vineri, 13 noiembrie 2020

Pavel Florenski (1882-1937) / 2

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http://lechatsurmonepaule.over-blog.fr/article-paul-florensky-la-colonne-et-le-fondement-de-la-verite-115471509.html

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Père Paul Florensky, La Colonne et le Fondement de la Vérité, traduit du russe par Constantin Andronikof, aux éditions l'Âge d'Homme.

"L’expérience vivante de la religion, en tant que seul moyen légitime de connaître les dogmes », c’est ainsi que Florensky qualifie le propos général de ce monumental essai d’une théodicée orthodoxe. Cette oeuvre est une somme de la culture et de la pensée religieuse russes. "

Au lecteur :

"L'expérience vivante de la religion, en tant que le seul moyen légitime de connaître les dogmes" : c'est ainsi que je qualifierais le propos général de mon livre, ou plutôt des Essais que j'écrivis à différents moments et sous l'empire de sentiments divers. Ce n'est qu'en se fondant sur l'expérience immédiate que l'on peut se faire une vue d'ensemble et une idée de la valeur des trésors spirituels de l'Eglise. Ce n'est qu'en essuyant d'une éponge humide les écrits anciens pour les laver d'une eau vive que l'on arrive à distinguer les lettres tracées par l'Eglise. Ses ascètes sont vivants pour ceux qui vivent, ils sont morts pour ceux qui ne vivent pas. Pour une âme enténébrée, les visages des saints se couvrent d'ombre ; pour une âme paralytique, leurs corps se figent dans une immobilité effrayante. L'on sait que les hystériques et les possédés en ont peur. Et n'est-ce pas notre péché envers l'Eglise qui nous la fait regarder à la dérobée avec crainte ? Mais pour des yeux clairs, le visage des saints reste lumineux, "comme celui d'un ange". Pour un coeur purifié, ils sont toujours accueillants ; comme par le passé, leurs appels s'adressent à ceux qui ont des oreilles pour entendre. Pourquoi le peuple, dans sa simplicité directe, se tourne-t-il spontanément vers ces justes, me demandé-je ? Pourquoi trouve-t-il chez eux la consolation à sa peine muette, la joie du pardon, la beauté de la fête céleste ?..." (Paul Florensky) 

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Silhouette du Père Paul Florensky, par N.R. Simonovich-Efimov, 1920

Pour rendre fidèlement compte de ce livre monumental de la pensée religieuse russe, il faudrait une très longue introduction. Nul mieux que le Père Paul Florensky lui-même ne saurait le faire en bref. Nous citons donc ou paraphrasons succintement ce qu'il en dit dans sa postface et dans son allocution de soutenance :

"Il y a deux mondes. celui-ci est pulvérisé par ses contradictions, à moins qu'il ne vivre par les vertus de l'autre. La raison elle-même est déchirée par ses antinomies innombrables, qui se ramènenent toutes au dilemme : le fini ou l'infini. Les deux lois internes de la raison, la statique et la dynamique, s'excluent mutuellement, bien qu'elles ne puissent exister l'une sans l'autre. Alors, comment la raison est-elle possible ?  Ce travail-ci dans son ensemble est un essai pour répondre à cette question.

La raison est rendue possible par l'objet de son activité, quand il est tel que le principe du fini et de l'infini y coïncident, quand il est l'Unité trine, objet de toute la théologie, thème de toute la liturgie, précepte de toute vie. La raison est possible dans la mesure où elle vit à l'éclat de la triple Lumière.

Or la raison n'est pas une boîte où l'on pourrait introduire n'importe quoi. Elle est l'organe d'une personne vivante, un mode de relations entre le connaissant et le connu, à savoir : un aspect de la cohérence de l'être même.

C'est la vérité qui rend la raison rationnelle et intelligente, ce n'est pas la raison qui rend vraie la vérité. Ainsi que la recherche le découvre, ce caractère véridique par lui-même de la vérité s'exprime par le thème d'homoousia, de consubstantialité. Le dogme de la Trinité apparaît alors comme la racine commune de la religion et de la philosophie. En lui, l'opposition fondamentale entre celles-ci est surmontée. Tel est le contenu du présent ouvrage.

Quant à la méthode qui y a été suivie, c'est celle de la dialectique, entendue au sens large d'une pensée immédiate et vivante. Et si vous demandez au dialecticien : où sont vos définitions ? Il vous répond : "Partout, si j'ai écrit quelque chose de sensé ; nulle part, si mon livre n'est pas réussi." L'ouvrage est la définition de l'objet qu'il examine. Ici, cet objet est la vérité spirituelle ou, si vous voulez, l'ecclésialité. Et si je commence par dire que l'ecclésialité est indéfinissable, je consacre tout un livre à montrer l'ecclésialité dans ses différents domaines et diverses profondeurs.

