encyclopédie Larousse
Gabriel García Márquez
Écrivain colombien (Aracataca 1928-Mexico 2014).
Son œuvre, qui fait de lui le maître incontesté de l'art de conter en Amérique latine, forme la chronique d'un village imaginaire, Macondo, où s'épanouissent les souvenirs et les obsessions de son enfance. La violence, la mort, la solitude en sont les thèmes essentiels (Cent Ans de solitude, 1967 ; l'Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique, 1972 ; Chronique d'une mort annoncée, 1981 ; l'Amour aux temps du choléra, 1985 ; De l'amour et autres démons, 1994). [Prix Nobel 1982.]
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García Márquez (Gabriel)
Journaliste et écrivain colombien (Aracataca 1928).
Devenu chroniqueur régulier à El Espectador, l'un des deux grands quotidiens de Bogotá, il est envoyé en Europe, et en particulier à Paris (1954). La fermeture de son journal pour raisons politiques le laisse dans une situation précaire, jusqu'au moment où il gagne Caracas (1957), et peut y reprendre ses activités de journaliste. Rentré à Bogotá en 1959, il y participe à la création de l'antenne locale de Prensa latina, l'agence de presse de la toute jeune république de Cuba, qu'il quittera dès 1961 pour s'installer à Mexico. Là, il participe de plus en plus activement à la vie politique du continent, en soutenant au grand jour les mouvements anti-impérialistes auxquels il collaborait depuis très longtemps. Puis il rentre dans son pays, qu'il retrouvera après chacun de ses nombreux voyages, avant de le quitter à nouveau en août 1980. Il n'en garde pas moins un contact étroit et influent avec sa patrie, par l'intermédiaire d'El Espectador : il en est devenu l'éditorialiste et y publie chaque dimanche une chronique reprise par un nombre considérable de journaux, et qui est célèbre sous le nom de « colonne de Gabo », diminutif de son prénom. Cette activité journalistique s'accompagne à partir de 1947 d'une très riche carrière romanesque. C'est à cette date, en effet, qu'El Espectador publie le premier de ses contes, qui seront recueillis pour certains dans Des yeux de chien bleu(1974) : ils marquent le point de départ d'une œuvre qui fera peu à peu de son auteur le maître incontesté de l'art de conter en Amérique latine, et dont chaque nouveau livre constitue un événement littéraire et un phénomène d'édition sans précédent. Dans son premier roman, les Étrangers de la banane (1955), García Márquez fait le récit d'une veillée mortuaire à « Macondo », village imaginaire qui deviendra un des hauts lieux de la fiction contemporaine, symbolisant ce qu'on a appelé un « régionalisme à vocation universelle ». Il reste en effet un écrivain des régions côtières de la Colombie, dont il fait un véritable microcosme, où se nouent sans toujours se résoudre des conflits qui sont bien ceux du continent tout entier. Ce court récit est parcouru par une violence extraordinaire, qui évoque les plus sombres tragédies de la Grèce antique, comme cette Antigone dont il porte un passage en exergue. Autour du cadavre d'un suicidé que les habitants de Macondo refusent d'enterrer, trois personnages, dont un enfant, poursuivent des monologues intérieurs, selon une technique empruntée au Faulkner de Tandis que j'agonise. C'est aussi la violence qui caractérise Pas de lettre pour le colonel(1961), récit également très bref dont le héros est un vétéran des guerres fédéralistes qui, en compagnie de son coq de combat, attend vainement la gratification à laquelle il estime avoir droit. Ces deux récits contiennent en germe toute la production postérieure de García Márquez ; ils ont en effet pour thème essentiel, à côté de la violence et de la mort, la solitude de l'homme, sentie comme une fatalité inexorable. Violence, mort et solitude se retrouvent dans les Funérailles de la Grande Mémé(1962), contes qui campent le portrait de personnages méditant ou agissant autour de différents cadavres : la nouvelle qui donne son titre au recueil a un caractère tout à fait hallucinatoire, et atteint au mythe, né de l'imagination et des voix populaires, traits récurrents de l'œuvre entière.
García Márquez revient au roman en 1966 avec La mala hora, dernière étape sur le long chemin de Macondo, que ferme l'histoire racontée dans Cent Ans de solitude (1967) ; ce roman fait de son auteur, du jour au lendemain, l'écrivain le plus célèbre de l'Amérique latine, célébrité entérinée par le prix Nobel (1982). Le Récit d'un naufragé (1970) est la reprise d'un reportage effectué en 1955 à propos de l'odyssée d'un homme de la marine de guerre de Colombie, qui dérive pendant dix jours sans manger ni boire, échoue sur la côte, où il est recueilli par la population, est proclamé héros national avant de retomber dans l'oubli le plus complet : cette trajectoire est caractéristique de bien des personnages de García Márquez. En 1972, les six nouvelles de l'Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique marquent un renouvellement de l'inspiration et de l'écriture de García Márquez, mais apparaissent surtout comme une transition vers l'Automne du patriarche (1974), qui traite de la solitude du dictateur. C'est à une forme plus classique que revient Chronique d'une mort annoncée(1981), roman de la fatalité où l'on assiste aux préparatifs d'un assassinat annoncé dès la première phrase ou l'Amour au temps du choléra (1985). Son dernier roman le Général dans son labyrinthe (1989) est inspiré par la vie du général Bolivar. L'œuvre entière de l'écrivain colombien est une longue méditation sur la mort physique et morale, sur la désintégration d'un monde qui, à l'image de Macondo, contient dès sa fondation les germes de sa destruction. Cette fatalité a pour maître d'œuvre le temps, qui pèse de tout son poids sur les hommes et le monde, d'une certaine manière assignés à une échéance irrévocable : quelques mois pour certains, cent ans pour Macondo, l'éternité pour le patriarche, éternité paradoxale, d'ailleurs, puisqu'elle s'achève un jour, le jour précisément où le mythe fait place à l'histoire.
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Gabriel García Márquez, né le 6 mars 1927 à Aracataca (Colombie) et mort le 17 avril 2014 à Mexico, est un écrivain colombien.
Romancier, nouvelliste, mais également journaliste et militant politique, il reçoit en 1982 le prix Nobel de
littérature. Affectueusement surnommé « Gabo »
en Amérique du Sud,
il est l'un des auteurs les plus significatifs et populaires du xxe siècle5. Son œuvre se démarque par un imaginaire
fertile et constitue une chronique à la fois réaliste, épique et allégorique de
l'Amérique latine dans
laquelle se recoupent son histoire familiale, ses obsessions et ses souvenirs
d'enfance6. La presse le compare à François Rabelais pour
sa prose truculente ainsi qu'à Miguel de Cervantes et Victor Hugo pour sa dimension
monumentale.
