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Paul Florensky, La colonne et le fondement de la vérité
Père Paul Florensky, La Colonne et le Fondement de la Vérité, traduit du russe par Constantin Andronikof, aux éditions l'Âge d'Homme.
Au lecteur :
"L'expérience vivante de la religion, en tant que le seul moyen légitime de connaître les dogmes" : c'est ainsi que je qualifierais le propos général de mon livre, ou plutôt des Essais que j'écrivis à différents moments et sous l'empire de sentiments divers. Ce n'est qu'en se fondant sur l'expérience immédiate que l'on peut se faire une vue d'ensemble et une idée de la valeur des trésors spirituels de l'Eglise. Ce n'est qu'en essuyant d'une éponge humide les écrits anciens pour les laver d'une eau vive que l'on arrive à distinguer les lettres tracées par l'Eglise. Ses ascètes sont vivants pour ceux qui vivent, ils sont morts pour ceux qui ne vivent pas. Pour une âme enténébrée, les visages des saints se couvrent d'ombre ; pour une âme paralytique, leurs corps se figent dans une immobilité effrayante. L'on sait que les hystériques et les possédés en ont peur. Et n'est-ce pas notre péché envers l'Eglise qui nous la fait regarder à la dérobée avec crainte ? Mais pour des yeux clairs, le visage des saints reste lumineux, "comme celui d'un ange". Pour un coeur purifié, ils sont toujours accueillants ; comme par le passé, leurs appels s'adressent à ceux qui ont des oreilles pour entendre. Pourquoi le peuple, dans sa simplicité directe, se tourne-t-il spontanément vers ces justes, me demandé-je ? Pourquoi trouve-t-il chez eux la consolation à sa peine muette, la joie du pardon, la beauté de la fête céleste ?..." (Paul Florensky)
Silhouette du Père Paul Florensky, par N.R. Simonovich-Efimov, 1920
Pour rendre fidèlement compte de ce livre monumental de la pensée religieuse russe, il faudrait une très longue introduction. Nul mieux que le Père Paul Florensky lui-même ne saurait le faire en bref. Nous citons donc ou paraphrasons succintement ce qu'il en dit dans sa postface et dans son allocution de soutenance :
"Il y a deux mondes. celui-ci est pulvérisé par ses contradictions, à moins qu'il ne vivre par les vertus de l'autre. La raison elle-même est déchirée par ses antinomies innombrables, qui se ramènenent toutes au dilemme : le fini ou l'infini. Les deux lois internes de la raison, la statique et la dynamique, s'excluent mutuellement, bien qu'elles ne puissent exister l'une sans l'autre. Alors, comment la raison est-elle possible ? Ce travail-ci dans son ensemble est un essai pour répondre à cette question.
La raison est rendue possible par l'objet de son activité, quand il est tel que le principe du fini et de l'infini y coïncident, quand il est l'Unité trine, objet de toute la théologie, thème de toute la liturgie, précepte de toute vie. La raison est possible dans la mesure où elle vit à l'éclat de la triple Lumière.
Or la raison n'est pas une boîte où l'on pourrait introduire n'importe quoi. Elle est l'organe d'une personne vivante, un mode de relations entre le connaissant et le connu, à savoir : un aspect de la cohérence de l'être même.
C'est la vérité qui rend la raison rationnelle et intelligente, ce n'est pas la raison qui rend vraie la vérité. Ainsi que la recherche le découvre, ce caractère véridique par lui-même de la vérité s'exprime par le thème d'homoousia, de consubstantialité. Le dogme de la Trinité apparaît alors comme la racine commune de la religion et de la philosophie. En lui, l'opposition fondamentale entre celles-ci est surmontée. Tel est le contenu du présent ouvrage.
Quant à la méthode qui y a été suivie, c'est celle de la dialectique, entendue au sens large d'une pensée immédiate et vivante. Et si vous demandez au dialecticien : où sont vos définitions ? Il vous répond : "Partout, si j'ai écrit quelque chose de sensé ; nulle part, si mon livre n'est pas réussi." L'ouvrage est la définition de l'objet qu'il examine. Ici, cet objet est la vérité spirituelle ou, si vous voulez, l'ecclésialité. Et si je commence par dire que l'ecclésialité est indéfinissable, je consacre tout un livre à montrer l'ecclésialité dans ses différents domaines et diverses profondeurs.