L'on a assez fait de la philosophie de la religion et sur la religion. Il faut philosopher dans la religion, en se plongeant dans son milieu.

A chaque sujet de la dialectique correspond un certain sujet, un type déterminé, un moi concret, mais dont l'originalité n'est pas contingente ; c'est un moi méthodologique. Si, selon la Bible, le mariage est une connaissance et si la connaissance est un mariage sui generis, on ne saurait marier une réalité donnée avec n'importe quoi. Cependant, la dialectique est le développement non d'une pensée, mais de plusieurs, qui se combinent et s'interpénètrent pour ressortir à nouveau. De même que dans la vie, le tout intégral est formé par un ensemble de fonctions et non par des principes abstraits et disparates, dans la dialectique, ce n'est qu'en développant le contrepoint des mélodies fondamentales que l'on peut approfondir d'une manière vivante l'objet de son étude."

Le sujet méthodologique de Florensky est, somme toute, la conscience ecclésiale. Celle-ci est personnelle, étant manifestée par celle de l'auteur, mais elle est aussi commune, encore que multiforme, étant celle de la tradition millénaire fait personnellement partager aux chrétiens, selon la sagesse de Dieu. Quant à l'objet, c'est encore l'Eglise, mais dans l'inépuisable richesse des aspects de sa vie, qui vont du dogme à la logique mathématique et de la prière à l'oeuvre.

En vertu de sa liberté, l'homme peut choisir l'une des deux voies qui s'ouvrent à son activité : celle de la géhenne, celle de l'ascèse intellectuelle et spirituelle. Elles sont liées à la double nature du crée. Celle-ci amène l'auteur à examiner la question de "l'Eglise mystique" et de l'image de Dieu en l'homme, et la question de l'Eglise sous son aspect proprement humain et empirique, en tant que le milieu où chacun construit sa personne. Le terrain psychologique de cet aspect de la vie écclésiale est fourni par l'amour et l'amitié.

C'est ainsi que la conscience s'achemine vers la Colonne et le Fondement de la Vérité. Ce qui serait impossible si l'expérience de la pensée et du coeur ne montrait pas que "la Vérité elle-même pousse l'homme à chercher la vérité".

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Le Père Paul Florensky en compagnie de Serge Boulgakov en 1917, peinture de Mikhail Nesterov

UN TÉMOIN DU CHRIST
FACE AUX COMMUNISTES

par Paul Ladouceur            link

Le père Paul Florensky était un des plus éminents représentants de la renaissance religieuse en Russie au début du XXème siècle. Il était un de ces rares génies universels, possédant des connaissances dans des domaines aussi diversifiés que les mathématiques, la physique, l’électronique, la philosophie, la théologie, la philologie, l’art, la musique, le folklore ; il était polyglotte, connaissant la plupart des langues européennes importantes, ainsi que les langues anciennes, le latin et le grec, et les principales langues du Caucase. Le père Serge Boulgakov écrit de son ami le père Paul Florensky : " De tous mes contemporains qu’il m’a été donnés de rencontrer au cours de ma longue vie, c’est lui le plus grand… L’œuvre véritable du père Paul, ce ne sont pas ses livres, ni ses pensées et ses paroles, mais lui-même, et toute sa vie, qui est passée au retour de ce siècle au siècle à venir. "

Pavel Alexandrovich Florensky est né le 21 janvier 1882 dans la ville de Yevlakh, en Azerbaïdjan dans le Caucase. Son père était ingénieur de chemin de fer, descendant d’une famille de prêtres orthodoxes ; sa mère était de la noblesse arménienne de Géorgie. Mais la famille n’était pas pratiquante, les parents préférant transmettre à leurs sept enfants une conception scientifique du monde. Le jeune Paul passa au bord de la mer Noire une enfance heureuse dont il a fait le récit dans ses Souvenirs d’une enfance au Caucase (trad. française, 2007), souvenirs et conseils adressés à ses enfants. La nature était pour lui un lieu privilégié d’expérience et de connaissance, autant par ce qu’elle révèle que par ses mystères.

À l’âge de 17 ans, Paul eut des expériences mystiques qui lui laissèrent convaincu que la vérité de la vie puisait sa source dans un " monde supérieur " à celui saisi par la seule conception scientifique du monde.