Étudiant, García Márquez poursuit en
autodidacte ses études, après avoir quitté l'université de droit et avant de se
lancer dans le journalisme. Très tôt, il ne montre aucune retenue dans sa
critique sur la politique intérieure comme extérieure de la Colombie et sur la
situation en Amérique du Sud. Par ailleurs, il ne fait pas mystère de ses
sympathies pour la gauche radicale et les mouvements révolutionnaires auxquels
il apporte parfois une aide financière. En 1958,
il épouse Mercedes Barcha avec qui il a deux fils : Gonzalo et Rodrigo
García, devenu réalisateur. Il voyage à travers l'Europe et s'établit ensuite à Mexico où il lance une édition
mexicaine de son hebdomadaire colombien Cambio.
En tant qu'écrivain, García Márquez
commence sa carrière en publiant nombre d'œuvres littéraires, bien reçues par
la critique, comme des nouvelles et des ouvrages non-fictionnels. Cependant, ce
sont les romans Cent ans de
solitude (1967), Chronique
d'une mort annoncée (1981)
et L'Amour aux
temps du choléra (1985) qui
lui apportent la reconnaissance du public, des médias et de ses pairs. À la
suite de la parution de Cent ans de solitude, considéré comme son
chef-d'œuvre, l'auteur connaît un succès commercial planétaire. Son nom est
fréquemment associé au « réalisme magique »,
courant artistique qui insère des éléments magiques et des motifs surnaturels
dans des situations se rattachant à un cadre historique, culturel et géographique
avéré. La plupart de ses livres fondent une quête du temps perdu et abordent
différents thèmes tels que la solitude, le pouvoir, l'amour, le désir,
la décadence, la violence et la mort. Le regard de
l'auteur sur la civilisation et la nature humaine se veut tour à tour ironique,
désabusé, méditatif et fataliste. L'action de plusieurs de ses œuvres se
déroule dans le village fictif de « Macondo ».
Biographie
Jeunesse
Né le 6 mars 1927 à Aracataca, Gabriel est l'aîné d'une famille
de onze enfants, dont les parents sont Gabriel Eligio García (1901-1984)
et Luisa Santiaga Márquez Iguarán (1905-2002)B 1,D 1,I 1. Né lors d'une tempête, il semblerait
qu'il se soit présenté avec le cordon ombilical autour du cou, ce qui
expliquerait sa tendance à la claustrophobieA 1. Juste après la naissance de son fils,
son père décide de devenir pharmacien alors qu'il était
précédemment télégraphisteA 2. En janvier 1929,
ses parents partent pour BarranquillaB 2,7 tandis que Gabriel reste à
Aracataca. Il est élevé par ses grands-parents maternels, Doña Tranquilina
Iguarán Cotes de Márquez (1863-1947)
et le colonel Nicolás Ricardo Márquez Mejía (1864-1937)C 1. Il est baptisé par le père Angarita le
27 juillet 1930 dans l'église d'AracataI 1.
Quand ses parents tombent amoureux
l'un de l'autre, leur relation se heurte à la résistance du père de Luisa
Santiaga Márquez. En effet, Gabriel Eligio García est pauvre et métisA 3. De plus, il est partisan du parti
conservateur et a la réputation d'être un coureur de jupons. Il
n'est donc pas l'homme que le colonel Nicolás Ricardo Márquez Mejía et son épouse
souhaitent pour leur filleB 3,C 2. Gabriel Eligio courtise Luisa avec des
sérénades au violon, des poèmes d'amour, de nombreuses lettres
et même des messages télégraphiques après que le « colonel » impose à
sa fille de quitter la ville avec l'intention de séparer le jeune couple. Les
parents de Luisa font tout pour se débarrasser de Gabriel Eligio mais en vain
car Luisa Santiaga, très amoureuse, continue d'entrer en contact avec lui. Ils
capitulent finalement et accordent au jeune homme la permission d'épouser leur
filleF 1,B 4, refusant toutefois d'assister au
mariage organisé à Santa MartaA 2. L'histoire tragicomique de leur cour est plus
tard adaptée en fiction par leur fils dans L'Amour aux
temps du choléraA 4,B 5.
Alors que les parents de García
Márquez sont plus ou moins des étrangers pour lui lors des premières années de
sa vie, ses grands-parents ont une forte influence sur luiB 6,F 2. Son grand-père, qu'il surnomme
« Papa Lelo »B 6, est un vétéran de la guerre des Mille
Jours, à laquelle il a participé dans le camp libéralB 7. Le colonel est considéré comme un
héros par les Colombiens libéraux et est une figure fort respectéeB 8. Il est connu pour son refus de passer
sous silence le massacre des
bananeraies qui a lieu l'année suivant la naissance de García
MárquezB 9. Ce colonel est décrit par l'auteur
comme « le cordon ombilical entre l'histoire et la réalité »7. Il est aussi réputé pour être un rhéteur
hors pair et un excellent conteurB 10. Véritable professeur et mentor, il
apporte au jeune Gabriel un important savoir scolaire, culturel, historique et
littéraire. Il gère également les distractions de son petits-fils et l'emmène
au cirque tous les ans. Il est la
première personne à lui faire découvrir la glace, un « miracle »
découvert dans un magasin de la United Fruit
CompanyB 11. Occasionnellement, il lui fait
comprendre qu'il n'y a pas de plus grand fardeau moral que celui d'avoir tué un
homme, une leçon que García Márquez intègre bien après dans son œuvreB 12,F 3.
Sa grand-mère, Tranquilina Iguarán
Cotes, d'origine indienne5, joue un rôle tout aussi influent dans la
constitution de la personnalité de García Márquez et la manière qu'elle a
de « traiter les choses extraordinaires comme si elles étaient tout à
fait naturelles » l'inspire beaucoupF 4. La maison des aïeuls est emplie
d'histoires surnaturelles et de récits de fantômes, d'esprits, de démons ainsi
que de prémonitions, de présages et de prophéties qui alimentent l'imaginaire
du futur écrivainB 13. Cependant, tous sont sciemment
ignorés, voire méprisés par le colonelB 6. Selon García Márquez, c'est
Tranquilina qui est « la source de la vue magique, superstitieuse et
surnaturelle de la réalité »7 qui traverse ses écrits. Il aime en
effet la façon unique qu'elle a de raconter les événements les plus
fantastiques et improbables comme des vérités irréfutables. Ce style impassible,
dans lequel l'extraordinaire est narré de la manière la plus banale et
naturelle, nourrit, quelque trente ans plus tard, le roman le plus populaire de
García Márquez : Cent ans de
solitudeB 14 ainsi que nombre de ses nouvelles
ayant pour cadre le village fictif de Macondo. La maison de ses grands-parents, à
l'origine de sa vocation, devient bien plus tard un musée qui lui est dédié8.