L'on a assez fait de la philosophie de la religion et sur la religion. Il faut philosopher dans la religion, en se plongeant dans son milieu.
A chaque sujet de la dialectique correspond un certain sujet, un type déterminé, un moi concret, mais dont l'originalité n'est pas contingente ; c'est un moi méthodologique. Si, selon la Bible, le mariage est une connaissance et si la connaissance est un mariage sui generis, on ne saurait marier une réalité donnée avec n'importe quoi. Cependant, la dialectique est le développement non d'une pensée, mais de plusieurs, qui se combinent et s'interpénètrent pour ressortir à nouveau. De même que dans la vie, le tout intégral est formé par un ensemble de fonctions et non par des principes abstraits et disparates, dans la dialectique, ce n'est qu'en développant le contrepoint des mélodies fondamentales que l'on peut approfondir d'une manière vivante l'objet de son étude."
Le sujet méthodologique de Florensky est, somme toute, la conscience ecclésiale. Celle-ci est personnelle, étant manifestée par celle de l'auteur, mais elle est aussi commune, encore que multiforme, étant celle de la tradition millénaire fait personnellement partager aux chrétiens, selon la sagesse de Dieu. Quant à l'objet, c'est encore l'Eglise, mais dans l'inépuisable richesse des aspects de sa vie, qui vont du dogme à la logique mathématique et de la prière à l'oeuvre.
En vertu de sa liberté, l'homme peut choisir l'une des deux voies qui s'ouvrent à son activité : celle de la géhenne, celle de l'ascèse intellectuelle et spirituelle. Elles sont liées à la double nature du crée. Celle-ci amène l'auteur à examiner la question de "l'Eglise mystique" et de l'image de Dieu en l'homme, et la question de l'Eglise sous son aspect proprement humain et empirique, en tant que le milieu où chacun construit sa personne. Le terrain psychologique de cet aspect de la vie écclésiale est fourni par l'amour et l'amitié.
C'est ainsi que la conscience s'achemine vers la Colonne et le Fondement de la Vérité. Ce qui serait impossible si l'expérience de la pensée et du coeur ne montrait pas que "la Vérité elle-même pousse l'homme à chercher la vérité".
Le Père Paul Florensky en compagnie de Serge Boulgakov en 1917, peinture de Mikhail Nesterov
par Paul Ladouceur link
Le père Paul Florensky était un des plus éminents représentants de la renaissance religieuse en Russie au début du XXème siècle. Il était un de ces rares génies universels, possédant des connaissances dans des domaines aussi diversifiés que les mathématiques, la physique, l’électronique, la philosophie, la théologie, la philologie, l’art, la musique, le folklore ; il était polyglotte, connaissant la plupart des langues européennes importantes, ainsi que les langues anciennes, le latin et le grec, et les principales langues du Caucase. Le père Serge Boulgakov écrit de son ami le père Paul Florensky : " De tous mes contemporains qu’il m’a été donnés de rencontrer au cours de ma longue vie, c’est lui le plus grand… L’œuvre véritable du père Paul, ce ne sont pas ses livres, ni ses pensées et ses paroles, mais lui-même, et toute sa vie, qui est passée au retour de ce siècle au siècle à venir. "
Pavel Alexandrovich Florensky est né le 21 janvier 1882 dans la ville de Yevlakh, en Azerbaïdjan dans le Caucase. Son père était ingénieur de chemin de fer, descendant d’une famille de prêtres orthodoxes ; sa mère était de la noblesse arménienne de Géorgie. Mais la famille n’était pas pratiquante, les parents préférant transmettre à leurs sept enfants une conception scientifique du monde. Le jeune Paul passa au bord de la mer Noire une enfance heureuse dont il a fait le récit dans ses Souvenirs d’une enfance au Caucase (trad. française, 2007), souvenirs et conseils adressés à ses enfants. La nature était pour lui un lieu privilégié d’expérience et de connaissance, autant par ce qu’elle révèle que par ses mystères.