C’est alors qu’il se mit à la recherche de cette Vérité " source de vie ". Cette recherche le mena néanmoins dans un premier temps à approfondir ses connaissances scientifiques. Après avoir terminé ses études au lycée de Tiflis, Paul Florensky entra au département de mathématiques de l’université de Moscou, étudia parallèlement la physique et il s’intéressa à la philosophie, la théologie, l’art et tout le domaine de la créativité humaine. Après ses études à l’université (1900-1904), il refusa un poste d’enseignant à l’université, choisissant plutôt d’étudier la théologie à l’Académie ecclésiastique de Moscou, située au monastère de la Trinité-Saint-Serge à Sergiyev Posad, au nord de Moscou. Pendant ses études à l’Académie, Florensky a été très marqué par la connaissance d’un starets vivant à proximité, l’hiéromoine Isidore. Florensky reconnaît avoir une grande dette à l’égard d’Isidore et peu après le décès du starets en 1908, Florensky écrivit sa vie (Le sel de la terre ou la vie du starets abba Isidore, trad. française, 2002). En 1908 Florensky commença à enseigner l’histoire de la philosophie à l’Académie ecclésiastique et en 1910 il se maria avec Anna Mikhailovna (1883-1973). Les Florensky ont eu cinq enfants et la vie familiale de Paul Florensky fut particulièrement riche. En 1911, il fut ordonné prêtre et en 1914 il publia son œuvre majeure, La colonne et le fondement de la Vérité : un Essai sur la théodicée orthodoxe. Proche ami du philosophe et théologien Serge Boulgakov, le père Paul Florensky était aussi le guide spirituel d’un écrivain russe controversé, Vassili Rozanov. 

La colonne et le fondement de la Vérité signalait un nouveau départ dans la théologie russe. La thèse principale était que la vérité dogmatique ne peut être appréhendée que par l’expérience religieuse vécue. Il liait cette affirmation à sa conception fondamentale que toutes les personnes sont consubstantielles entre elles, étant les créations de la Sainte Trinité, dont elles reflètent la lumière divine. Il s’est affranchi du genre de théologie que les Russes avaient empruntée à l’Occident au XVIIIème siècle. Par son utilisation des icônes et du folklore et de l’art religieux russes comme manifestations de l’enseignement orthodoxe, il a rétabli le contact avec la Russie d’avant l’occidentalisation initié par Pierre le Grand et ses successeurs. Il faisait appel aussi aux données contemporaines de la pensée et de la science en les incorporant comme matériaux pour la construction de sa présentation inhabituelle mais orthodoxe de la foi chrétienne. Ses réflexions théologiques étaient accompagnées par des commentaires lyriques, des allusions personnelles et des descriptions poétiques de paysages russes. L’aspect le plus contesté de Colonne et Fondement est sans doute sa présentation de la divine Sophie, sorte de personnification de l’idée divine sur le monde.

Pendant cette période d’avant la Première Guerre mondiale, Florensky publia des travaux en philosophie, théologie, théorie de l’art, mathématiques, électrodynamique, ainsi que les lettres d’Alexandre Boukharev, théologien du milieu du XIXème siècle. Il enseigna la philosophie à l’Académie théologique et desservit l’église de Saint-Serge. Entre 1912 et 1917, il fut le rédacteur en chef de la revue théologique de l’Académie de Moscou, Bogoslovskii vestnik (Le Messager théologique).

Après la révolution bolchevique d’octobre 1917, Florensky formula sa position comme suit : " J’adhère à une vision philosophique et scientifique du monde que j’ai développée, qui contredit l’interprétation vulgaire du communisme... mais cela ne m’empêche pas de travailler honnêtement au service de l’Etat ". Après la fermeture du monastère, de l’Académie théologique et de l’église Saint-Serge par les Bolcheviques, Florensky travailla à Moscou pour le Plan d’État pour l’électrification de la Russie, avec le soutien de Léon Trotski, qui croyait fortement dans la capacité de Florensky à aider le gouvernement à électrifier les zones rurales de Russie. Selon le témoignage de contemporains, la vision de Florensky en soutane de prêtre, travaillant au département gouvernemental ou faisant des conférences scientifiques devant des scientifiques et des ingénieurs, était étonnante.

