luni, 21 septembrie 2020

Yasunari Kawabata / Maestrul de go (roman)

 

Babelio

Le Maître ou le tournoi de Go  par Kawabata

Yasunari Kawabata



Sylvie Regnault-Gatier (Traducteur), 157 pages

Éditeur : LE LIVRE DE POCHE (30/11/-1)

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Yasunari Kawabata (1899-1972) : Une vie, une oeuvre diffusée sur France Culture le 19 janvier 2010. Par Françoise Estèbe et Nathalie Salles.

Yasunari Kawabata fut le premier écrivain japonais à obtenir le prix Nobel de littérature en 1968 pour son roman “Pays de neige”. Pour décrypter l'univers mental et romanesque si singulier, parfois déconcertant, de Kawabata, il est indispensable de se référer à ses premières années d'existence, marquées par une solitude absolue. Orphelin de père et de mère dans les premiers mois de son existence, il perdit très vite sa grand-mère, puis sa soeur, et fut élevé par son grand-père aveugle dont il relate, adolescent, l'agonie dans son “Journal de la seizième année”. « La blancheur spectrale, la pureté meurtrière, le temps orphelin », tel est pour Diane de Margerie l'univers de Kawabata marqué par la mort, le vide et l'absence. L'ellipse, le flou, l'ambiguïté sont les caractéristiques de son écriture. Récits adolescents, textes expérimentaux, textes brefs ou “Récits de la paume de la main”, oeuvres magistrales de la maturité, “Pays de neige”, “Les belles endormies” ... dans son oeuvre, le réel et l'irréel se côtoient, l'abondance des images alterne avec les blancs et les silences. Les textes de Kawabata sont des trames trouées, inachevées, qui laissent le lecteur devant l'énigme de l'interprétation. La contemplation de la nature, la chute d'une châtaigne, la floraison du prunier, l'envol de l'oiseau sont des échappées vers un autre monde dont l'inexprimable beauté est peut-être celle des morts revenus un moment dans le monde des vivants. Deux ans après le suicide flamboyant de Mishima qui le considérait comme son maître, Kawabata se suicide à son tour, dans la discrétion et le silence. « Tout artiste... a-t-il déclaré, est fatalement hanté par le désir de forcer l'accès difficile du monde des démons, et cette pensée, qu'elle soit apparente ou dissimulée, hésite entre la peur et la prière. »

Note moyenne : 3.93/5 (sur 173 notes)

" La plupart des professionnels du Go aiment aussi d'autres jeux, mais la passion du Maître présentait un caractère particulier : l'incapacité de jouer tranquillement, en laissant les choses suivre leur cours. Sa patience, son endurance s'avéraient infinies. Il jouait jour et nuit, pris par une obsession qui devenait troublante. Il s'agissait peut-être moins de dissiper des idées noires ou de charmer son ennui que d'une sorte d'abandon total au démon du jeu. "

CRITIQUES, ANALYSES ET AVIS (19) Voir plus

Sachenka        

Sachenka   12 septembre 2016

Dans une auberge de la campagne japonaise, un terrible duel est sur le point de commencer. D'un côté, maitre Shusai, 65 ans, vieux et à la santé fragile, mais possédant encore pleinement ses capacités intellectuelles, au sommet de son art. de l'autre côté, Otaké, 30 ans, jeune et impétueux mais une des rares personnes qu'on croit capable d'opposer une véritable résistance au maitre. À travers eux se joue également le choc des générations. La vieillesse, attachée aux traditions, et la jeunesse, ambitieuse, qui croit que son temps est venu… Et, entre les deux, ce jeu de go. Je connais à peine ce jeu et je le regrette. Ça ne m'a pas empêché de comprendre l'histoire mais assuréement des enjeux liés à la partie m'ont échappé.

L'auteur Yasunari Kawabata a choisi de raconter ce duel à travers les yeux d'Uragami. C'est un journaliste. S'il se débrouille correctement au jeu de go, il n'est pas un joueur professionnel. Donc, s'il est capable d'analyser quelques coups et d'en comprendre la portée, son attention est ailleurs. Chez les joueur, surtout. Il étudie avec attention les réactions de chacun, les signes de faiblesse chez l'un, les mouvements passés presque inaperçus chez l'autre. Il s'entretien même avec eux pendant les pauses, se risquant à une partie d'échec ou de mahjong. Ce point de vue extérieur au jeu, un peu détaché, nous fait réellement comprendre que le jeu de go n'est que le prétexte. L'important, ce sont les joueurs.

Pour le Maître, le jeu de go est art, presque un rituel. Il joue avec méticulosité et patience, médite son coup. Pendant cette méditation, il est absorbé, songeur, à un point tel qu'il accable d'ennui son opposant. Otaké, le représentant de la jeunesse, joue pour gagner. Il joue avec rapiditié et nerf. Deux conceptions complètement différentes du jeu. Et sans doute de la vie, également, et de la direction que devrait prendre le Japon en 1941. Laissons tomber les traditions et fonçons tête première dans la modernité !

Mais le Maître se sent mal, plusieurs suggèrent qu'on annule le tournoi. Shusai refuse, il souhaite continuer jusqu'au bout, même s'il faut espacer les rencontres au point de les étaler (et de l'épuiser) sur plusieurs mois. Peut-être sent-il la fin approcher et désire-t-il terminer en grand ? C'est un peu triste. Uragami est témoin de cette tragédie dont beaucoup se souviendront par la suite.

Pour résumer, le maitre ou le tournoi de go, c'est à la fois un affrontement, une analyse psychologique et le portrait d'une nation à un moment charnière. le tout dans un décor poétique, écrit par un prix Nobel à la plume sensible, lente et délicate mais également ferme. Je ne me lasse pas du style de Kawabata. Si vous ne le connaissez pas, vous devez absolument le découvrir.

sandrine57   26 novembre 2014

En 1938, Shusai, le ''Maître invincible'', met son titre en jeu pour la dernière fois. Il a 65 ans, son corps le lâche mais sa capacité à s'immerger totalement dans une partie de go reste intacte. En face de lui, Otaké, 30 ans, a durement combattu contre ses concurrents pour avoir l'honneur d'affronter le Maître. La partie durera 6 mois, interrompue par les ennuis de santé du Maître. Uragami, journaliste, est envoyé par sa rédaction pour suivre ce combat historique entre celui qui incarne la tradition ancestrale du go et le représentant de la jeune garde.

 

KAWABATA qui, pour les besoins du roman, devient Uragami, n'en demeure pas moins le témoin privilégié de ce mémorable tournoi de go. Et, comme il pratique le jeu sans être un expert, il s'est plutôt attaché à décrire la personnalité des protagonistes et les enjeux de cet affrontement.