Études
La Métamorphose de Franz Kafka : une source d'inspiration
pour la nouvelle La Troisième Résignation de García Márquez.
Enfant, García Márquez fréquente
l'établissement scolaire María Montessori qui applique une nouvelle méthode
d'enseignement (dite pédagogie
Montessori). Cependant, cette école, ayant connu des difficultés de
fonctionnement, ferme en milieu d'année et oblige ainsi García Márquez à
redoubler sa première année. Il n'apprend donc à lire et à écrire qu'à l'âge de
huit ansA 5. En 1936,
il entre à l'école publique d'AracatacaA 6.
En mars 1937,
son grand-père meurt d'une pneumonie, deux ans après une chute d'échelle dont
il ne s'est jamais entièrement remisA 7. Il part alors vivre en 1938 chez
ses parents à Barranquilla où son père tient une pharmacieF 4,C 3. Il termine son cycle primaire dans
cette ville. Afin d'aider ses parents qui ont des soucis financiers, García
Márquez travaille pour un magasin où il peint des messages sur des panneaux et
distribue également des prospectus auprès d'un imprimeurA 8.
En novembre 1939,
la famille au complet part s'installer à Sucre, Gabriel Eligio souhaitant retourner
dans cette petite ville où il était allé dans sa jeunesseA 9. Cependant, García Márquez retourne à
Barranquilla au collège San José où il obtient des résultats scolaires
satisfaisants. Il écrit des Fadaises qui sont des poèmes
satiriques et humoristiques sur les autres élèves ou sur certains règlements de
l'école, publiant également plusieurs poèmes dans le journal de l'école, JuventudA 10.
En 1943,
García Márquez part à Bogota afin de
passer un examen d'obtention de bourse qu'il réussit. Il obtient ainsi une
place au lycée national de garçons à ZipaquiráA 11. Lors de ses études, Carlos Martín,
qui est proviseur du lycée, présente pour la première fois le jeune homme à
deux poètes majeurs de l'époque : Eduardo Carranza et Jorge RojasA 12. En décembre 1944, El Tiempo publie
un des poèmes de García Márquez, Canción (Chanson),
sous le pseudonyme de
Javier GarcèsA 13.
Après avoir obtenu son baccalauréat,
García Márquez s'inscrit, à la suite de l'insistance de son père, à l'Université
nationale de Colombie située à Bogota pour étudier le droitA 14. Cependant, il préfère la littérature
et n'est guère studieux : « Quel dommage, il a du talent mais
c'est un cas désespéré ! », dit de lui un collègue d'alors9. Après avoir lu La Métamorphose de Franz Kafka, il écrit une nouvelle, La
Troisième Résignation, qui est publiée le 13 septembre 1947 dans El EspectadorA 15. En 1948,
à la suite de l'assassinat du leader libéral Jorge Eliécer
Gaitán le 9 avril 1948 et
aux graves émeutes qui suivent (le Bogotazo), l'université ferme, ce qui
permet à García Márquez d'interrompre ces études de droit qui ne l'intéressent
pas et de partir à Carthagène10,A 16.
Débuts en journalisme
Arrivé à Carthagène, García Márquez
se réinscrit cependant en faculté de droit pour y faire sa deuxième année
d'étudesA 17. Peu après, le hasard fait qu'il est
engagé à vingt et un ans par Manuel Zapata
Olivella en tant que chroniqueur pour le journal El Universal,
fondé moins de dix semaines auparavantA 18. Continuant à étudier le droit par
intermittence, il rédige notamment quarante-trois articles sous son nom au
cours des vingt-trois mois suivants pour El UniversalA 19. Envoyé par ce dernier à Barranquilla,
García Márquez fait la connaissance du groupe informel d'écrivains et de
journalistes connu sous le nom de « Groupe de
Barranquilla », et notamment d'Alfonso Fuenmayor qui est rédacteur en
chef adjoint du journal El HeraldoA 20. En 1948, il
commence à rédiger son premier roman, sous le titre provisoire de La
Casa. En 1949, il décide de quitter Carthagène et de
retourner à Barranquilla, décision que son ami Ramiro de la Espriella explique
de la sorte : « Eh bien, je crois qu'il est allé à Barranquilla
pour avoir de l'air, un surcroît de liberté et un meilleur salaireA 21. »
Plus tard, de 1950 à 1952,
il écrit une chronique humoristique
quotidienne, La Jirafa (La Girafe)11, sous le nom de « Séptimus »
dans le journal local El Heraldo de BarranquillaH 1. Ses chroniques et éditoriaux
pour El Heraldo sont payés à la tâche par le journalD 2. Il devient également directeur d'un
éphémère hebdomadaire indépendant, La Crónica, produit dans
l'atelier d'El Heraldo et qui est paru entre avril 1950 et juin 1951A 22. Pendant ces années, García Márquez
rejoint le « groupe de Barranquilla », qui lui fournit motivation et
inspiration au début de sa carrière littéraire. Il travaille beaucoup en
s'inspirant de figures comme Ramón Vinyes, le patriarche du groupe qu'il
dépeint comme un vieux catalan possédant une librairie dans Cent ans de
solitudeG 1. À la même époque, García Márquez se
nourrit également des œuvres de Virginia Woolf, William Faulkner ou James Joyce. Les techniques narratives, les
thèmes historiques, la dimension mystérieuse, symbolique et irrationnelle,
l'enracinement dans le terroir ou la localisation provinciale tels que les
traitent Faulkner marquent beaucoup d'auteurs latino-américains de cette générationH 2. L'environnement de Barranquilla permet
à García Márquez de découvrir le meilleur de la littérature mondiale tout en
approfondissant sa culture caribéenne. Par ailleurs, lors de cette période, il
fait la connaissance du poète Álvaro Mutis qui l'incite à terminer
son roman Des
feuilles dans la bourrasque qu'il a commencé à écrire en
1950A 23 et qui sera publié pour la
première fois en 1955.
