phrases du roman. Un communiste évadé vient apprendre à Höfgen la mort de son ami Otto Ulrich et lui apporte son ultime salut. Höfgen s’effondre en pleurnichant : « Que me veulent les hommes ? Pourquoi me poursuivent-ils ? Pourquoi sont-ils si durs ? Je ne suis pourtant qu’un comédien tout à fait ordinaire !…Même si Höfgen n’est pas totalement Gründgens, la ressemblance était si frappante que le roman fut saisi sur l’ordre des héritiers de l’acteur en Allemagne fédérale.
Thomas Mann lui-même
Transformer ce roman d’un destin et d’une génération en oeuvre dramatique était une entreprise d’une rare difficulté. Ariane Mnouchkine l’a réussie admirablement. Dans l’immense salle, deux théâtres se font face : celui où triomphe Höfgen (Hambourg, Berlin) avec son lourd rideau écarlate et doré et sa rampe de lumières, les cris des admirateurs et celui qu’anime Otto Ulrich, le théâtre révolutionnaire, puis, plus tard, le cabaret antinazi animé par Erika Mann et connu sous le nom du Moulin à poivre. Dans un cadre de formes Kitsch qui semblent ridiculiser les décors montagneux qui rappellent les peintures « classiques » , un autre langage se fait jour, celui dont parle Brecht dans ses Cinq difficultés d’écrire la vérité. Le personnage d’Höfgen/Gründgens est d’un réalisme saisissant, la trame du roman, son émotion, son tragique nous sont restitués avec autant de sensibilité que de beauté. Lorsqu’apparaît le vieux Brukner, on croit réellement voir Tomas Mann lui-même. Ariane Mnouchkine, avec autant d’érudition que de sensibilité est parvenue à recréer un portrait de Klaus Mann étonnamment contrasté et véridique, avec sa grandeur, sa faiblesse, son éternelle adolescence qui est une façon de n’en avoir jamais eue. Certains personnages ont leur nom transformé pour rendre hommage à d’autres victimes du nazisme. Derrière les figures présentes sur la scène surgissent les ombres de Carola Neher, l’actrice qui immortalisa la Poly Peachum de l’Opéra de quat’sous, victime des purges staliniennes au cours de son exil en URSS, Therese Giese, actrice de Brecht aussi qui participa au Moulin à poivre, Elisabeth Bergner, symbole du théâtre des années vingt, Pamela Wedekind, J. Gottschalk qui connu comme tant d’acteurs et de metteurs en scène anti-nazis une mort tragique. Grâce à Ariane Mnouchkine, il reprennent vie, sortent de la nuit, l’espace d’un instant.
On ne sait ce qu’il faut le plus admirer et saluer dans son spectacle : son intelligence, sa puissance d’évocation, sa générosité, son courage, son actualité. Plus que l’adaptation d’un roman, c’est un travail étonnant effectué au niveau du langage qui permet à ce pauvre livre d’éclater avec autant de force et de beauté. Tandis que Höfgen s’effondre et se lamente, et que la nuit envahit la salle, un mur s’illumine d’images grises et de noms : images des camps de la mort où périrent tant d’artistes allemands et rappel de tous ceux qui furent assassinés par les nazis, qui incarnèrent la grandeur de la vie artistique des années vingt et l’honneur de l’Allemagne.
Une réflexion sur Toller
Après la première, un vieil homme venu de Berlin-Est prend la parole pour remercier la troupe. Il s’appelle Kurt Trepke. Jadis acteur de Piscator et membre du théâtre de rues à Berlin dans les années vingt, il partagea le destin des émigrés antinazis, s’exila en Union soviétique, puis en Suède. Avec des mots simples, ému d’être invité, il rappelle ce que signifia leur combat et il remercie ceux qui ont fait revivre sur la scène la tragédie de sa génération. L’alerte septuagénaire (?) veut parler à l’acteur qui joue le rôle de Hans Otto. Il le regarde longuement et me demande de traduire en français ses souvenirs qu’il raconte lentement d’une voix grave. Hans Otto avait été torturé pendant dix jours par les S.A. Son visage était méconnaissable. A la fin, ne pouvant le faire parler, ils le jetèrent par la fenêtre du second étage. Agonisant, couvert de sang, Hans Otto sourit faiblement à un autre acteur communiste arrêté en même temps que lui. Il mourut en disant ;  » Tu vois, c’est le plus beau rôle que l’on ait joué dans toute notre carrière. »
Il est plus de deux heures du matin quand Kurt Trepke accepte d’être ramené chez lui. Il serre les mains, souriant et toujours ému, achevant avec regret une réflexion sur Toller, un souvenir sur Piscator en URSS, le récit d’une visite à Brecht. On salue le vieil acteur qui n’avait pas revu Paris depuis les années trente et qui dans sa simplicité a quelque chose de bouleversant, comme le spectacle lui-même.
Jean-Michel PALMIER
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MEPHISTO / d’après Klaus Mann
Mise en scène d’Ariane Mnouchkine - Cartoucherie