La bataille du go est aussi une bataille d'ego. La Maître, sage et discret en apparence, entend tout de même faire savoir que son grand âge et son statut lui donnent des prérogatives et se laisse parfois aller à une forme d'autorité que le jeune Otaké a souvent du mal à tolérer. Il est certes respectueux mais veut aussi que l'on suive les règles et chaque entorse dictée par son adversaire donne lieu à de longues négociations. Otaké menace d'abandonner, on négocie, on le raisonne, il cède, conscient de sa position délicate. Peut-il être celui qui aura empêché le Maître d'aller jusqu'au bout de son tournoi d'adieu ? Soumis au jugement de ses pairs, il se doit de continuer même si affronter un homme vieillissant et diminué le met dans une situation ambiguë. Qu'il perde ou qu'il gagne, on discutera sans fin sur l'issue de la partie.

Rendant compte des tensions, des enjeux, le journaliste se veut impartial mais ne peut empêcher de laisser transparaître son respect et sa tendresse pour le Maître, l'homme du passé, le garant d'un go qui tient plus de l'art que du jeu, un combattant prêt à laisser ses dernières forces, sa vie même, dans cette ultime partie.

Derrière le silence de la concentration, derrière le calme apparent, derrière les visages impénétrables, c'est une guerre qui est déclarée et on en connaît l'issue. le Maître va s'éteindre et, avec lui, une page se tourne sur le Japon ancestral et traditionnel.

Entre lenteur poétique et tension palpable, ce petit roman va bien au-delà du jeu proprement dit, même si les parties sont très détaillées, pour cueillir aussi bien ceux qui sont au fait de la stratégie du go, que ceux qui n'y connaissent rien.

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zaphod   13 mars 2014

Ils sont fous, ces Japonais !

Un jour, y en a un qui va nous écrire un roman de 500 pages sur la chute d'un flocon de neige.

Ou est-ce déjà fait ? 

Ou alors, c'est nous qui sommes aveugles de ne pas saisir toute l'importance de la chute d'un flocon. Peut-être que cet évènement d'apparence insignifiante contient en lui tout le sens du monde. Ce flocon devait tomber exactement comme il est tombé, au moment et à l'endroit précis où il est tombé … 

A l'exact moment ou dans une auberge d'Ito, le vieux maître Shusai, réputé invincible au jeu de Go, dépose une pierre d'une blancheur neigeuse sur le plateau de jeu (goban) où se déroule l'ultime partie. Partie où le maître remet en jeu une dernière fois son titre de « Honimbo » face à Otaké, un jeune prétendant ambitieux. Partie que le maître perdra, suite à ce coup légèrement imprécis, qui introduit un infime déséquilibre dans le cours des choses. Suite à cette défaite, le maître perdra aussi goût à la vie et mourra quelques mois plus tard. (Ce n'est pas dévoiler le récit car on apprend sa mort à la première phrase du livre).

Pour le sage qui voit tomber ce flocon ou cette pierre blanche, le sens est apparent. Tout est lié.

Pour nous qui n'avons qu'une connaissance superficielle du Tao ou de l'art du Go, nous ne pouvons que subodorer l'épaisseur de sens qui bout sous la calme surface des choses, et sous les courtes phrases finement ciselée de Kawabata, rythmées par le délicat choc des pierres posées sur le goban.

Pierre noire, pierre blanche ; yin et yang ; modernité et tradition ; jeune élève ambitieux et vieux maître hautain, fils et père, Japon d'hier et d'aujourd'hui. 

(Wah, en relisant ce préambule, je me dis que quand je me mets à délirer, je peux aller assez loin !)

Cette confrontation, nous allons en être témoins par les yeux d'un journaliste, envoyé d'un grand quotidien qui patronne ce match. Il nous relate sans parti-pris les simples faits et détails qu'il observe durant les longues semaines que durera la partie. Et pour nous, ces faits se mettent à vibrer ensemble et à prendre la forme un dessein plus large, tout en subtilité et nuances.

Kawabata comme le vieux maître, fut conscient qu'il vivait à la charnière de deux époques. Et certains disent que c'est parce qu'il ne trouvait plus sa place dans le Japon moderne qu'il mit fin à ses jours.

Mais pour moi, le point central du livre est le jeu de go. Ce jeu, créé il y a des milliers d'années à partir d'éléments très simples : le bois et la pierre, la ligne et l'intersection, le blanc et le noir, ne possède que quelques règles d'une simplicité extrême. Pourtant, sur ces éléments de base peuvent se développer des stratégies d'une complexité infinie. On dit qu'il y a plus de parties de go différentes qu'il n'y a de particules dans tout l'univers.

Sur le goban qui est vide au début de la partie se construit une représentation de l'univers. Une fois la partie terminée, elle s'efface aussitôt, comme un jardinier efface les sillons dans le gravier d'un jardin japonais. Puis tout peut repartir dans un éternel recommencement.

Quel est le sens de tout cela ? Est-ce qu'il y a un sens à consacrer toute sa vie à devenir le meilleur joueur de go, et à renoncer à vivre lorsque vient la défaite ? Etrangement, aucun personnage ne semble se poser la question. C'est comme çà. Chacun assume son destin avec un curieux mélange d'humilité et de prétention. 

Faut-il connaître les règles du go pour lire ce livre ? Non. Bien que cela puisse donner un niveau supplémentaire de lecture ; même sans cela, il faut de toute manière accepter de ne pas tout voir et ne pas tout comprendre. Mais peut-être que cette lecture vous donnera, comme à moi, le désir d'apprendre le go et insinuera subrepticement en vous la passion de ce jeu.           

Unhomosapiens   20 janvier 2019

Fichtre ! Je m'aperçois que je n'ai encore pas rédigé de critique d'un livre de Kawabata. Mes lectures de cet auteur ne sont pas récentes hélas. Je mélange un peu tout. Des paysages de neige, des relations humaines à peines effleurées à Izu, des agissements parfois peu avouables pour de belles endormies, la peur de la mort pour un vieillard au son du grondement d'une montagne… Mais l'intrigue dont je me souviens le plus reste celle, finalement assez simple du « Maître ou le tournoi de go ». J'ai eu l'occasion, à la fin des années 80 de voir une mise en scène théâtrale à Paris où Michel Bouquet interprétait le rôle principal du maître. Ce qui a ravivé mes souvenirs, ma lecture de ce roman étant antérieure. de plus, je pratique un peu le Go. Entre notre jeu d'échec et de dames, l'échiquier du Go, appelé goban, peut être considéré comme la représentation du monde sur lequel on déplace des pions. Les choix de jeu représentent donc nos choix de vie. Encercler l'adversaire pour lui prendre le plus de territoire possible. Kawabata en fait donc une allégorie. Une lutte à mort ! Un vieux maître quasiment mourant, représentant le monde « d'avant » joue contre un jeune loup incarnant le monde « nouveau ». Cette partie s'étalera sur plusieurs années si mes souvenirs sont bons, jusqu'à la mort du vieux maître. Comme toujours, chez Kawabata, c'est ce qui est « dit » entre les mots qui est important. Les relations ne sont jamais franches. Les non-dits sont d'une importance capitale. Un frémissement peut générer un cataclysme. Il faut savoir adhérer à une lenteur absolument nécessaire et s'imprégner de l'atmosphère, de l'ambiance.