Lors des derniers mois de 1953,
García Márquez écrit d'une traite un conte dont le titre définitif sera Un
día después del sábado. L'histoire raconte un phénomène insolite qui se
passe dans un village, à savoir la mort soudaine de nombreux oiseaux à cause de
la chaleur12. L'année suivante, il décide de le
présenter à un concours organisé par l'association nationale des écrivains et
des artistes de Colombie (en espagnol : Asociación Nacional de Escritores y Artistas de Colombia) et parrainé à hauteur de
1 000 pesos par Luis Guillermo Echeverri, l'un des partenaires de cette
organisation. Le jury est composé de cinq écrivains colombiens : Rafael
Maya (es), Próspero
Morales Pradilla, Daniel Arango, Hernando
Téllez (en) et José Hurtado García. Le 30
juillet 1954, les membres de ce jury, qui doivent définir le vainqueur parmi 46
concurrents, décernent unanimement le premier prix au conte de García Márquez,
devant Guillermo Ruiz Rivas avec Por los caminos de la muerte et Carlos
Arturo Truque (es) pour Vivan los compañeros.
Le Colombien obtient à cette occasion le premier prix littéraire de sa carrière
d'écrivain12. La même année, ces trois histoires
courtes sont publiées à Bogota par l'éditeur Minerva dans un
livre intitulé Tres cuentos colombianos12.
Entre 1954 et 1955,
García Márquez séjourne de nouveau à Bogota, où il écrit régulièrement
pour El Espectador des
critiques cinématographiques avec une vision plutôt littéraire et humanisteA 24 ainsi que des reportages. Il fait
notamment une enquête sur un glissement de terrain meurtrier à Medellín. En
plus de découvrir des preuves de la négligence des autorités, il démontre que
les habitants, qui voulaient secourir les victimes, ont déclenché un second
éboulement meurtrierA 25. La gloire du Colombien Ramón Hoyos dans le monde du cyclisme
attire l'attention de García Márquez qui décide d'écrire pour le journal, en
1955, quatorze articles sur sa vie sportive13. Pour cela, l'écrivain s'appuie sur des
interviewes en face-à-face avec le cycliste, l'histoire intitulée « El
triple campeón revela sus secretos » (en français : « Le triple champion
révèle ses secrets ») étant racontée à la première personne du singulier
afin de donner l'impression qu'il s'agit d'extraits d'une autobiographie14.
En 1955, une
série d'entrevues de García Márquez avec Luis Alejandro Velasco, seul survivant
de huit marins colombiens tombés à la mer du navire de guerre Caldas en février 1955, est
publiée dans El Espectador sous forme de quatorze articlesG 1,15. Ce récit sera de nouveau publié
en 1970 sous
le titre Récit d'un naufragé. Alors que la version du gouvernement
selon laquelle les huit hommes seraient tombés à la mer au cours d'une forte
tempête, Velasco confie à García Márquez que « le problème, c'est
qu'il n'y a pas eu de tempête », et que les hommes sont tombés parce qu'un
chargement mal arrimé d'appareils électroménagers ramenés des États-Unis (chargement qui n'avait pas
sa place à bord d'un navire de guerre) s'est détaché16. Cette révélation, confirmée ensuite par
des photographies prises par les marins à bord du Caldas, donne
lieu à de fortes controverses qui se traduisent par des menaces émises contre
García Márquez. Il s'agit de l'une des raisons pour lesquelles il est envoyé
comme correspondant en EuropeG 2, où il écrit pour El
Independiente, journal qui remplace brièvement El Espectador sous
le gouvernement militaire de Gustavo Rojas
Pinilla17 avant d'être contraint à la
fermeture par les autoritésH 2. Les expériences journalistiques de
García Márquez sont fondamentales pour sa carrière d'écrivain. Selon le
critique littéraire Gene H. Bell-Villada : « Grâce à ses
expériences dans le domaine du journalisme, García Márquez est, de tous les
grands auteurs vivants, celui qui est le plus proche de la réalité de tous les
joursE 1.
§
Départ vers l'Europe
García Márquez part en 1955 pour
l'Europe en tant que correspondant
étranger à la conférence de
Genève entre les « quatre Grands » (l'Union
soviétique, le Royaume-Uni, les États-Unis et la France). Il y écrit plusieurs articlesA 26 et part ensuite en Italie, dans la ville de Rome,
pour rédiger une série d'articles sur l'affaire Wilma
Montesi qu'il définit comme le « scandale du
siècle »A 27. Puis, il assiste au 16e Festival du cinéma de Venise où il
écrit divers articles sur le cinéma et des critiques de films. Il traverse
également différents pays européens : l'Autriche, la Tchécoslovaquie,
la Pologne, la Hongrie ou encore la Russie, avant de retourner à Rome pour
s'inscrire à des cours de cinéma au Centro
Sperimentale di Cinematografia de CinecittàA 28.
En décembre 1955,
García Márquez part pour Paris et reprend
contact avec Plinio Apuleyo
Mendoza qu'il avait déjà rencontré à Bogota avant le Bogotazo. En janvier 1956,
après avoir fait payer une amende de 600 000 pesos à El
Espectador, Gustavo Rojas
Pinilla fait fermer le journal, qui ne peut plus rémunérer
García MárquezA 29. Ce dernier doit loger temporairement
dans un grenier sans chauffage au septième étageA 29. Le 15 février 1956, El Independiente remplace El Espectador et, avant la fermeture
administrative de ce nouveau journal le 15 avril 1956,
le jeune journaliste colombien peut écrire une série de dix-sept articles sur
un procès dans lequel des personnes sont accusées d'avoir fourni des secrets
gouvernementaux aux communistesA 30. C'est également durant sa période
parisienne que García Márquez commence à écrire son roman La mala hora, publié en 1962. À
cette époque, il se procure en édition de poche l'œuvre complète de Rabelais qui
aura une influence marquante sur sa création littéraire18.
En mars 1956,
García Márquez fait la rencontre de Tachia Quintana, une jeune actrice
espagnole, avec qui il noue une relation très forte. D'ailleurs, lorsque Gerald
Martin lui demande de plus amples détails à ce sujet, l'écrivain colombien
répond que « tout le monde a trois vies : une vie publique, une
vie privée et une vie secrète »A 31. Peu après, Quintana tombe enceinte
et, après une fausse couche, leur relation prend finA 32. La même année, García Márquez finit
d'écrire Pas de
lettre pour le colonel (El coronel no
tiene quien le escriba).
Lorsque Plinio Mendoza revient
à Paris en mai 1957,
lui et García Márquez décident de partir tous deux en Europe de l'Est en
commençant par Leipzig puis Berlin, ville où García Márquez rédige
quelques articles sur le rideau de ferA 33. Puis les deux hommes retournent à
Paris avant de repartir à Moscou pour
assister au VIe Congrès international de la jeunesseA 34. Après un détour par la Hongrie, García Márquez revient dans la
capitale française où, de septembre à octobre 1957, il
écrit une série d'articles qui retranscrivent ses voyages en Europe et qui
paraît en français sous le titre 90 jours derrière le rideau de fer (De viaje por los países socialistas) en 1959.