À l’âge de 17 ans, Paul eut des expériences mystiques qui lui laissèrent convaincu que la vérité de la vie puisait sa source dans un " monde supérieur " à celui saisi par la seule conception scientifique du monde.
C’est alors qu’il se mit à la recherche de cette Vérité " source de vie ". Cette recherche le mena néanmoins dans un premier temps à approfondir ses connaissances scientifiques. Après avoir terminé ses études au lycée de Tiflis, Paul Florensky entra au département de mathématiques de l’université de Moscou, étudia parallèlement la physique et il s’intéressa à la philosophie, la théologie, l’art et tout le domaine de la créativité humaine. Après ses études à l’université (1900-1904), il refusa un poste d’enseignant à l’université, choisissant plutôt d’étudier la théologie à l’Académie ecclésiastique de Moscou, située au monastère de la Trinité-Saint-Serge à Sergiyev Posad, au nord de Moscou. Pendant ses études à l’Académie, Florensky a été très marqué par la connaissance d’un starets vivant à proximité, l’hiéromoine Isidore. Florensky reconnaît avoir une grande dette à l’égard d’Isidore et peu après le décès du starets en 1908, Florensky écrivit sa vie (Le sel de la terre ou la vie du starets abba Isidore, trad. française, 2002). En 1908 Florensky commença à enseigner l’histoire de la philosophie à l’Académie ecclésiastique et en 1910 il se maria avec Anna Mikhailovna (1883-1973). Les Florensky ont eu cinq enfants et la vie familiale de Paul Florensky fut particulièrement riche. En 1911, il fut ordonné prêtre et en 1914 il publia son œuvre majeure, La colonne et le fondement de la Vérité : un Essai sur la théodicée orthodoxe. Proche ami du philosophe et théologien Serge Boulgakov, le père Paul Florensky était aussi le guide spirituel d’un écrivain russe controversé, Vassili Rozanov.
La colonne et le fondement de la Vérité signalait un nouveau départ dans la théologie russe. La thèse principale était que la vérité dogmatique ne peut être appréhendée que par l’expérience religieuse vécue. Il liait cette affirmation à sa conception fondamentale que toutes les personnes sont consubstantielles entre elles, étant les créations de la Sainte Trinité, dont elles reflètent la lumière divine. Il s’est affranchi du genre de théologie que les Russes avaient empruntée à l’Occident au XVIIIème siècle. Par son utilisation des icônes et du folklore et de l’art religieux russes comme manifestations de l’enseignement orthodoxe, il a rétabli le contact avec la Russie d’avant l’occidentalisation initié par Pierre le Grand et ses successeurs. Il faisait appel aussi aux données contemporaines de la pensée et de la science en les incorporant comme matériaux pour la construction de sa présentation inhabituelle mais orthodoxe de la foi chrétienne. Ses réflexions théologiques étaient accompagnées par des commentaires lyriques, des allusions personnelles et des descriptions poétiques de paysages russes. L’aspect le plus contesté de Colonne et Fondement est sans doute sa présentation de la divine Sophie, sorte de personnification de l’idée divine sur le monde.
Pendant cette période d’avant la Première Guerre mondiale, Florensky publia des travaux en philosophie, théologie, théorie de l’art, mathématiques, électrodynamique, ainsi que les lettres d’Alexandre Boukharev, théologien du milieu du XIXème siècle. Il enseigna la philosophie à l’Académie théologique et desservit l’église de Saint-Serge. Entre 1912 et 1917, il fut le rédacteur en chef de la revue théologique de l’Académie de Moscou, Bogoslovskii vestnik (Le Messager théologique).
Après la révolution bolchevique d’octobre 1917, Florensky formula sa position comme suit : " J’adhère à une vision philosophique et scientifique du monde que j’ai développée, qui contredit l’interprétation vulgaire du communisme... mais cela ne m’empêche pas de travailler honnêtement au service de l’Etat ". Après la fermeture du monastère, de l’Académie théologique et de l’église Saint-Serge par les Bolcheviques, Florensky travailla à Moscou pour le Plan d’État pour l’électrification de la Russie, avec le soutien de Léon Trotski, qui croyait fortement dans la capacité de Florensky à aider le gouvernement à électrifier les zones rurales de Russie. Selon le témoignage de contemporains, la vision de Florensky en soutane de prêtre, travaillant au département gouvernemental ou faisant des conférences scientifiques devant des scientifiques et des ingénieurs, était étonnante.