Je me donne envie de relire ce roman ! 

stcyr04   11 septembre 2020

Le go est un jeu pluriséculaire, inventé par les chinois et perfectionné par les japonais qui l'ont enrichi de leur raffinement, de leur rigueur et de leur sens du cérémonial, au point d'en devenir un art, une philosophie, une conception de la vie et comme un art martial éthéré. le Maître ou le Tournoi de Go est la version romancée d'une des plus célèbres partie jamais jouées, une sorte de pendant des grandes tournois d'échecs des années 1970 et 1980. Cette épisode dura des mois. L'affrontement oppose un maître au crépuscule de sa vie, et celui qui est appelé par ses capacités à prendre la relève. le vieil homme joue les "blancs" alors que son adversaire a les jetons noirs. Les deux hommes ont des soucis de santés et ressentent les effets physiques indésirables résultant de la grande contention d'esprit que requiert un tel jeu. Les interruptions sont innombrables, les coupures entre chaque séance se comptent en jours, on met des heures à jouer un coup. Mais globalement le plus jeune des deux use d'un temps considérablement plus long pour avancer ses coups et sa progression semble inexorable. L'état physique du champion se détériorant, son challenger jouant les noirs, on peut y voir tout le symbolisme de la lutte ultime de l'homme âgé face à l'inévitable de la mort.

Kawabata est l'écrivain du monde ancien, du révolu, de la tradition. Il présente les subtilités d'un art encore dans sa pureté, hiérarchisé, riche de symbolisme, de déférence, pas encore pollué par le rationalisme, l'approche scientifique et mathématique d'une pratique n'ayant plus que la victoire pour finalité et pour sens. Pas de Japon robotisé, industrialisé; ni excentricité, ni frénésie. Ses écrits ont la subtilité, la rigueur, la pureté qui rendent la culture japonaise traditionnelle si fascinante à de nombreux occidentaux. L'oeuvre du prix Nobel de littérature 1968 est incontournable à toutes ces personnes dont je suis.

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Asterios   31 mars 2019

Aucune autre nation n'a peut-être créé de jeu qui soit aussi intellectuel que le go, ou que les échecs à l'orientale. On ne pourrait sans doute envisager, nulle part ailleurs au monde, un tournoi qui dure quatre-vingts heures, étalées sur trois mois. Le go, comme la cérémonie du thé, comme le No, se serait-il enfoncé de plus en plus loin dans les replis profonds de la tradition japonaise?

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Asterios   29 mars 2019

Une insomnie ne paraissait pas un motif tout à fait suffisant pour remettre une séance. L'étiquette du Go veut d'ailleurs qu'un joueur respecte ses engagements, quand bien même son père se trouverait à l'article de la mort, quand bien même il serait, lui, à la limite de ses forces.

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ionah   02 mai 2011

Le Maître, pendant son dernier tournoi, ne fut-il pas victime d'un certain rationalisme moderne attaché à des prescriptions tatillonnes mais ignorant tout de l'esthétique du Go ? d'un rationalisme ignorant le respect dû aux anciens, les égards que se doivent les hommes ? De la voie de Go, la beauté du Japon, de l'Orient a fui. Seules y règnent la science et la loi. L'avancement de dan en dan, déterminant dans la vie du joueur, devient un système pointilleux de comptabilité. Désormais, on ne lutte que pour vaincre, sans respecter de marge où revive la grâce du Go considéré comme un des beaux-arts. Les gens de notre temps veulent mener le combat dans des conditions de justice abstraite, même pour défier le Maître en personne.

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Shan_Ze   01 mai 2015

Le Maître ne se laissa sans doute pas attirer dans ce tournoi par la seule puissance d'un grand quotidien ni par l'importance du cachet, mais aussi par le souci réel de son art. La combativité l'animait sans conteste. Il ne se serait probablement pas embarqué dans cette affaire s'il avait envisagé de perdre et l'on aurait dit que sa vie s'était achevée sur la chute de sa couronne d'invincibilité. Il avait suivi son extraordinaire destin jusqu'au bout. Peut-on suggérer que, pour le mieux suivre, il s'était lui-même floué ?

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Spilett Spilett   10 janvier 2010

L'éventail serré dans le poing, le Maître se leva; il empruntait tout naturellement l'attitude d'un samouraï qui saisit sa dague. Il s'assit devant le damier, les doigts de la main gauche glissés dans le hakama, la jupe de cérémonie, l'autre un peu fermée. Il leva la tête, le regard droit. Otaké prit place en face de lui. Après s'être incliné devant son adversaire, il saisit le bol rempli de pions noirs sur le damier pour le poser à sa droite. Il salua pour la seconde fois puis, immobile, ferma les yeux.

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=============================Yasunari Kawabata

Le Maître ou le Tournoi de go

Traducteur : Sylvie Regnault Gatier

Yasunari Kawabata, le grand romancier japonais, prix Nobel de littérature en 1968, nous donne ici son oeuvre la plus dépouillée - celle qui lui tenait le plus à coeur. En racontant un tournoi de go, qui se déroula réellement en 1938 et qui est resté célèbre dans les annales de cet art, il analyse avec une minutie passionnée le drame d'un vieux lutteur qui succombe.

Car, sous le couvert d'un cérémonial quasi liturgique, dans le cadre séduisant d'une auberge de campagne japonaise, le vieux Maître, le héros jusqu'alors invaincu de tant d'autres "rencontres", mène son dernier combat. En face de lui, un adversaire plus jeune, qui représente une autre sensibilité, un autre monde. Le Japon ancien affronte le nouveau, la tradition se défend contre le changement.

Sans que nul élève la voix, mais dans un climat d'une tension parfois insoutenable, le vieil homme va tomber sous les coups d'une puissante presse affairiste, des ambitions de la génération montante, et des intrigues de son entourage. En contre-point, l'auteur, ce merveilleux poète qui était aussi un habile joueur de go, commente les coups de cette partie pour laquelle même les non-initiés se passionneront et qui devient, sous sa plume, un jeu de vie et de mort.