Lors d'un court séjour à Londres à
partir de novembre 1957,
García Márquez accepte un poste à Caracas au sein du journal Momento proposé par le patron de Plinio Mendoza le 16 décembre 1957A 35.
Retour en Amérique
Le 23 décembre 1957,
García Márquez arrive à Caracas et
commence à travailler au journal MomentoA 36. Il assiste ainsi en janvier 1958 à
un soulèvement général de la population et à la fuite du président
vénézuélien Marcos Pérez
Jiménez vers Saint-Domingue.
À la suite de cet évènement, García Márquez écrit un article politique,
« La participation du clergé à la lutte » qui raconte le rôle joué
par l'Église du Venezuela dans la lutte contre le dictateurA 37. En mars 1958,
il fait un voyage éclair en Colombie où il épouse Mercedes Barcha le 21 mars 1958 puis
ils retournent ensemble à CaracasB 15,G 3. En mai 1958, en désaccord avec le
propriétaire de Momento, il démissionne et devient, peu
après, rédacteur en chef de Venezuela GráficaA 38. Le 18 janvier 1959,
un révolutionnaire cubain propose à García Márquez d'assister au procès public
des hommes de main de Fulgencio Batista. Il accepte l'invitation
et y aperçoit Fidel CastroA 39. En avril 1959,
accompagné de son épouse, il retourne à Bogota pour travailler dans un bureau
de Prensa Latina, journal créé par le gouvernement cubain pour
contrecarrer la propagande contre Cuba19. Le 24 août 1959,
leur premier fils, Rodrigo, voit le jourG 3,I 2. Le milieu des années 1960 est une période creuse au
niveau littéraire pour García Márquez, d'autant plus que, pour la réédition
de Pas de lettre pour le colonel en 1961, seuls 800 des
2 000 premiers exemplaires publiés sont vendusA 40.
En 1960,
à la demande de Jorge Ricardo
Masetti, fondateur de Prensa Latina et proche de Che Guevara19, García Márquez accepte de participer à
une formation de jeunes journalistes se déroulant par intermittence sur
quelques mois à La Havane. En
décembre, il croise par hasard la route de Fidel Castro dans un aéroportA 41. En janvier 1961,
Masetti envoie García Márquez, accompagné de sa famille, travailler comme
correspondant à New York dans
un des bureaux de Prensa Latina. À la même période, John Fitzgerald
Kennedy est élu président des États-Unis et nombreux sont les
Cubains à venir se réfugier sur le territoire américain. Pour García Márquez et
ses collègues de travail, c'est une période stressante. Ces derniers sont
souvent insultés et menacés par téléphone. Il reste encore à son poste quelque
temps après le débarquement
de la baie des Cochons du 17 avril 1961 mais
finit par démissionnerA 42.
García Márquez et sa famille partent
alors vers le Mexique. Ils traversent le Sud des États-Unis par
bus, l'écrivain colombien souhaitant découvrir la région américaine qui avait
inspiré les écrits de William FaulknerD 3,G 4. Ils arrivent à Mexico le 26 juin 1961 où Álvaro Mutis vient les retrouverA 43. Peu de temps après, il est embauché
en tant que rédacteur en chef de deux magazines alors qu'il espérait entrer
dans le monde du 7e artA 44. En 1962, il présente La Mala Hora pour le prix littéraire colombien et est déclaré
vainqueur par l'Académie colombienne des LettresA 45. Il obtient ainsi un prix de
3 000 dollars pour un manuscrit qu'il souhaitait initialement
appeler La Ville merdiqueA 45. Les funérailles de la Grande
Mémé, texte clé dans la trajectoire littéraire et politique de l'auteur
colombien car réunissant pour la première fois « réalisme » et « magie »A 46, est publié en 1962 à Barcelone. La
même année, le 16 avril 1962,
son deuxième fils, Gonzalo, naîtD 4,I 2. Par ailleurs, García Márquez ne cesse
d'admirer les actions menées par Fidel Castro et Che Guevara, qui défient les États-Unis.
En avril 1963,
il quitte son emploi et se lance dans l'écriture de plusieurs scénarios de
films. Il est engagé en septembre par l'agence de publicité Walter Thompson et peut
ainsi, entre 1963 et 1965,
travailler en indépendant pour l'industrie du cinéma et plusieurs agences de
publicitéA 47.
§
La gloire
García
Márquez signant un exemplaire de Cent ans de
solitude à La Havane, Cuba.
En août 1965,
moment important dans sa carrière, García Márquez signe avec l'agent littéraire
de Barcelone, Carmen Balcells, un contrat
autorisant cette dernière à représenter l'écrivain colombien dans toutes les
langues et dans tous les pays pendant cent cinquante ansA 48. Entre juillet 1965 et août 1966, il
écrit le roman Cent ans de
solitude, même si sa plus grosse difficulté a été de le
« démarrer », rédigeant cependant par la suite plusieurs pages par
jourA 49. Durant cette période, il abandonne
son emploi pour s'adonner entièrement à l'écriture de son manuscritA 50. En mars 1966, Tiempo de morir, dont il a écrit le scénario, remporte le premier
prix au Festival
international du film de CarthagèneA 51.