En 1922, il publia une monographie sur le diélectrique. Il agit aussi comme secrétaire scientifique de la Commission historique de la Trinité Saint-Serge et publia des travaux sur les icônes et l’iconostase. Plusieurs de ses écrits sur les icônes et sur l’art furent publiés en français sous le titre La perspective inversée. L'iconostase et autres écrits sur l'art (1992 ; voir un extrait de ce livre, pages 27 à 31). Au milieu des années 1920, il travailla principalement sur la physique et l’électrodynamique, publiant son principal travail de science pure, Les nombres imaginaires en géométrie (1924)  consacré à l’interprétation géométrique de la théorie de la relativité d’Albert Einstein. Il déclara que la géométrie des nombres imaginaires prévue par la théorie de la relativité pour un corps se déplaçant à une vitesse supérieure à celle de la lumière est la géométrie du Royaume de Dieu.

En 1928, Florensky fut arrêté par l’OGPOu (prédécesseur du NKVD et du KGB), interrogé à la Loubianka, la prison centrale de Moscou, il fut classé dans la catégorie des " éléments socialement nuisibles " et exilé à Nizhni-Novgorod. Après l’intervention de Ekaterina Peshkova, ancienne épouse de l’écrivain Maxime Gorky, Florensky fut autorisé à revenir à Moscou. En février 1933, il fut de nouveau arrêté et condamné à dix ans dans les goulags en vertu de l’article 58 du code pénal stalinien (clauses 10 et 11 : " agitation contre le système soviétique " et " publication de matériel d’agitation contre le système soviétique " ; le " matériel d’agitation " en question était la monographie sur la théorie de la relativité. Envoyé dans la région de l’Amour en Extrême-Orient, il faisait des recherches sur le pergélisol. En octobre 1934, il fut envoyé au camp de concentration établi par les communistes à l’ancien monastère de Solovki, situé en Arctique, sur une île dans la mer Blanche. Là, il continuait ses recherches, entre autres, sur l'extraction de l’iode et l’agar des algues ; il établit même une usine de production.

De tous les grands théologiens d’avant la révolution de 1917, il est le seul à être resté volontairement en Russie. Il aurait pu facilement s’échapper en Occident, mais il préférait rester dans sa terre natale pour témoigner du Christ vivant face aux athées. En 1937, il fut traîné devant une " troïka " du NKVD à Leningrad ; on le condamna à mort et peu après, le 8 décembre 1937, il fut fusillé, devenant un des milliers, voire des millions de martyrs pour la foi.

Pendant longtemps les soviétiques gardèrent secret son exécution, propageant une rumeur qu’il serait décédé et 1943. Ce n’est qu’après l’ouverture des archives du KGB suite à l’effondrement de l’Union soviétique qu’on a su le lieu et la date de son exécution (voir ici-bas " Un Leonardo russe : Le dossier KGB de Pavel Florensky ").

Il y a un intérêt croissant pour la vie et les œuvres du père Paul Florensky depuis une vingtaine d’années. Les traductions de son œuvre majeure, La colonne et le fondement de la Vérité, sont parues en français en 1975 et en anglais en 1997. On a réédité ses œuvres en Russie et on a publié plusieurs grandes études sur lui : trois en russe, deux en italien, une en français, une en anglais et une en allemand. On continue à traduire ses œuvres en français ; la dernière publiée était Souvenirs d’une enfance au Caucase et la publication de ses lettres du camp de Solovki est prévue prochainement.

Martyrisé pour sa foi, le père Paul Florensky n’a pas encore été formellement canonisé par le Patriarcat de Moscou ou par l’Église russe hors-frontières - cette dernière a cependant canonisé tous les martyrs du joug communiste et c'est à ce titre que beaucoup considèrent Paul Florensky comme saint. Ainsi il figure sur une icône de nouveaux martyrs du régime communiste de l’Église russe hors-frontières et sur la liste de saints de plusieurs paroisses orthodoxes aux États-Unis.

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Paul Florensky

Paul Florensky
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Naissance
IevlakhGouvernement d'Elizavetpol
Décès (à 55 ans)
Près de Leningrad
Sépulture
Nationalités
RusseSoviétiqueRusse (-)Voir et modifier les données sur Wikidata
Formation
Faculté de physique et de mathématiques de Moscou (d) (jusqu'en )Voir et modifier les données sur Wikidata
Principaux intérêtsPhilosophieThéologie,MathématiquesÉlectrotechnique
A influencéAlexander Men

Paul Florensky1 (en russe : Павел Александрович Флоренский, Pavel Aleksandrovitch Florenski ;  - ) est un théologien orthodoxe russephilosophemathématicieninventeur et ce que, dans l'orthodoxie, l'on appelle un néo-martyr2.