On songe au Hermann Hesse du Jeu des perles de verre, ou au Nabokov de La Défense Loujine. Comme eux, mais de la manière unique qui est celle des conteurs orientaux, Kawabata sait évoquer les pouvoirs d'un haut divertissement de l'esprit, et en manier les symboles. Ainsi parvient-il, sans effort apparent, à exprimer la réalité la plus vaste. "Il suffit d'une branche d'arbre bien peinte", a-t-il dit en citant le peintre chinois Chin Nung, "pour qu'on entende le bruit du vent."

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KAWABATA Yasunari

(Osaka, 14/06/1899 - 16/04/1972)

http://www.plathey.net/livres/japon/kawabata.html

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Yasunari Kawabata

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Yasunari Kawabata
川端 康成
Description de cette image, également commentée ci-après
Yasunari Kawabata en 1938.
Naissance
Osakapréfecture d'OsakaDrapeau du Japon Japon
Décès
Zushipréfecture de KanagawaDrapeau du Japon Japon
Activité principaleécrivain
DistinctionsPrix Akutagawa
Prix Nobel de littérature
Auteur
Langue d’écritureJaponais

Œuvres principales

Yasunari Kawabata (川端 康成Kawabata Yasunari), né le 1 à Osaka, et mort le  à Zushi, est un écrivain japonaisprix Nobel de littérature en 1968.

Considéré comme un écrivain majeur du xxe siècle et obsédé par la quête du beau, la solitude et la mort, il a écrit en particulier des récits très courts, d'un dépouillement stylistique extrême, regroupés plus tard en recueils, mais ses œuvres les plus connues internationalement sont ses romans comme Pays de neige (1935-1947), Le Grondement de la montagne2 (1954) ou Les Belles Endormies (1960-1961).

Biographie

Jeunesse

Portrait de Kawabata âgé de 18 ans

Le , pendant l'ère Meiji, Kawabata Yasunari, deuxième enfant d'une famille prospère et cultivée, vient au monde à Osaka. Né prématuré à sept mois, il restera de santé fragile toute son existence. Sa sœur Yoshiko est de quatre ans son aînée. Son père, Eikichi, médecin à Ōsaka fit ses études de médecine à Tokyo. Fin lettré, amateur de poésie chinoise et de peinture, il meurt de tuberculose en janvier 1901. Sa mère, Gen, née Kuroda, précédemment mariée au frère de son époux, est issue d'une famille fortunée. Après le décès de son mari, elle retourne dans sa maison natale du village de Toyosato en périphérie d'Ōsaka avec ses deux enfants, mais décède de la même maladie en janvier 1902. À trois ans, Yasunari est orphelin.

Séparé de sa sœur qui est recueillie par sa tante, il est élevé par ses grands-parents paternels qui vivaient dans le village de Toyokawa, autre district de la région d'Ōsaka. Ceux-ci tentèrent de pallier le vide affectif traumatisant causé par la disparition de ses parents. Son grand-père Kawabata Sanpachirō, notable local féru de divination et un temps fabricant de médecine chinoise, avait vendu ses terres pour investir dans des placements qui causèrent sa ruine. À 7 ans, Yasunari entre à l'école primaire de Toyokawa où il fera une brillante scolarité malgré sa santé précaire. Sa sœur Yoshiko meurt en 1909. Il n'assistera pas à l'enterrement de cette sœur dont il n'a gardé « au fond du cœur aucune image », sa famille voulant éviter de lui infliger une fois encore l'épreuve d'une cérémonie funèbre, mais cela l'empêchera de faire le deuil réel de la jeune fille. Sa grand-mère meurt en septembre de la même année. En avril 1912 (ère Taishō), il entre au collège d'Ibaraki (préfecture d'Osaka). Il décide cette année-là de devenir écrivain et consacre désormais son temps libre à la lecture et à ses premières tentatives de création littéraire.

Resté seul avec son grand-père, des liens très étroits se tissent entre le petit-fils et le vieil homme pendant leurs huit années de vie commune. Mais, affaibli et devenu aveugle, celui-ci décède en mai 1914 dans sa soixante quinzième année. Yasunari est alors recueilli pendant six mois par un oncle de sa famille maternelle au village de Toyosato. Il écrit cette année-là son premier opus littéraire, Jūrokusai no nikki (Journal de ma seizième année), qui ne sera publié que onze ans plus tard (1925), puis édité dans Shōnen (L'adolescent) en 1948.

Depuis son plus jeune âge, Yasunari fut donc durement confronté à la disparition précoce de sa cellule familiale et cette expérience douloureuse qui se retrouvera ultérieurement dans ses écrits semble être une des clés de son rapport obsessionnel à la solitude et à la mort (Ramasser des ossements1916 ; L'Abonné des funérailles1923 ; Les Sentiments d'un orphelin1924 ; Le Visage de la morte1925 ; Voiture funéraire1926 etc.).

Yasunari entre comme pensionnaire au lycée d'Ibaraki en janvier 1915 (il y restera jusqu'à la fin de ses études en 1917). Grand lecteur de littérature contemporaine et classique japonaise ainsi que de littérature occidentale, il envoie de courts essais à différents quotidiens et revues. Certains textes seront publiés. Au lycée, il est nommé responsable de chambre ce qui place sous son autorité Kiyono, jeune compagnon à la féminité prononcée. Complexé et obnubilé par un physique qu'il jugeait ingrat, convaincu de sa laideur, Yasunari nourrit une véritable passion sans exutoire charnel envers le séduisant Kiyono qu'il nommera lui-même « mon amour homosexuel » (in L'Adolescent). Mais en septembre 1917, Yasunari monte à la capitale et réussit à entrer au Premier Lycée de Tōkyō (en section de littérature anglaise), passage obligé pour intégrer l'Université Impériale. Cette séparation génèrera une correspondance épistolaire entre les deux amis jusqu'en 1921.

À l'occasion d'un voyage dans la péninsule d'Izu, Yasunari rencontre une troupe de théâtre ambulant où évolue une superbe danseuse. L'émotion esthétique de cette rencontre et la féerie du lieu font naître dans la psychologie amoureuse du jeune homme de 19 ans un nouveau désir érotique qui se juxtapose à celui éprouvé pour Kiyono. Cette expérience marquante sera la source de son premier roman Izu no odoriko (La Danseuse d'Izu, publiée en 1926). Depuis lors, pendant dix ans, il retournera à Yugashima, l'une des principales stations thermales d'Izu. Cet épisode montre que les écrits de Yasunari sont inspirés de faits réels parfois autobiographiques et, dans le cas ci-dessus, d'autres récits se référeront plus ou moins explicitement à cet épisode : Souvenirs de Yugashima en 1922Le grondement de la montagne en 1949-1954, Le Lac en 1954Les belles Endormies en 1960-1961.