Mephisto

Publié le 31 Août 2009                                                                                                      

Klaus Mann  

    Klaus Mann était un écrivain allemand, né en 1906 à Munich et décédé en 1949 à Cannes, fils de Thomas Mann.
   Nous entrons avec lui dans l'univers du théâtre dans les années 1930, alors que la société allemande, frappée d'aveuglement, attendait du Fuhrer une Allemagne nouvelle, malgré l'installation des premiers camps de concentration.

    Hendrik Hofgen est un très grand comédien. Toute sa vie ne tourne qu'autour du théâtre dans lequel il excelle, jouant tous les rôles à la perfection, sachant se glisser dans la peau de tous ses personnages, les faisant vivre avec vivacité à travers lui. C'est cette aptitude géniale qui attire en foule les berlinois qui reconnaissent en Hofgen un acteur de grand talent.


     Hendrick vit en Allemagne sous le régime national-socialiste. Petit à petit il ne peut ignorer les atrocités qui se commettent journellement. Mais il préfère fermer les yeux car sa carrière est en jeu. Non, tout ceci n'est pas son problème, il n'y peut rien, il n'est pas responsable de tout cela. D'ailleurs est-ce bien vrai? N'exagère t-on pas? Lui, il fait du théâtre, rien que du théâtre, il n'y a que ça qui compte. Il accumule les succès, il faut qu'il monte, monte encore, toujours plus haut, jusqu'au sommet. Pour y parvenir, il fait des sacrifices, renonçant à certaines commodités, mais écrasant ainsi beaucoup de monde:
    "Et vous, cher monsieur Hofgen, vous serez de ceux qui sautent le plus gracieusement par-dessus les cadavres. Vous êtes un très charmant fils du monde souterrain - rien d'étonnant si monsieur le président du Conseil vous distingue."
    Un soir enfin il a la possibilité  de jouer devant "l'obèse", (Goering) et c'est le rôle de Méphisto qu'il interprète: Méphisto Phélès le diable. Les deux hommes sont en face l'un de l'autre et le jeu d'Hofgen renvoie subtilement l'image diabolique du dictateur.
   

    Plus tard, Hofgen joue Hamlet, mais il le joue mal ne parvenant pas à entrer dans le personnage du prince danois et pour cause: "Tu n'es pas Hamlet, lui répondait le prince. Tu n'as pas la noblesse que seules donnent la souffrance et la connaissance. Tu n'as pas assez souffert et ce que tu as connu n'a pas eu à tes yeux plus de prix qu'un titre séduisant et des appointements considérables. Tu n'es pas noble, car tu es le singe du pouvoir, un clown pour la distraction des assassins."

     Ce que j'en pense:
J'ai beaucoup aimé ce livre pour les descriptions que l'auteur fait du monde du théâtre dans cette époque troublée, et particulièrement la description que Klaus Mann fait du comportement ambigu de quelques acteurs face aux atrocités du nazisme.


 
E Delacroix / Méphistophélès apparaissant à Faust,  gravure, 1827

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