Il fut parfois comparé par ses contemporains à Léonard de Vinci du fait de l'étendue des domaines auxquels il s'intéressait et dans lesquels il excellait, 3,4 et à Blaise Pascal.

Défenseur en peinture de la perspective inversée, il est souvent cité par le peintre britannique contemporain David Hockney.

Pavel Alexandrovitch Florensky est né le , premier enfant d'Alexandre Ivanovitch Florensky ingénieur, construisant un tronçon du Chemin de Fer du Caucase, à Ievlakh localisée dans l'ouest de l'Azerbaïdjan actuel. Son grand-père Ivan était médecin militaire, fils d'un prêtre orthodoxe. Sa mère, Olga (Salomia) Saparova (Saparian), est issue de la noblesse arménienne de Géorgie5,6. Après avoir terminé ses études avec la médaille d'or au IIe Gymnase Classique de Tiflis en 1899, il entre au Département de Mathématiques de l'Université Impériale de Moscou, tout en étudiant parallèlement la philosophie.

Une fois achevées ses études à l'Université Impériale de Moscou en 1904, Florensky refuse un poste d'enseignant à l'université et choisit de continuer à étudier la théologie à l'Académie ecclésiastique de Moscou, sise à Serguiev Possad. En collaboration avec ses camarades d'études Vladimir Ern, Valentin Sventsitsky et Brikhnitchev, il fonde une association, l'Union du combat chrétien (Союз Христиaнской БорьбыSoïouz Khristianskoï Bor'by), avec la visée révolutionnaire de reconstruire la société russe selon les principes de Vladimir Soloviev. Il est arrêté en 1906 pour avoir écrit et diffusé un texte contre la peine de mort, intitulé "Le Cri du Sang", contre l'exécution du Lieutenant (Enseigne de Vaisseau) Schmidt. Condamné à 3 mois de prison, il est libéré au bout de quelques jours à l'intervention du recteur de l'Académie de Théologie et d'autres personnes. Il perd ensuite tout intérêt pour le Mouvement du christianisme radical.

Son goût le porte à s'intéresser, pendant ses études à l'Académie ecclésiastique, à la philosophie, à la religion, à l'art et au folklore. Il fréquente les symbolistes russes. C'est en 1903 que commence son amitié avec Andreï Biély, qui est le fils de son professeur de mathématiques à l'Université Nikolaï Bougaïev et qu'il publie des travaux dans des revues, telles que Nouvelle Voie (Новый Путь) et Balance (Весы). Il commence aussi à élaborer son travail philosophique le plus important : La Colonne et le fondement de la vérité : un essai sur la théodicée orthodoxe en douze lettres. Le livre est publié dans son intégralité seulement en 19147, mais la plus grande partie À propos de la Vérité spirituelle constitue son travail de fin de ses études à l'Académie en 1908.

Le , il épouse Anna Mikhaïlovna Giatsintova qui lui donnera trois fils et deux filles. Il est ordonné prêtre en 1911. Il publie des travaux en philosophie, en théologie, en théorie de l'art, en mathématiques et, après la révolution bolchévique, en électrodynamique. Entre 1911 et 1917, il est rédacteur en chef de la publication de théologie orthodoxe la plus autorisée à l'époque, Bogoslovsky Vestnik Le Messager Théologique de l'Académie Ecclésiastique de Moscou. Il est proche de l'écrivain inclassable Vassili Rozanov. A la veille de sa mort, à Serguiev Possad en , Florensky lui portera les derniers sacrements et plus tard dans sa correspondance avec sa famille, il considérera Rozanov comme l'un des très rares authentiques génies qu'il connût avec André Biely.

Après la Révolution d'Octobre, il formule sa position comme suit :

« J'adhère à une vision philosophique et scientifique du monde que j'ai développée et qui contredit l'interprétation vulgaire du communisme... mais cela ne m'empêche pas de travailler honnêtement au service de l'État. »

Après la fermeture, par les bolchéviques, de la Laure de la Trinité-Saint-Serge (avril 1919) et des églises de Serguiev Possad (1921), dont celle où il était prêtre, il part pour Moscou, afin de travailler à l'organisation du Plan d'État pour l'Électrification de la Russie (GOELRO), sur la recommandation de Léon Trotsky. Ce dernier est fermement convaincu de la capacité de Florensky à aider le gouvernement à électrifier les zones rurales de Russie. Selon le témoignage de contemporains, la vision de Florensky en soutane de prêtre, travaillant aux côtés des autres chefs du département gouvernemental, était remarquable. De 1921 à 1924 il enseigna au Vkhoutemas. "Ateliers supérieurs artistiques et techniques", où les constructivistes et les militants du "Front gauche de l'art" (LEF) lui menèrent la vie dure.