À partir de 1919, Yasunari et ses amis forment un cercle libre de littérature moderne. Il publie alors la nouvelle Chiyo (Chiyo) dans la revue de la société amicale du Premier Lycée de Tōkyō. C'est à cette époque qu'il se lie d'amitié avec le futur écrivain Tōkō Kon (1898-1977) dont le père l'initie au spiritisme.

En juillet 1920, il obtient son diplôme du Premier Lycée de Tōkyō ce qui lui permet de s'inscrire à l'Université Impériale de Tōkyō, faculté de Littérature, section Littérature anglaise. Il optera l'année suivante pour la section Littérature japonaise. Désireux avec d'autres camarades de lancer la sixième série de la revue du cercle de l'université, Shinshichō (Pensée nouvelle), il rencontre à ce sujet l'écrivain Kan Kikuchi qui deviendra son protecteur. L'année suivante, il lance la sixième série de Shichinchō où il fera paraître successivement plusieurs nouvelles importantes dont Shōkonsai ikkei (Tableau de fête en hommage aux soldats morts) et Abura (Huile). Par l'entremise de Kan Kikuchi il fait la connaissance de Riichi Yokomitsu (1898-1947) qui restera un ami fidèle et son principal compagnon sur la route du modernisme. Il rencontre également Ryūnosuke Akutagawa (1883-1927), Masao Kume et quelques autres futurs écrivains de sa génération.

À l'occasion d'une réunion d'étudiants dans un café proche du lycée supérieur d'Ichikō à Hongō, Yasunari fait la connaissance de Itō Hatsuyo, jeune serveuse de 14 ans qui le laisse d'abord indifférent. Peu après cette rencontre, le café cesse son activité et Hatsuyo part vivre chez ses parents adoptifs dans un temple de Gifu situé dans une région montagneuse au centre de l'île. Entraîné par un de ses amis, Miaki, il continue à voir la jeune fille et, contre toute attente, décide de l'épouser. Très étonnés, ses amis suivent la préparation du mariage. Yasunari fait part de ses intentions au père d'Hatsuyo et soumet son projet à son protecteur Kan Kikuchi qui lui offre de bon cœur plus de 200 yens. Cette somme importante sert à louer un logement pour recevoir la future épouse. Environ un mois après cette décision Hatsuyo envoie une lettre incompréhensible pour rompre les fiançailles (in L'Extraordinaire ou Le Feu du sud).

Aux yeux de Yasunari, Hatsuyo représente la femme idéale et, malgré la fin tragique de leur courte relation, l'ombre de la jeune fiancée hantera longtemps l'esprit de l'écrivain. Son empreinte est décelable dans de nombreux personnages féminins qui parsèment son œuvre.

Les débuts d'écrivain

Kawabata (c. 1932)
Kawabata (Kamakura, 1946)

1922 - Il commence à être rémunéré pour ses nouvelles et articles de critique littéraire notamment dans Jiji shinpō et publie des traductions de Galsworthy et Tchékhov. Durant l'été il écrit à Yugashima Yugashima de no omoide (Souvenirs de Yugashima), texte qu'il reprendra partiellement dans L'Adolescent.

1923 - Kawabata participe au comité de rédaction du mensuel Bungei shunjū dirigé par Kan Kikuchi. Le grand séisme du 1er septembre le surprend à Tōkyō dont il parcourt les décombres accompagné de ses amis Tōkō Kon et Akutagawa Ryūnosuke. Il publie cette année-là Kaisō no meijin (réintitulé Sōshiki no meijinLe Maître des funérailles) et Nanpō no hi (Le Feu du sud).

1924 - En mars, il sort diplômé de l'Université impériale de Tōkyō ; son mémoire s'intitule Nihon shōsetsu-shi shōron (Petite étude sur l'histoire du roman japonais).

En septembre il fonde avec Riichi YokomitsuTeppei Kataoka et 12 autres compagnons la revue d'avant-garde Bungei jidai (L'Époque de la littérature) qui deviendra l'organe du Shinkankaku-ha (École des sensations nouvelles) où Kawabata joue un rôle central avec ses amis Tōkō Kon et Yokomitsu Riichi (1898-1947). La déclaration des fondateurs est rédigée par Kawabata lui-même : « Le destin de ceux qui pensent au futur est d'abandonner le passé et de renoncer au présent ».

1925 - Kawabata rencontre sa future femme, Matsubayashi Hideko et passe une bonne partie de l'année à Yugashima. Il publie Journal de ma seizième année, quelques Récits de la paume de la main et fait paraître plusieurs essais dans la revue Bungei jidai, en particulier Shinshin sakka no shinkeikō kaisetsu (Notes sur les nouvelles tendances des nouveaux écrivains), manifeste de « l'École des sensations nouvelles ».

1926, première année de l'ère Shōwa - Il publie son premier livre Kanjō sōshoku (Les Ornements des sentiments), un recueil de trente cinq des Récits de la paume de la main et la nouvelle Izu no odoriko (La Danseuse d'Izu) dans la revue Bungei jidai.

Ainsi que l'attestent deux de ses livres (La Photographie, 1924, Photographie avec des fleurs, 1930) Kawabata était un passionné de photographie et de cinéma. C'est donc sans réticence qu'il écrit le scénario d'un film muet, Kurutta ippeji (Une Page folle), sur une idée du réalisateur Teinosuke Kinugasa (1896-1982). Cette « composition littéraire » démontre que sa technique d'écriture — parution de courts récits — est très proche du montage séquentiel d'un film et du synopsis d'un scénario. Ce tournage lui permet de mettre en lumière sa connaissance approfondie des techniques cinématographiques. Sept autres films adaptés de ses romans seront tournés par divers réalisateurs et scénaristes jusqu'en 1980.

1927 - Kawabata séjourne à Yugashima où il se lie d'amitié avec le jeune auteur Motojirō Kajii3 (1901-1932) qui y est en cure pour sa tuberculose (plus tard, les articles favorables de Kawabata aideront à ce que Kajii ne soit pas oublié3) ; ils jouent au go pendant des mois et Kajii l'aide à corriger les épreuves de son deuxième recueil de nouvelles3. Publication de ce dernier sous le titre La Danseuse d'Izu et du premier feuilleton Humi no himatsuri (La Fête du feu au bord de la mer) dans Chūgai shōgyō shinpō.

1928 - Kawabata séjourne à Atami puis s'installe dans le quartier d'Ōmori à Tōkyō et publie Bōryokudan no ichiya (La Nuit des gangsters).

1929 - Il participe à la création de deux revues littéraires, Kindai seikatsu et Bungaku. Tout en publiant régulièrement des critiques littéraires, il fréquente assidûment le quartier d'Asakusa qui inspire son second feuilleton Chroniques d'Asakusa paru dans Tōkyō Asahi shinbun de  à . Il déménage une nouvelle fois et s'installe dans le quartier de Ueno.