En avril 1967,
Germán Vargas, l'un des membres du « groupe de Barranquilla », publie
dans l'hebdomadaire Encuentro liberal un article qu'il a écrit
sur Cent ans de solitude ; il y explique que ce roman
est « Un livre qui fera du bruit »A 52. Et effectivement, Primera Plana, hebdomadaire important en Argentine, publie en 1967 un
article sur García Márquez, après qu'un de ses journalistes a partagé la vie
des García Barcha pendant une semaineA 53. La même année, Mario Vargas Llosa définit
le nouveau roman de García Márquez comme le « grand roman de
chevalerie » d'Amérique latineA 53. L'œuvre littéraire sort pour la
première fois le 30 mai 1967 en
Argentine20 et, en juin, García Márquez est
interviewé par Visión, l'équivalent du Time en Amérique latineA 54. Le 1er août 1967,
il participe au XIIIe congrès international de littérature
ibéro-américaine à Caracas où Mario
Vargas Llosa, avec qui il se lie d'amitié, remporte le prix Rómulo
Gallegos grâce à La Maison verteA 54. Le Colombien obtient cette même
récompense cinq ans plus tard pour Cent ans de solitude5. Toutefois, Vargas Llosa refuse de
reverser l'argent de la distinction au régime castriste comme il y est incité
alors que García Márquez financera un mouvement révolutionnaire vénézuélien
grâce au prix5. En 1971,
Vargas Llosa publie García Márquez : Histoire d’un déicide,
livre critique dans lequel il fait part de son admiration pour son aîné5. Cette relation amicale très forte
s'achève brutalement le 12 février 1976 lorsqu'à
la première des Survivants des Andes, García Márquez reçoit un coup
de poing en plein visage de la part de Vargas Llosa dans le hall d'un cinéma
de Mexico5,21. Les motifs de cette querelle restent
flous mais seraient d'ordre privé : soit il s'agirait de la relation
difficile, en raison d'infidélités répétées, entre l'écrivain péruvien et sa
seconde épouse Patricia Llosa dont García Márquez aurait pris la défense, soit
d'une liaison qu'aurait eue l'auteur colombien avec elle5,21,A 55. D'autres raisons moins triviales,
notamment la divergence de points de vue politiques, sont évoquées5. Les deux anciens amis refusent de
révéler la moindre information sur le sujet21. Après la mort de García Márquez en
2014, Vargas Llosa affirme avoir noué un pacte avec celui-ci pour garder à
jamais le silence sur la cause de cette amitié brisée21. Reconnaissant à son ex-complice d'avoir
tenu sa promesse jusqu'à la fin, il affirme vouloir en faire autant et laisser
les historiens et biographes faire toute la vérité sur cette affaire21. La nouvelle célébrité acquise à partir
des années 1970 lui
ayant offert une certaine sécurité financière, García Márquez décide de
retourner en Europe, probablement « pour échapper à une pression
devenue quotidienne, retrouver une liberté de manœuvre qui lui permettrait de
rassembler ses espritsA 56 ».
Barcelone et la « Gauche Divine »
García Márquez et sa famille
arrivent le 4 novembre 1967 à Madrid, pendant la dictature de Francisco Franco, avant de se rendre à
Barcelone une semaine aprèsA 57. Avec son roman Cent ans de
solitude, l'écrivain colombien devient en Espagne l'icône d'un nouveau courant
littéraire, le « boom latino-américain ». À Barcelone, Vargas Llosa, un autre futur
Nobel et son ami d'alors, est son voisin. La ville est l'endroit privilégié de
rencontres avec d'autres exilés hispano-américains tels que Julio Cortázar. « Gabo »
rencontre des nombreux intellectuels groupés sous le nom de gauche divine, un mouvement de gauche, qui
se définit surtout par son anti-franquisme et qui est issu de la grande
bourgeoisie catalane. Il fait aussi la connaissance d'auteurs de langue
catalane comme Josep Pla ou
galicienne Álvaro Cunqueiro22. Il fait par ailleurs la rencontre de la
romancière espagnole Rosa Regàs et de la Brésilienne Beatriz
de Moura qui ouvre plus tard la maison d'édition Tusquets.
Durant cette période, pendant que Mercedes s'occupe de la famille, García
Márquez s'adonne à l'écriture, avec pour projet L'Automne du patriarche.
Il déclare ainsi à des journalistes : « Elle me donne de
l'argent de poche pour acheter des bonbons, comme à nos fils23 ». Il leur dit également que Cent
ans de solitude est un roman « superficiel » et
que son succès s'explique par une série de « trucs » d'auteur
qui ont piégé à la fois la critique et les lecteursA 58.
En avril et mai 1968,
la famille García Barcha visite Paris peu avant les évènements de Mai 68 où García Márquez retrouve
Tachia Quintana, puis va ensuite en ItalieA 59. Alors qu'il laisse une image d'homme
apolitique à Barcelone, García Márquez fait part de son désaccord lorsque le
dissident cubain Heberto Padilla remporte
le prix de poésie à la quatrième compétition de l'Union nationale des écrivains
et artistes de Cuba (« UNEAC ») qui entraîne une crise où les jurés
sont séquestrés à CubaA 60. En janvier 1970,
le Prix du
Meilleur livre étranger de l'année 1969 est attribué à Cent
ans de solitude, cérémonie à laquelle García Márquez refuse de participer,
déclarant que « le livre ne sonne pas bien en français »A 61. La version anglaise de Gregory
Rabassa sera, quant à elle, considérée comme la meilleure traduction de l'année.
En 1971,
García Márquez et sa famille repartent pour neuf mois en Amérique latine,
l'écrivain colombien souhaitant prendre une pause alors qu'il écrit L'Automne
du PatriarcheA 62. Pendant cette période, plusieurs
auteurs (tels que Mario Vargas Llosa, Juan Goytisolo, Jean-Paul Sartre et Plinio Mendoza)
rédigent le 9 avril une lettre de protestation adressée à Fidel Castro et
publiée par Le Monde.
Pensant que García Márquez va adhérer à leurs idées, Plinio Mendoza signe pour
lui. Cependant, l'écrivain colombien fait retirer son nom et déclare son
soutien au régime cubainA 63. La même année, il est intronisé docteur honoris
causa par l'Université Columbia,
à New York24. Fin septembre 1971,
les García Barcha retournent à Barcelone où García Márquez reprend l'écriture
de L'Automne du Patriarche.
En 1972, est
publiée L'Incroyable et triste histoire de la candide Eréndira et de sa grand-mère
diabolique qui regroupe des nouvelles telles que Un Monsieur
très vieux avec des ailes immenses et La Mer du temps perdu.
La même année, García Márquez reçoit le Prix
Neustadt, décerné en association avec le magazine Books Abroad de l'Université
d'Oklahoma25. En mai 1973,
García Márquez annonce que son roman L'Automne du Patriarche est
terminéA 64, le peaufinant cependant
jusqu'en 1974A 65, avant qu'il ne soit publié en mars 1975 à
BarceloneA 66. Après la publication de L'Automne
du Patriarche, Garcia Marquez et sa famille quittent Barcelone et partent
s'installer à MexicoD 4. García Márquez promet alors de ne plus
publier de nouveaux romans jusqu'à ce que le dictateur chilien Augusto Pinochet soit renversé.
Entre 1973 et 1979,
García Márquez met plus ou moins entre parenthèses sa carrière d'écrivain. Il
s'implique davantage en politique, publiant divers articles dans le magazine
politique Alternativa. Il s'intéresse ainsi à la Révolution des
Œillets qui éclate au Portugal en avril 1974,
à la révolution militaire péruvienne, au régime cubain de Fidel Castro et, dans
une moindre mesure, à la révolution
nicaraguayenne.
Le 19 mars 1980,
García Márquez annonce avoir terminé d'écrire un romanA 67, alors que Pinochet est toujours au
pouvoir. Chronique d'une mort annoncée, « une sorte de
faux roman et un faux reportage »A 67, est alors publié car l'écrivain « ne
pouvait pas rester silencieux face à l'injustice et à la répression26 ». Il publie également, à partir
de septembre 1980,
divers articles notamment dans El Espectador à Bogota et dans El País en EspagneA 68.