En 1922, il publia une monographie sur le diélectrique. Il agit aussi comme secrétaire scientifique de la Commission historique de la Trinité Saint-Serge et publia des travaux sur les icônes et l’iconostase. Plusieurs de ses écrits sur les icônes et sur l’art furent publiés en français sous le titre La perspective inversée. L'iconostase et autres écrits sur l'art (1992 ; voir un extrait de ce livre, pages 27 à 31). Au milieu des années 1920, il travailla principalement sur la physique et l’électrodynamique, publiant son principal travail de science pure, Les nombres imaginaires en géométrie (1924) consacré à l’interprétation géométrique de la théorie de la relativité d’Albert Einstein. Il déclara que la géométrie des nombres imaginaires prévue par la théorie de la relativité pour un corps se déplaçant à une vitesse supérieure à celle de la lumière est la géométrie du Royaume de Dieu.
En 1928, Florensky fut arrêté par l’OGPOu (prédécesseur du NKVD et du KGB), interrogé à la Loubianka, la prison centrale de Moscou, il fut classé dans la catégorie des " éléments socialement nuisibles " et exilé à Nizhni-Novgorod. Après l’intervention de Ekaterina Peshkova, ancienne épouse de l’écrivain Maxime Gorky, Florensky fut autorisé à revenir à Moscou. En février 1933, il fut de nouveau arrêté et condamné à dix ans dans les goulags en vertu de l’article 58 du code pénal stalinien (clauses 10 et 11 : " agitation contre le système soviétique " et " publication de matériel d’agitation contre le système soviétique " ; le " matériel d’agitation " en question était la monographie sur la théorie de la relativité. Envoyé dans la région de l’Amour en Extrême-Orient, il faisait des recherches sur le pergélisol. En octobre 1934, il fut envoyé au camp de concentration établi par les communistes à l’ancien monastère de Solovki, situé en Arctique, sur une île dans la mer Blanche. Là, il continuait ses recherches, entre autres, sur l'extraction de l’iode et l’agar des algues ; il établit même une usine de production.
De tous les grands théologiens d’avant la révolution de 1917, il est le seul à être resté volontairement en Russie. Il aurait pu facilement s’échapper en Occident, mais il préférait rester dans sa terre natale pour témoigner du Christ vivant face aux athées. En 1937, il fut traîné devant une " troïka " du NKVD à Leningrad ; on le condamna à mort et peu après, le 8 décembre 1937, il fut fusillé, devenant un des milliers, voire des millions de martyrs pour la foi.
Pendant longtemps les soviétiques gardèrent secret son exécution, propageant une rumeur qu’il serait décédé et 1943. Ce n’est qu’après l’ouverture des archives du KGB suite à l’effondrement de l’Union soviétique qu’on a su le lieu et la date de son exécution (voir ici-bas " Un Leonardo russe : Le dossier KGB de Pavel Florensky ").
Il y a un intérêt croissant pour la vie et les œuvres du père Paul Florensky depuis une vingtaine d’années. Les traductions de son œuvre majeure, La colonne et le fondement de la Vérité, sont parues en français en 1975 et en anglais en 1997. On a réédité ses œuvres en Russie et on a publié plusieurs grandes études sur lui : trois en russe, deux en italien, une en français, une en anglais et une en allemand. On continue à traduire ses œuvres en français ; la dernière publiée était Souvenirs d’une enfance au Caucase et la publication de ses lettres du camp de Solovki est prévue prochainement.
Martyrisé pour sa foi, le père Paul Florensky n’a pas encore été formellement canonisé par le Patriarcat de Moscou ou par l’Église russe hors-frontières - cette dernière a cependant canonisé tous les martyrs du joug communiste et c'est à ce titre que beaucoup considèrent Paul Florensky comme saint. Ainsi il figure sur une icône de nouveaux martyrs du régime communiste de l’Église russe hors-frontières et sur la liste de saints de plusieurs paroisses orthodoxes aux États-Unis.