1930 - Il est chargé de cours au Bunka Gakuin et à Nihon Daigaku ce qui ne l'empêche nullement de fréquenter Asakusa. Il publie deux nouveaux recueils de nouvelles dont Boku no hyōhonshitsu (Ma Collection d'échantillons) qui regroupe plusieurs Récits de la paume de la main.

La consécration

Yasunari Kawabata se marie civilement en 1931 avec Matsubayashi Hideko. Mais l'ombre d'Hatsuyo plane toujours, et les écrits de Kawabata à cette époque sont empreints d'une joie factice jusqu'à l'automne, période à laquelle il revoit Hatsuyo après douze ans d'absence (événement relaté dans Lettres à mes parents, mais considéré par certains comme fictif). La rencontre tant attendue s'avère cruellement décevante, ce qui provoque un changement radical dans le style d'écriture de Yasunari qui entre dans une période de désillusion et de remise en cause personnelle. Brisée par la réalité, l'image idéalisée d'Hatsuyo qui servait de support aux personnages féminins des romans disparaît pour laisser place à ses propres fantasmes. C'est donc au début des années 1930 qu'il atteint sa maturité d'homme de lettres et donne une interprétation définitive à sa conception de l'existence.

Il participe ainsi à la création de la revue littéraire Bungakukai dont l'intellectuel Kobayashi Hideo (1902-1983) est le principal animateur et publie Bestiaire et l'essai Matsugo no me (L'Ultime Regard). Il publie alors, à 36 ans, son autobiographie littéraire (Bungakuteki jijoden). C'est à cette période qu'il visite Yuzawa dans la province d'Échigo où il commence à écrire Pays de neige et apporte son soutien à l'écrivain Tamio Hōjō (1914-1937) qui est atteint de la lèpre. Quelques chapitres de Pays de neige sont publiés parallèlement à plusieurs nouvelles dont certaines sont encore inspirées d'Asakusa. La même année, en 1934, il déménage à Kamakura, ancienne capitale de samouraïs, au sud de Tōkyō mais passe ses hivers à Zushi. Quand Kan Kikuchi crée le prix Akutagawa, le plus important prix littéraire du Japon (équivalent au Goncourt), Yasunari fait partie du jury.

Il voyage l'année qui suit dans la région du Shinshū et visite notamment Karuizawa, station de montagne dont il apprécie tant le charme que l'année suivante, en 1937, il achète une maison secondaire où il passera ses étés jusqu'en 1945. Cet endroit privilégié lui inspire plusieurs romans et nouvelles. Il continue la publication de chapitres de Pays de neige, mais aussi de Itaria no uta (Chanson d'Italie) et de Hana no warutsu (La Valse des fleurs). La première édition de Pays de neige sort cette année-là. Kaizōsha publie une première anthologie de ses œuvres en 9 volumes en 1937. Kawabata suit avec passion les tournois de go et commence la publication de reportages sur le maître Hon'inbō Shūsai. En 1939, tout en continuant à suivre assidûment les tournois, il participe au mouvement pour « encourager l'écriture » (tsuzurikata undō) en donnant des cours et en faisant partie des jurés qui sélectionnent les écrits et contes envoyés par les amateurs.

En 1940, Kawabata parcourt les régions japonaises pour rédiger des chroniques de voyages. Il publie Haha no hatsukoi (Le premier Amour de ma mère), Hokuro no tegami (La Lettre du grain de beauté), Utsukushii tabi (Un beau Voyage) et fait partie des signataires pour la création de la Nihon bunkakusha-kai (Société des hommes de lettres japonais), liée aux autorités militaristes. Avec la guerre sino-japonaise, puis l'entrée du Japon dans la Seconde guerre mondiale, Kawabata poursuit une activité journalistique qui le conduit par deux fois en Mandchourie, la première à l'invitation du quotidien Manshū nichinichi shinbun, la deuxième à la demande de l'armée japonaise du Kantō. Il voyage, visite Pékin et revient au Japon fin novembre, huit jours avant le déclenchement de la guerre du Pacifique. Il publie un recueil de nouvelles Aisuru hitotachi (Ceux qui aiment). Cette implication dans la politique militariste du pays se révèle dans la participation de Kawabata à certaines activités de la Nihon bungakusha-kai sur la base d'une charte de coopération avec le gouvernement. En , il est ainsi envoyé dans un camp militaire de Kagoshima en tant que chargé d'information pour la marine nationale. En mai il participe au lancement d'un fonds de prêt de livres appartenant aux intellectuels résidant à Kamakura. Sous le nom de Kamakura Bunko (la bibliothèque de Kamakura) cette librairie deviendra après la guerre une maison d'édition pour laquelle il travaillera comme l'un des éditeurs. Ses bureaux étaient situés à Tōkyō au premier étage du grand magasin Shirokiya.

À cette époque, il recueille dans son foyer la fille d'un cousin d'une branche de sa famille maternelle. Cette adoption lui inspire plusieurs récits dont Koen (Le vieux Jardin). Bien que profondément affecté par la défaite du Japon, Kawabata se remet à publier des nouvelles et un roman sur le thème des kamikazes L'Arbre de vie. Il déménage dans le quartier de Hase à Kamakura dans ce qui sera sa dernière demeure.

Après la guerre, Kawabata et Jun Takami (1907-1965) fondent la revue Ningen (L'Homme) qui sera publiée par Kamakura Bunko. Il y publie en 1947 l'un des premiers écrits de Mishima Yukio (1925-1970) Tabako (La Cigarette). C'est le début d'une longue amitié littéraire. Leur correspondance suivie (de 1945 à 1970) met en lumière les affinités subtiles et l'indéfectible lien qui les unirent dans une relation qui, au fil du temps, dépassa celle habituelle de Maître à penser envers son disciple.

La première version complète et révisée de Pays de neige est publiée en 1948 ainsi que Saikonsha (La Femme remariée) et Shōnen (L'Adolescent). Une anthologie de ses œuvres commence à être publiée chez Shinchōsha (elle sera achevée en 1954, en 16 volumes) pour laquelle il rédige des postfaces explicatives qui seront ultérieurement réunies sous le titre de Dokuei jimei (Ombre solitaire, mienne destinée).

L'année 1949 est particulièrement marquante pour l'œuvre de Kawabata : c'est tout d'abord la publication de Sembazuru (Nuée d'oiseaux blancs), roman qui témoigne de l'intérêt de Kawabata pour la pratique de l'esthétique dépouillée du Zen par la Voie du Thé (Chanoyu). C'est ensuite, en septembre, le début de la publication de Yama no oto (Le Grondement de la montagne) dans plusieurs revues.