Prix Nobel
Devenu un écrivain respecté,
médiatique et populaire pour la bonne humeur de son style, ses récits
pittoresques et originaux et sa langue enjouée, García Márquez met en accord la
critique littéraire et le public international qui vantent l'extrême fécondité
de son imagination créatrice. Ce statut l'amène logiquement à recevoir le prix Nobel de
littérature, en 1982,
décerné par l'Académie suédoise en
l'honneur de « ses romans et ses nouvelles où s'allient le fantastique
et le réel dans la complexité riche d'un univers poétique reflétant la vie et
les conflits d'un continent »27,28. L'écrivain colombien est averti par
téléphone de l'attribution du prix par Pierre Shori, ministre adjoint des
affaires étrangères suédoisA 69. À la suite de cet appel, il déclare à
sa femme Mercedes : « Je suis baisé ! »A 69. La nouvelle de la victoire s'étant
propagée rapidement, García Márquez doit improviser une conférence de presse
pour la centaine de journalistes qui envahit sa rue et se masse devant son
domicile à Mexico.
Le 10 décembre 1982,
lors de la cérémonie qui se déroule à Stockholm, García Márquez se présente vêtu
d'un liquiliqui (habit traditionnel blanc du Venezuela et de
certaines régions de Colombie) et de bottes noires, ce qui lui vaut quelques
critiquesA 70. En effet, c'est la première fois
qu'un vainqueur du prix Nobel reçoit sa récompense sans être habillé d'un tuxedoI 3. Membre du comité Nobel, Kjell Espmark se souvient de son
arrivée tonitruante dans la capitale suédoise : « García
Márquez, très grand seigneur, était venu recevoir son prix Nobel avec un avion
plein de chanteuses et de danseuses. »29. Il emmène ainsi chanter en Norvège,
pour la remise de son Nobel de littérature, la Colombienne Totó la Momposina30. Dans son discours de réception du prix
intitulé « La soledad de America latina »31,G 5 (« La solitude de l'Amérique
latine ») qu'il aura auparavant fait lire à son ami Alfonso Fuenmayor32, l'auteur colombien considère la poésie comme la « preuve la
plus flagrante de l'existence de l'homme »31,33. Il livre également, avec ironie, un
plaidoyer pour la nouvelle
littérature latino-américaine et le réalisme magique qui
définissent les contours d'un imaginaire poétique émancipé de l'emprise culturelle
européenne : « Dans les bonnes consciences de l’Europe, et aussi
parfois dans les mauvaises, a fait irruption avec plus de force que jamais
l’actualité fantasmatique de l’Amérique latine, cette immense patrie d’hommes
hallucinés et de femmes entrées dans l’histoire, dont l’obstination infinie se
confond avec la légende. »34. Selon l'historien de la littérature
François Comba, García Márquez aurait eu par la suite une influence non
négligeable sur les choix de l'Académie suédoise : ainsi, il aurait fait
pression pour que le Français Claude Simon, qu'il recommandait depuis
longtemps, soit récompensé en 198535,36. En 1999,
lorsque son ami Günter Grass reçoit
la distinction à son tour, il lui envoie un télégramme de félicitations tout en
affirmant : « D'un autre côté, je te plains. J'en sais plus que
toi, je sais ce qui t'attend. »37. Couronné à 55 ans, García Márquez
devient en 1982 l'un des plus jeunes lauréats du prix Nobel ainsi que le
premier Colombien et le quatrième auteur latino-américain à obtenir cette
récompense38, après Gabriela Mistral (1945), Miguel Ángel
Asturias (1967)
et Pablo Neruda (1971).
Lui succèdent par la suite le Mexicain Octavio Paz en et le
Péruvien-espagnol Mario Vargas Llosa en 2010. À
cette liste d'écrivains hispano-américains, se rajoutent comme prix Nobel en
langue castillane les écrivains espagnols, José Echegaray y
Eizaguirre (1904), Jacinto Benavente (1922), Juan Ramón Jiménez (1956), Vicente Aleixandre (1977)
et Camilo José Cela (1989).
Ayant reçu ce prix prestigieux,
García Márquez déclare à un correspondant26 :
« J'ai l'impression qu'en m'attribuant le prix ils ont tenu compte
de la littérature du sous-continent américain et que, ce faisant, ils
cherchaient à récompenser toute la littérature de cette région. »
Après le prix Nobel
Le 11 avril 1983,
García Márquez et son épouse retournent en ColombieA 71. C'est l'occasion pour l'écrivain de
revoir un peu sa famille et de revoir Aracataca, ville de son enfance. Son père,
Gabriel Eligio García meurt de maladie le 13 décembre 1984A 72. C'est un choc pour l'écrivain qui
venait de se réconcilier avec lui, leur relation ayant été toujours tendue.
Alors qu'il a commencé à écrire les premiers chapitres de L'Amour aux
temps du choléra avant d'obtenir le prix Nobel, il décide
de faire transférer son manuscrit sur un ordinateurA 73. Ce nouveau roman est publié pour la
première fois le 5 décembre 1985 et
devient son œuvre la plus populaire, certainement dû au fait que García Márquez
se soit inspiré du thème de l'amour et se soit intéressé au sens des relations
humaines.
De 1980 jusque
dans les années 1990,
García Márquez consacre beaucoup de temps au cinéma, rédigeant entre 1980 et 1984 de nombreux articles en relation
avec le 7e art. Il décide de créer la Fondation
pour un nouveau cinéma latino-américain à La Havane qui est inaugurée
le 4 décembre 1986 et
en devient le présidentA 74. Il est également un des fondateurs de
l'École Internationale de Cinéma et de Télévision (« EICTV »)
de San Antonio de los Baños, qui ouvre ses portes le 15 décembre 1986,
à trente-cinq kilomètres de La Havane39. En 1988, García
Márquez fait une immersion dans le monde du théâtre avec une adaptation d'une
de ses nouvelles, Diatriba de amor contra un hombre
sentado (Diatribe
contre un homme assis), qui recevra surtout des critiques négativesA 75.
Peu après avoir terminé L'Amour
aux temps du choléra, García Márquez décide de créer un roman sur Simón Bolívar.
Il s'intéresse plus particulièrement au dernier voyage du
"Libérateur" sur le fleuve MagdalenaA 76. Pour cela, il effectue de nombreuses
recherches sur la vie de Bolívar. Cette œuvre, Le
Général dans son labyrinthe, dont le sujet principal est le
pouvoir, est publiée pour la première fois en 1989.