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Paul Florensky
Naissance | Ievlakh, Gouvernement d'Elizavetpol |
---|---|
Décès | Près de Leningrad |
Sépulture | |
Nationalités | Russe, Soviétique, Russe (- |
Formation | Faculté de physique et de mathématiques de Moscou (d) (jusqu'en ) |
Principaux intérêts | Philosophie, Théologie,Mathématiques, Électrotechnique |
A influencé | Alexander Men |
Paul Florensky1 (en russe : Павел Александрович Флоренский, Pavel Aleksandrovitch Florenski ; - ) est un théologien orthodoxe russe, philosophe, mathématicien, inventeur et ce que, dans l'orthodoxie, l'on appelle un néo-martyr2.
Il fut parfois comparé par ses contemporains à Léonard de Vinci du fait de l'étendue des domaines auxquels il s'intéressait et dans lesquels il excellait, 3,4 et à Blaise Pascal.
Défenseur en peinture de la perspective inversée, il est souvent cité par le peintre britannique contemporain David Hockney.
Pavel Alexandrovitch Florensky est né le , premier enfant d'Alexandre Ivanovitch Florensky ingénieur, construisant un tronçon du Chemin de Fer du Caucase, à Ievlakh localisée dans l'ouest de l'Azerbaïdjan actuel. Son grand-père Ivan était médecin militaire, fils d'un prêtre orthodoxe. Sa mère, Olga (Salomia) Saparova (Saparian), est issue de la noblesse arménienne de Géorgie5,6. Après avoir terminé ses études avec la médaille d'or au IIe Gymnase Classique de Tiflis en 1899, il entre au Département de Mathématiques de l'Université Impériale de Moscou, tout en étudiant parallèlement la philosophie.
Une fois achevées ses études à l'Université Impériale de Moscou en 1904, Florensky refuse un poste d'enseignant à l'université et choisit de continuer à étudier la théologie à l'Académie ecclésiastique de Moscou, sise à Serguiev Possad. En collaboration avec ses camarades d'études Vladimir Ern, Valentin Sventsitsky et Brikhnitchev, il fonde une association, l'Union du combat chrétien (Союз Христиaнской Борьбы, Soïouz Khristianskoï Bor'by), avec la visée révolutionnaire de reconstruire la société russe selon les principes de Vladimir Soloviev. Il est arrêté en 1906 pour avoir écrit et diffusé un texte contre la peine de mort, intitulé "Le Cri du Sang", contre l'exécution du Lieutenant (Enseigne de Vaisseau) Schmidt. Condamné à 3 mois de prison, il est libéré au bout de quelques jours à l'intervention du recteur de l'Académie de Théologie et d'autres personnes. Il perd ensuite tout intérêt pour le Mouvement du christianisme radical.
Son goût le porte à s'intéresser, pendant ses études à l'Académie ecclésiastique, à la philosophie, à la religion, à l'art et au folklore. Il fréquente les symbolistes russes. C'est en 1903 que commence son amitié avec Andreï Biély, qui est le fils de son professeur de mathématiques à l'Université Nikolaï Bougaïev et qu'il publie des travaux dans des revues, telles que Nouvelle Voie (Новый Путь) et Balance (Весы). Il commence aussi à élaborer son travail philosophique le plus important : La Colonne et le fondement de la vérité : un essai sur la théodicée orthodoxe en douze lettres. Le livre est publié dans son intégralité seulement en 19147, mais la plus grande partie À propos de la Vérité spirituelle constitue son travail de fin de ses études à l'Académie en 1908.
Le , il épouse Anna Mikhaïlovna Giatsintova qui lui donnera trois fils et deux filles. Il est ordonné prêtre en 1911. Il publie des travaux en philosophie, en théologie, en théorie de l'art, en mathématiques et, après la révolution bolchévique, en électrodynamique. Entre 1911 et 1917, il est rédacteur en chef de la publication de théologie orthodoxe la plus autorisée à l'époque, Bogoslovsky Vestnik Le Messager Théologique de l'Académie Ecclésiastique de Moscou. Il est proche de l'écrivain inclassable Vassili Rozanov. A la veille de sa mort, à Serguiev Possad en , Florensky lui portera les derniers sacrements et plus tard dans sa correspondance avec sa famille, il considérera Rozanov comme l'un des très rares authentiques génies qu'il connût avec André Biely.