En 1919, il travaille aussi en parallèle comme secrétaire scientifique de la Commission pour la sauvegarde des chefs d'oeuvre artistiques de la Laure de la Trinité Saint-Serge et publie des travaux sur l'art russe ancien. Avec son collègue à la Commission, le comte Youri Alexandrovitch Olsoufiev, il sauve de la profanation une précieuse relique: la tête de saint Serge de Radonège qui ne sera remise en place qu'à la réouverture de la Laure en 1946.

En 1924, il publie une monographie sur les diélectriques, Dans la seconde moitié des années 1920, il travaille principalement sur la physique et l'électrodynamique, publiant son ouvrage principal de « science pure », Les Nombres imaginaires en géométrie, consacré à l'interprétation géométrique de la théorie de la relativité d'Albert Einstein. Il déclare, entre autres choses, que la géométrie des nombres imaginaires prévue par la théorie de la relativité pour un corps se déplaçant à une vitesse supérieure à celle de la lumière est la géométrie du royaume de Dieu.

En 1928, Florensky est exilé pour trois ans à Nijni Novgorod. Sur l'intervention d’Ekaterina Pechkova, l'ex-épouse de Maxime Gorki, Florensky est autorisé après quelques mois à revenir à Moscou ; mais il est de nouveau arrêté en 1933 et condamné à dix ans au Goulag, selon l'article cinquante-huit du code pénal soviétique (paragraphes dix et onze : « activités antisoviétiques » et « publication d'écrits anti-soviétiques »). On lui reprochait sa monographie sur la théorie de la relativité, publiée douze ans plus tôt, mais surtout le fait d'être prêtre et de ne pas avoir renoncé à l'état sacerdotal.

Déporté en Sibérie, à Skovorodino, sur la BAM (ligne Baïkal-Amour), au Nord du Transsibérien, en 1934 il se passionne pour l'étude du permafrost (sur lequel les rails du train sont fixés) et en particulier des cristaux de glace. En , alors que sa femme et ses trois cadets sont venus le voir, il est embarqué pour un long voyage jusqu’à Kem en Carélie soviétique, et après une traversée cauchemardesque en mer Blanche, pour la grande île de l'archipel des Solovki où il arrive en . À partir de matériaux de rebut il bâtira Iodprom, une usine pour extraire l'iode des algues. Avec l'agar-agar, autre substance extraite des algues, il fera des plats en gelée, des enduits pour imperméabiliser les bottes, des colles, il donnera des cours sur la technologie des algues et le calcul vectoriel, etc. , etc.

Sa dernière lettre date de ; après cela le camp du goulag de Solovki sera vidé pour laisser place aux cadets de la Marine. De grands convois de prisonniers seront ramenés sur le continent pour y être exécutés. Un tribunal de trois juges (osobaïa troïka) le condamne à mort le .

En 1956, les autorités soviétiques ont délivré un certificat de décès affirmant que Florensky était mort le  (lieu de décès non-mentionné), mais les archives du NKVD, après la dislocation de l'Union soviétique, ont révélé que l'information était fausse : Florensky a été exécuté avec 508 autres, probablement au polygone de Toksovo, en tous cas non loin de Léningrad, le  (Voir le certificat de décès dans les Lettres de Solovki, page 653) et son corps jeté dans une fosse commune non loin de là, probablement à Koirangakangas, qui est devenu un lieu de mémoire.

Florensky avait prédit qu'il avait 50 ans d'avance sur son temps, d'où sa position inconfortable, et que plus tard on chercherait miette par miette les fragments de ce qui avait été détruit (Lettre 52 à sa femme, op.cit., p.325).

En 1982, la première conférence scientifique sur Florensky a célébré à la Laure de la Trinité-Saint Serge, dans les locaux de l'Académie de Théologie, le centenaire de sa naissance. En , la première conférence internationale a eu lieu en Italie, à Bergame à l'initiative du Pr. Nina Kautschischwili. Chaque année des nouveaux textes de lui sont publiés à l'initiative de ses petits-fils entourés d'un groupe de spécialistes.

Bibliographie

Publications de Florensky en français


Paul Florensky pensait le réel au cœur du Goulag

PHILOSOPHIE

Le Père orthodoxe était l’un des plus doués de l’extraordinaire pléiade de penseurs philosophes russes du XXe siècle. Ses «Lettres de Solovki (1934-1937)» paraissent pour la première fois en français
 Par Georges Nivat
Publié vendredi 15 mars 2013 à 19:58

Titre: Lettres de Solovki(1934-1937)
Traduit du russe et présenté par Françoise Lhoest
Chez qui ? L’Age d’Homme, 748 p.