Le prix du Geijutsu.in (Académie des arts) lui est décerné en 1952 pour Nuées d'oiseaux blancs et Le Grondement de la montagne, en cours de publication. Nuée d'oiseaux blancs est élu meilleur livre de l'année. Kawabata est nommé membre de l'Académie des Arts en même temps que Kafū Nagai (1879 – 1959) et Mimei Ogawa (1882-1961), deux autres romanciers de grand renom.

Kawabata est hospitalisé en  en chirurgie à l'hôpital de l'Université de Tokyo à cause de ses troubles à la vésicule biliaire. La publication de Nemureru bijo (Les belles Endormies) débute en feuilleton en 1960. Il réside alors plusieurs mois à Kyoto en vue de réunir de la documentation pour deux romans en projet : Koto (Kyōto) et de Utsukushisa to kanashimi to (Tristesse et beauté) dont il commence pour les deux la publication en feuilleton.

Il est hospitalisé en février à Tōkyō à la suite des troubles graves causés par une tentative de sevrage de ses somnifères habituels ce qui provoqua un coma d'une dizaine de jours. Rétabli, il milite pour la paix dans le monde. Utshukushisa to kanashimi to (Tristesse et beauté)4 paraît en . Ce sera la dernière œuvre publiée de son vivant.

Le , Kawabata et Mishima publient avec les écrivains Ishikawa Jun (1899-1987) et Kōbō Abe (1924-1993) la « Déclaration des Quatre » texte appelant l'opinion publique japonaise à protester contre la Révolution culturelle chinoise. Le résultat, mitigé, restera sans suite. En juillet, afin de relancer la revue trimestrielle littéraire Hihyō (Critique), Mishima lui demande de rédiger un article. En réponse Kawabata écrira Ryoshin-shō (Extraits de nouvelles de voyage).

Le sacre du prix Nobel

1968 – Année du sacre et de la notoriété mondiale, le prix Nobel de littérature lui est décerné le . Yasunari est le premier écrivain japonais à obtenir cette récompense. Son discours prononcé lors de la remise du prix le  à Stockholm s'intitule « Utsukushii nihon no watakushi » (Le beau Japon en moi ou Moi, d'un beau Japon). Il milite pour l'élection de son vieil ami Tōkō Kon au siège de sénateur.

1969 – En mars, Kōdansha édite Moi, d'un beau Japon. Le 1er mai, Yasunari donne une série de conférences à l'université de Hawaii puis à San Francisco, dont un court essai sur l'esthétique japonaise traditionnelle Bo no sonzai to hakken (Présence et découverte du beau) qui sera édité en juillet par Mainichi Shimbunsha.

Il est nommé docteur honoris causa de l'université d'Hawaï et membre d'honneur de l'Académie américaine des arts et des lettres.

La cinquième anthologie de ses œuvres débute chez Shinchoshā en 19 volumes.

1970 – Yasunari participe au congrès des Écrivains d'Asie à Taipei puis au congrès du Pen club international qui se tient à Séoul.

, jour terrible de l'annonce du suicide par seppuku de son disciple et ami Mishima. Yasunari est bouleversé.

Une société académique spécialisée dans les études sur Kawabata est fondée sous le nom de Kawabata bungaku kenkyū-kai.

1971 - Le , il préside la cérémonie des obsèques publiques de Mishima au temple Tsukiji Honkanji de Tōkyō, et lit un extrait d'une lettre aux résonances prophétiques que son ami lui avait adressée le  (Correspondance, page 223).

Il milite pour un autre de ses amis qui se présente aux élections pour le poste de gouverneur de Tōkyō et s'active également pour l'organisation du premier Congrès international des Études japonaises. Il souffre de surmenage.

1972 – Yasunari est hospitalisé pour une appendicite, sa santé est précaire.

À 72 ans et 10 mois, bien que réticent à l'idée du suicide, il choisit le gaz pour mettre fin à ses jours le , discrètement, dans la solitude d'un petit appartement qui lui servait de bureau secondaire au bord de la mer à Zushi (à proximité de Kamakura).

Il ne laissera derrière lui ni explication ni testament pour expliquer son dernier geste. Sa tombe se trouve au cimetière de Kamakura. Son épouse Hideko est décédée en 2002 à 95 ans.

En novembre une fondation est créée à sa mémoire, présidée alors par Inoue Yasushi et une salle consacrée à Kawabata est ouverte à l'Institut de littérature moderne japonaise, présentant une partie des manuscrits et calligraphies légués à l'Institut. Yukiguni-shō (Extraits de pays de neige) est publié à titre posthume.

1973 – Un prix Kawabata est créé pour honorer la meilleure nouvelle de l'année. Il s'est interrompu en 1999 pour, peut-être, renaître sous une autre forme.

1980-1984 – Publication définitive de Kawabata Yasunari zenshū (Œuvre intégrale de Kawabata Yasunari) aux éditions Shinchōsha en 37 volumes.

1985 – Fondation du Kawabata Yasunari Bungakukan (musée Kawabata Yasunari), municipal, à Ibaraki près d'Ōsaka.

1999-2000 – À l'occasion du centenaire de sa naissance, les éditions Shinchōsha rééditent l'Œuvre intégrale précitée en fac-similé. En France, les manifestations pour cet événement furent très discrètes à la mesure de la méconnaissance de cet écrivain pourtant essentiel.

Un écrivain majeur

Yasunari Kawabata est unanimement considéré comme un écrivain majeur du xxe siècle. Ses ouvrages sont le fruit d'une recherche esthétique inédite, visant l'expression la plus essentielle des sensations. Sa langue réfute le discours littéraire et intellectuel traditionnel et se veut éloignée de toute tentation argumentaire ou explicative.[réf. nécessaire]

Homme complexe et secret, moderniste ancré dans ses traditions culturelles et fin connaisseur de la littérature occidentale, Kawabata laisse derrière lui une œuvre d'une richesse inégalée et d'une beauté intemporelle qui relie l'Orient à l'Occident dans une écriture très personnelle, qui atteint parfois une forme d'extase et de majesté dans l'épure.[réf. nécessaire]

Tout au long de son parcours littéraire hanté par la quête du beau, la mélancolie, la solitude et la mort, Yasunari s'attache à peindre avec sensibilité et pudeur le tragique des sentiments humains. Pour chaque texte, il procède à plusieurs expériences sur la langue japonaise. Son langage propose en effet une multiplicité d'images et de nuances expressives singulières.[réf. nécessaire]

Il écrit tout au long de sa vie de très courts récits qu'il dénomme Tenohira no shōsetsu (Récits qui tiennent dans la paume de la main) et qui sont publiés de 1921 à 1964 dans des revues ou des recueils. Ils sont ensuite édités dans un recueil de nouvelles au titre éponyme.