Après la Révolution d'Octobre, il formule sa position comme suit :
« J'adhère à une vision philosophique et scientifique du monde que j'ai développée et qui contredit l'interprétation vulgaire du communisme... mais cela ne m'empêche pas de travailler honnêtement au service de l'État. »
Après la fermeture, par les bolchéviques, de la Laure de la Trinité-Saint-Serge (avril 1919) et des églises de Serguiev Possad (1921), dont celle où il était prêtre, il part pour Moscou, afin de travailler à l'organisation du Plan d'État pour l'Électrification de la Russie (GOELRO), sur la recommandation de Léon Trotsky. Ce dernier est fermement convaincu de la capacité de Florensky à aider le gouvernement à électrifier les zones rurales de Russie. Selon le témoignage de contemporains, la vision de Florensky en soutane de prêtre, travaillant aux côtés des autres chefs du département gouvernemental, était remarquable. De 1921 à 1924 il enseigna au Vkhoutemas. "Ateliers supérieurs artistiques et techniques", où les constructivistes et les militants du "Front gauche de l'art" (LEF) lui menèrent la vie dure.
En 1919, il travaille aussi en parallèle comme secrétaire scientifique de la Commission pour la sauvegarde des chefs d'oeuvre artistiques de la Laure de la Trinité Saint-Serge et publie des travaux sur l'art russe ancien. Avec son collègue à la Commission, le comte Youri Alexandrovitch Olsoufiev, il sauve de la profanation une précieuse relique: la tête de saint Serge de Radonège qui ne sera remise en place qu'à la réouverture de la Laure en 1946.
En 1924, il publie une monographie sur les diélectriques, Dans la seconde moitié des années 1920, il travaille principalement sur la physique et l'électrodynamique, publiant son ouvrage principal de « science pure », Les Nombres imaginaires en géométrie, consacré à l'interprétation géométrique de la théorie de la relativité d'Albert Einstein. Il déclare, entre autres choses, que la géométrie des nombres imaginaires prévue par la théorie de la relativité pour un corps se déplaçant à une vitesse supérieure à celle de la lumière est la géométrie du royaume de Dieu.
En 1928, Florensky est exilé pour trois ans à Nijni Novgorod. Sur l'intervention d’Ekaterina Pechkova, l'ex-épouse de Maxime Gorki, Florensky est autorisé après quelques mois à revenir à Moscou ; mais il est de nouveau arrêté en 1933 et condamné à dix ans au Goulag, selon l'article cinquante-huit du code pénal soviétique (paragraphes dix et onze : « activités antisoviétiques » et « publication d'écrits anti-soviétiques »). On lui reprochait sa monographie sur la théorie de la relativité, publiée douze ans plus tôt, mais surtout le fait d'être prêtre et de ne pas avoir renoncé à l'état sacerdotal.
Déporté en Sibérie, à Skovorodino, sur la BAM (ligne Baïkal-Amour), au Nord du Transsibérien, en 1934 il se passionne pour l'étude du permafrost (sur lequel les rails du train sont fixés) et en particulier des cristaux de glace. En , alors que sa femme et ses trois cadets sont venus le voir, il est embarqué pour un long voyage jusqu’à Kem en Carélie soviétique, et après une traversée cauchemardesque en mer Blanche, pour la grande île de l'archipel des Solovki où il arrive en . À partir de matériaux de rebut il bâtira Iodprom, une usine pour extraire l'iode des algues. Avec l'agar-agar, autre substance extraite des algues, il fera des plats en gelée, des enduits pour imperméabiliser les bottes, des colles, il donnera des cours sur la technologie des algues et le calcul vectoriel, etc. , etc.
Sa dernière lettre date de ; après cela le camp du goulag de Solovki sera vidé pour laisser place aux cadets de la Marine. De grands convois de prisonniers seront ramenés sur le continent pour y être exécutés. Un tribunal de trois juges (osobaïa troïka) le condamne à mort le .