L’un, Pavel (Paul) Florensky, est en soutane blanche et bonnet noir, il tient un haut bâton qui souligne sa ­silhouette ascétique. L’autre, Sergueï Boulgakov, est en veston, manteau jeté sur les épaules, mèche rebelle. Ce sont les Philosophes du célèbre tableau de Mikhaïl Nesterov, à la Galerie Tretiakov, peint en 1917. L’un est prêtre, l’autre le sera dans un an. L’un restera en Union soviétique, finira fusillé en décembre 1937. L’autre sera expulsé, en 1922, comme ­Nicolas Berdiaev et les autres intellectuels du «bateau des philosophes», enseignera la théologie à Prague puis à Paris, où il mourra en 1943.

Les philosophes de Nesterov marchent en silence dans les prés de la grande île du monastère de Valaam, sur le lac Ladoga. Ils ont le regard baissé devant eux et semblent méditer sur un avenir désespéré. Boulgakov écrira dans ses Mémoires que son ami et lui voyaient tous deux venir l’apocalypse russe, mais celui en soutane n’aperçoit que le gouffre, l’autre en complet veston espère en un au-delà.

Paul Florensky est l’un des plus doués de l’extraordinaire pléiade de penseurs philosophes russes du XXe siècle. Il était également mathématicien, physicien, naturaliste, théologien. Longtemps, on a ignoré la date et les circonstances de sa mort; il collabora aux nouvelles institutions soviétiques, en particulier aux Ateliers supérieurs des arts et techniques (Vkhoutemas), à l’Encyclopédie technique, n’exerçant plus de fonction ecclésiastique, mais restant fidèle au patriarche jusqu’à la mort de Tikhon en 1925. Il publie en 1922 Les Imaginaires en géométrie, travaille au plan d’électrification de la Russie.

D’abord exilé à Nijni, puis condamné à dix ans de bagne, il est envoyé au camp de Svobodny («Libre») en Sibérie, puis à celui de l’ancien monastère de Solovki dans l’archipel de la mer Blanche. Il y est fusillé le 8 décembre 1937. De Valaam à Solovki, d’un monastère à l’autre, l’apocalypse a eu lieu, l’inhumain a pris le dessus.Paul Florensky a écrit un grand nombre d’ouvrages. Sa pensée est aujourd’hui très étudiée en Russie, surtout du fait que deux de ses petits-enfants, l’académicien Pavel Vassilievitch Florensky et son frère l’higoumène Andronik, s’occupent activement de la mémoire de leur grand-père. Un musée Florensky est ouvert aux visiteurs. Mais également la polémique entoure le philosophe et savant. Le livre le plus marquant, et le plus polémique, étant celui du théologien, mathématicien et traducteur de Joyce, Serguej Khoroujij.

Le livre capital de Paul Florensky, La Colonne et le fondement de la vérité, parut en 1914. C’est un ouvrage étonnant, en douze lettres à des amis, plus des codicilles, dont l’un est une méditation sur le texte de «l’amulette mystique» de Blaise Pascal, que ce dernier gardait cousue dans son vêtement.

Les grands thèmes des dix lettres sont le désordre du réel (les antinomies, dont Job souffrait tant), la nécessité de surmonter l’émiettement auquel se livre la science, Hippias ne dit-il pas à Socrate que «la conciliation et l’unité sont au-dessus de la raison»? L’individu pensant est entouré de «montagnes vierges de OUI et de NON. Et il sera détruit s’il ne renonce pas à sa subjectivité.» D’où l’utilité des sciences, de la taxinomie, du dénombrement et de la nomination jamais finie du réel.

Les innombrables explorations sémantiques ou naturalistes de Florensky l’amènent à une sorte de justification de la concrétude, bien différente de celle de Boulgakov, qui célèbre «la lumière qui ne s’éteint jamais» dans son fameux livre de 1917. En revanche, cette célébration peut prendre la forme de l’ascèse la plus absolue, où l’ascète est en relation intime avec le créé, où l’incorruptibilité aboutit à la divinisation de la chair.

La Colonne et le fondement de la vérité contient de vrais poèmes, poèmes du froid ou de l’automne, moments d’épuisante ataraxie. «On frappe à la grille, je mets mes caoutchoucs, je sors dans la nuit et la boue, j’écoute. […] Personne. Rentrer devient encore plus sinistre… Que de fois je suis sorti pour ouvrir? appelé par les coups. Seul le vent était mon hôte.»