La grande diversité des thèmes abordés reflète une œuvre aussi variée que cohérente qui concilie réel, quotidien, irrationnel et universalité. Certains écrits d'une forme particulièrement brève et d'un dépouillement stylistique extrême donnent à ces récits une puissance évocatrice et suggestive stupéfiante.[réf. nécessaire]

Ce sont sans doute ces récits qui expriment de la manière la plus superbe et la plus évidente la quintessence même de l'œuvre de Kawabata.[réf. nécessaire]

Œuvres traduites en français

Romans et nouvelles

  • 1916-1964 : Récits de la paume de la main (Tenohira no shôsetsu), choix de soixante nouvelles, traduction par Anne Bayard-Sakai et Cécile Sakai, Albin Michel, 1999 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 2001.

A noter la présence de trois Récits de la paume de la main inédits dans La Nouvelle Revue Française n°599-600 (Du Japon), .

  • 1921-1948 : L'Adolescent, recueil de cinq nouvelles, traduction par Suzanne Rosset, Albin Michel, 1992 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1995. Ce recueil comprend :
    • Lettres à mes parents (Fubo e no tegami)
    • L’Adolescent (Shônen)
    • Journal de ma seizième année (Jûrokusai no nikki)
    • Huile (Abura)
    • Grand-mère (Sobo)
  • 1926-1931 : Les Servantes d'auberge (Onsen yado), recueil de quatre nouvelles, traduction par Suzanne Rosset, Albin Michel, 1990 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1993. Ce recueil comprend :
    • Les Servantes d’auberge (Onsen yado)
    • Illusions de cristal (Suishô gensô)
    • Le Pourvoyeur de cadavres (Shitai shôkainin)
    • Une page folle (Kurutta ippêji)
  • 1926-1953 : La Danseuse d’Izu (Izu no odokiro), recueil de cinq nouvelles, traduction par Sylvie Regnault-Gatier, Susumu Susuki et Hisashi Suematsu, Albin Michel, 1973 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1984. Ce recueil comprend :
    • La Danseuse d’Izu (Izu no odokiro)
    • Elégie (Jojôka)
    • Bestiaire (Kinjû)
    • Retrouvailles (Saikai)
    • La Lune dans l’eau (Suigetsu)
  • 1929-1930 : Chronique d’Asakusa (Asakusa kurenaidan), roman, traduction par Suzanne Rosset, Albin Michel, 1988 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1992.
  • 1933-1964 : La Beauté, tôt vouée à se défaire (Chirinuruo), précédé de Le Bras (Kataude), deux nouvelles, traduction par Liana Rosi, Albin Michel, 2003 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 2004.
  • 1935-1948 : Pays de neige (Yukiguni), roman, traduction du japonais par Bunkichi Fujimori et texte français par Armel Guerne, Albin Michel, 1960 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1982.
  • 1942-1954 : Le Maître ou le tournoi de go (Meijin), roman, traduction par Sylvie Regnault-Gatier et Hisashi Suematsu, Albin Michel, 1975 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1988.
  • 1949-1952 : Nuée d’oiseaux blancs (Senbazuru), roman, traduction du japonais par Bunkichi Fujimori et texte français par Armel Guerne, Plon, 1960 ; réédition Union générale d’éditions (10/18), 1986 ; réédition Editions Sillage, 2009.
  • 1949-1954 : Le Grondement de la montagne (Yama no oto), roman, traduction par Sylvie Regnault-Gatier et Hisashi Suematsu, Albin Michel, 1969 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1986.
  • 1952-1960 : Première neige sur le Mont Fuji (Fuji no hatsuyuki), recueil de six nouvelles, traduction par Cécile Sakai, Albin Michel, 2014 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 2016. Ce recueil comprend :
    • Première neige sur le Mont Fuji (Fuji no hatsuyuki)
    • En silence (Mugon)
    • Terre natale (Kokyô)
    • Gouttes de pluie (Amadare)
    • Une rangée d’arbres (Namiki)
    • La Jeune fille et son odeur (Niou musume)
  • 1954-1955 : Le Lac (Mizuumi), roman, traduction par Michel Bourgeot avec la collaboration de Jacques Serguine, Albin Michel, 1978 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 2004.
  • 1958 : Yumuria (Yumuria-shi), dans Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines (Tome I), nouvelle, traduction par Marc Mécréant, Gallimard, 1986.
  • 1960-1961 : Les Belles endormies (Nemureru bijo), roman, traduction par René Sieffert, Albin Michel, 1970 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1982 ; réédition en tirage limité avec photographies et illustrations de Frédéric Clément, Albin Michel, 1997.
  • 1961-1962 : Kyôto (Koto), roman, traduction par Philippe Pons, Albin Michel, 1971 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1987.
  • 1961-1965 : Tristesse et beauté (Utsukushisa to kanashimi to), roman, traduction par Amina Okada, Albin Michel, 1981 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 1996.
  • 1963 : Au fond de l’être (Ningen no naka), dans Les Paons La Grenouille Le Moine-Cigale et dix autres récits (Tome 3 - 1955-1970), nouvelle, traduction par Yûko Brunet et Isabelle Balibar, Editions Le Calligraphe-Picquier, 1988 ; réédition Philippe Picquier, 1991 ; réédition sous le titre Anthologie de nouvelles japonaises (Tome III - 1955-1970) - Les Paons La Grenouille Le Moine-Cigale, Picquier poche, 1998.
  • 1964-1968 : Les Pissenlits (Tanpopo), roman, traduction par Hélène Morita, Albin Michel, 2012 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 2014.

Correspondance

  • 1997 : Kawabata Mishima – Correspondance (Kawabata Yasunari Mishima Yukio ôfuku shokan), traduit par Dominique Palmé, Albin Michel, 2000 ; réédition Librairie générale française (Le Livre de Poche), 2002.

Essais et discours

  • 1925 : Note sur les nouvelles tendances des nouveaux écrivains (Shinshin sakka no shinkeikô kaisetsu), dans Kawabata, le clair-obscur de Cécile Sakai, traduction par Cécile Sakai, PUF, 2001.
  • 1968 : Moi, d'un beau Japon, dans Tous les discours de réception des prix Nobel de littérature (p. 658-678), traduction par Cécile Sakai, Flammarion, 2013.

Préfaces

  • Japon d'Adolfo Tamburello, Fernand Nathan (collection ''Merveilles du monde''), 1975.
  • Haut le cœur de Jun Takami, roman, traduction par Marc Mécréant, Editions Le Calligraphe-Picquier, 1985 ; réédition Philippe Picquier, 2000 ; réédition Picquier poche, 2006.
  • Les Quatre saisons de Kyôto de Kaii Higashiyama, traduction par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura, Seuil, 2007.

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