En 1956, les autorités soviétiques ont délivré un certificat de décès affirmant que Florensky était mort le (lieu de décès non-mentionné), mais les archives du NKVD, après la dislocation de l'Union soviétique, ont révélé que l'information était fausse : Florensky a été exécuté avec 508 autres, probablement au polygone de Toksovo, en tous cas non loin de Léningrad, le (Voir le certificat de décès dans les Lettres de Solovki, page 653) et son corps jeté dans une fosse commune non loin de là, probablement à Koirangakangas, qui est devenu un lieu de mémoire.
Florensky avait prédit qu'il avait 50 ans d'avance sur son temps, d'où sa position inconfortable, et que plus tard on chercherait miette par miette les fragments de ce qui avait été détruit (Lettre 52 à sa femme, op.cit., p.325).
En 1982, la première conférence scientifique sur Florensky a célébré à la Laure de la Trinité-Saint Serge, dans les locaux de l'Académie de Théologie, le centenaire de sa naissance. En , la première conférence internationale a eu lieu en Italie, à Bergame à l'initiative du Pr. Nina Kautschischwili. Chaque année des nouveaux textes de lui sont publiés à l'initiative de ses petits-fils entourés d'un groupe de spécialistes.
Bibliographie
Publications de Florensky en français
- La Colonne et le fondement de la vérité : essai d'une théodicée orthodoxe en douze lettres, Lausanne, Suisse, Éditions L'Âge d'Homme, , 508 p. (ISBN 978-2-8251-0489-7, lire en ligne [archive])
- Le Sel de la terre, Lausanne, Suisse, Éditions L'Âge d'Homme, coll. « Petite bibliothèque slave », , 152 p. (ISBN 978-2-8251-1703-3, lire en ligne [archive])
- Souvenirs d'une enfance au Caucase, Lausanne, Suisse, Éditions L'Âge d'Homme, coll. « Au cœur du monde », , 284 p. (ISBN 978-2-8251-1860-3, lire en ligne [archive])
- Hamlet : Précédé de Out of Joint (trad. Evdokiya Sichov), Paris, Allia, , 96 p. (ISBN 2-84485-225-4, lire en ligne [archive])
- La Géhenne, Lausanne, Suisse, Éditions L'Âge d'Homme, coll. « Archipel slave », (ISBN 978-2-8251-1225-0) Ceci est en fait la lettre VIII de La Colonne.
- Stupeur et dialectique, Paris, France, Éditions Payot & Rivages, coll. « Bibliothèque Rivages », , 94 p. (ISBN 978-2-7436-2396-8)
- Perspective inversée, iconostase, Lausanne, Suisse, L'Âge d'Homme, , 218 p. (ISBN 978-2-8251-0096-7, lire en ligne [archive])
- La Perspective inversée, Paris, Éditions Allia, , 111 p. (ISBN 978-2-84485-655-5)
- Lettres de Solovki, Lausanne, Suisse, Éditions L'Âge d'Homme, coll. « Classiques slaves », , 749 p. (ISBN 978-2-8251-4156-4) dont la traduction en français par Françoise Lhoest a été récompensée par le Prix Russophonie 2014
- Les Imaginaires en géométrie, Bruxelles, Belgique, Éditions Zones sensibles, , 130 p. (ISBN 978-2-930601-24-3), traduction de Françoise Lhoest et Pierre Vanhove. Préface de Cédric Villani.
Silhouette du père Paul Florensky
par N.R. Simonovich-Efimov, 1920.
PÈRE PAUL FLORENSKY
Un témoin du Christ face aux communistes
par Paul Ladouceur
Un Leonardo russe : Le dossier KGB de Pavel Florensky
par Vitali Chentalinski
Hommage au père Paul Florensky
par le père Serge Boulgakov
Textes du père Paul Florensky :
Bibliographie du père Paul Florensky
Silhouette du père Paul Florensky
par N.R. Simonovich-Efimov, 1920.
PÈRE PAUL FLORENSKY
Un témoin du Christ face aux communistes
par Paul Ladouceur
Un Leonardo russe : Le dossier KGB de Pavel Florensky
par Vitali Chentalinski
Hommage au père Paul Florensky
par le père Serge Boulgakov
Textes du père Paul Florensky :
Bibliographie du père Paul Florensky
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