Le philosophe Nicolas Berdiaev n’aimait pas l’orthodoxie de Florensky. Il critique sévèrement ce qu’il baptisa «une orthodoxie stylisée». Mais peut-être son hostilité venait-elle plutôt de ces poèmes d’angoisse de Florensky, qui diffèrent tant du rôle que lui, Berdiaev, donne à la solitude dans la construction de la communauté.

Les Lettres de Solovki, qui viennent de paraître en traduction française, datent de 1934-1937. Au Goulag de Solovki, le détenu Florensky n’avait pas de privilèges, bien au contraire, mais, travaillant à l’étude de différentes algues, il avait à recevoir et à envoyer des lettres à sa famille. Celles-ci sont adressées à son épouse, ses fils, quelques amis. En somme, son vœu est réalisé, note-t-il avec humour: vivre au monastère! Sur une île mystérieuse avec ses ­labyrinthes préhistoriques et ses énormes blocs erratiques, son monastère forteresse. C’est ici que, pendant deux décennies, intellectuels (comme l’historien Likhatchev) ou ecclésiastiques furent détenus, souvent abattus comme des chiens. Il étudie l’île, comme tout ce qu’il voit et appréhende, mais son âme, comme il dit, «reste sourde à cette beauté». Car jamais l’homme n’y a un instant de solitude et la nature y est souillée.

Le Père Paul Florensky regrette la dure vie qu’il impose à sa famille («parents d’un ennemi du peuple»). Il refuse des colis, parle sans fin de chimie, des sels de chrome. Là et là seulement est la beauté, ce qu’il en reste…

Sa mémoire est cyclopéenne et il donne des conférences aux ingénieurs-bagnards. Ses lettres fourmillent de petites dissertations sur Goethe et Eckermann, sur la beauté du vers de Racine (rares sont les Russes sensibles à Racine), sur l’esthétique matérialiste de Tchernychevski, pape posthume du réalisme socialiste, mais dont la pensée lui convient, sur la paléobotanique ou encore l’Histoire d’Angleterre de Hume, et «les réserves de férocité, de colère, d’instincts destructeurs, de haine, de rage» qu’elle révèle en l’homme.

Le livre comporte de vraies leçons de chimie et de sciences naturelles, que le lecteur béotien risque fort de sauter.

Mais l’étonnement vient d’ailleurs: l’absence apparente de toute consolation chrétienne. Nicolas Berdiaev avait noté l’absence du visage du Christ chez Florensky. Sa foi n’est pas christocentrique. Et lorsqu’il chante le «concret», ce concret qu’il apprécie chez Balzac et chez les maîtres hollandais, et plus encore dans les cristaux de sel, on s’étonne qu’il disserte sur l’Incarnation, «précepte essentiel de la vie», sans aucune référence au mystère central du christianisme. «L’incarnation, c’est recevoir en soi le monde, pour former par soi-même la matière.» Nouveau Lucrèce ou nouveau mystique du créé? Parenté secrète avec Vladimir Vernadsky, inventeur de la noosphère, et avec le Père Teilhard de Chardin? Sûrement en partie. D’une part, le père de famille qu’il était pouvait craindre de compromettre l’avenir de ses enfants; d’autre part, le zek naturaliste (zek, abréviation russe pour prisonnier) qu’il se voulait rejetait fermement le «marécage» du subjectif. Alekseï Losev, autre grand théologien russe qui passa par le bagne, mais qui en sortira vivant, ira lui aussi assez loin dans cette voie. Et c’est un des mystères de la philosophie religieuse russe: elle est passée au compresseur du socialisme scientiste et répressif jusqu’à l’esclavagisme. Mais elle a conservé, en certains de ses plus géniaux penseurs, une vision globalisante, holistique du créé, qui lui a permis d’accepter l’inévitable et de préserver son innocence.

A l’opposé, semble-t-il, de Blaise Pascal, qui abandonne tout pour le feu qui le dévore. «L’amulette mystique», ainsi baptisée par Condorcet, est pour Florensky un «condensé de vie», dont sa propre théorie de la croissance fournit en somme la clé…
Ils ont le regard baissé devant eux et semblent méditer sur un avenir désespéré
Au Goulag, son vœu est réalisé, note-t-il avec humour: vivre au monastère!

https://www.letemps.ch/culture/paul-florensky-pensait-reel-coeur-goulag
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