Alors que la Colombie doit, de plus en plus, faire face aux problèmes de drogue
qui la ronge, García Márquez déclare dans l'Excelsior du 3 novembre 1990 que
la « guerre contre la drogue » telle qu'elle est menée dans
le pays est « vouée à l'échec », ce qui l'incite à lancer une
campagne pour un dialogue entre le gouvernement, la guérilla et les trafiquantsA 77. Au début de janvier 1992,
l'auteur colombien apporte sa contribution à QAP40, un bulletin télévisé du soir qui durera
jusque fin 1997A 78. Toujours en 1992,
les médecins lui diagnostiquent une tumeur d'un centimètre sur le poumon gauche
et l'écrivain décide de se faire soigner en Colombie, où l'opération sera jugée
comme étant une réussiteA 79.
Le 22 avril 1994 paraît De l'amour
et autres démonsA 80 qui raconte l'histoire d'une
fille de marquis, âgée de douze ans, mordue par un chien couleur
de cendre et portant une lune blanche au front. Soupçonnée de rage ou de possession diabolique,
elle est enfermée dans un couvent et vit
avec son exorciste une
passion destructrice. Ce livre est bien accueilli par les critiques, Antonia S.
Batt du New York Review of Books le décrivant comme « un
tour de force presque didactique et pourtant brillamment émouvant »41. L'université de Cadix lui
donne cette même année le titre Honoris Causa,
l'une des rares récompenses reçues en Espagne par Gabo, l'écrivain refusant
catégoriquement de recevoir d'autres prix après le Nobel, ce qui explique qu'il
n'ait obtenu ni le prix Cervantes ni
le prix Prince des
Asturies, considérés comme les plus importantes reconnaissances
littéraires d'Espagne42. La même année, sa formation
journalistique l'amène à fonder avec son frère Jaime et l'avocat Jaime Abello
Banfi, la Fondation du nouveau journalisme ibéro-américain (« FNPI »),
destinée à permettre à des jeunes journalistes d'apprendre sous la direction de
professeurs tels qu'Alma Guillermoprieto et à faire émerger de nouvelles
manières de faire du journalisme43. En 1996, son
roman documentaire Journal d'un enlèvement est publié.
L'auteur colombien renoue ainsi avec le journalisme de ses débuts pour raconter
l'enlèvement et la séquestration de six otages par des narcotrafiquants
du cartel de Medellín dirigé
par Pablo Escobar.
En 1998, avec un groupe d'amis, il
achète Cambio, fondé en 1993 par
le journal espagnol Cambio 16 afin de faire « du
journalisme »44.
Maladie et continuité de sa carrière
En 1999,
un cancer lymphatique est diagnostiqué
chez García MárquezD 5. Il est alors traité avec succès grâce
à une chimiothérapie dans
un hôpital de Los AngelesD 5,45. Cet événement est le déclencheur pour
García Márquez d'une prise de conscience et il commence alors la rédaction de
ses mémoires : « J'ai réduit mes contacts avec mes amis au
minimum, suspendu ma ligne téléphonique et annulé mes voyages ou toute autre
sorte de participation à des évènements », déclara-t-il dans le journal
colombien El Tiempo, « […] et je me suis
reclus pour écrire tous les jours sans interruption45. »
En 2000,
l'annonce de sa mort imminente est faite à tort par le journal péruvien La República. Le jour suivant, plusieurs autres
journaux publient un texte présenté comme son poème d'adieu, La Marioneta, mais la paternité du texte est infirmée par García
Márquez lui-même et s'avèrera avoir été écrit par le ventriloque mexicain
Johnny Welch qui le récitait pendant ses spectacles avec une de ses
marionnettes46,47,48.
Trois ans après que son cancer a été
diagnostiqué, il publie le 8 octobre 2002 à
Mexico Vivre pour la
raconter (Vivir para Contarla)A 81, le premier des trois tomes de
son autobiographie45. La traduction anglaise (Living to Tell the Tale) réalisée par Edith Grossman49 et celle en français (Vivre pour
la raconter) réalisée par Annie Morvan50 ont été publiées en novembre 2003. Largement inspiré par Les Belles
Endormies du Japonais Yasunari Kawabata, Mémoire
de mes putains tristes (Memoria de mis
putas tristes), une histoire d'amour entre un homme de quatre-vingt-dix ans et une
jeune vierge de quatorze ans, est publié en octobre 2004. Ce livre suscite une
importante controverse en Iran, où il est interdit
après que les 5 000 premiers exemplaires ont été imprimés et vendus51,52.
Depuis 2006,
García Márquez laisse planer l'incertitude sur l'éventuelle sortie de nouveaux
ouvrages. Bien qu'il ait déclaré en 2006 qu'il
n'écrirait sans doute plus, le journaliste Dario Arizmendi assure, après avoir
passé un week-end avec l'écrivain en 2008 que
ce dernier est en train de mettre la dernière main à un nouveau roman d'amour.
En 2009,
démentant des rumeurs annonçant de nouveau qu'il n'écrirait plus, alimentées en
particulier par son agent Carmen Balcells53, García Márquez, alors âgé de 82 ans,
déclare au journal colombien El Tiempo qu'il « ne fait rien
d'autre qu'écrire », et n'a pas exclu de publier d'autres ouvrages54.
Le 6 mars 2012,
date qui coïncide avec les 85 ans de García Márquez, le président russe Dmitri Medvedev décerne à l'écrivain
colombien l'ordre de
l'Honneur pour « la contribution au renforcement de
l'amitié entre les peuples de la Russie et de l'Amérique latine »55. Le 25 avril de la même année, alors que
García Márquez est l'auteur latino-américain le plus populaire en Russie grâce
à Cent ans de solitude et Des feuilles dans la
bourrasque55, un convoi de huit voitures du métro de Moscou,
qui est décoré pour une durée de six mois avec des photographies de l'écrivain
et des fragments en russe et en espagnol de ses œuvres, est inauguré par le
vice-président du métro de Moscou, Igor Yermolenko, ainsi que par l'ambassadeur
de Colombie et promoteur du projet, Rafael Amador56.
Mort
Peu après avoir été hospitalisé
entre le 31 mars et le 8 avril 201457 à l'Instituto Nacional de Ciencias Médicas y Nutrición pour
une pneumonie58, Gabriel García Márquez meurt à son
domicile de Mexico le 17 avril 20143. Son décès fait suite à une insuffisance
rénale et respiratoire due au cancer lymphatique contre lequel il
luttait depuis 1999 et qui l'avait beaucoup affaibli au point de ne presque
plus apparaître en public lors de ses dernières années59. Il avait néanmoins paru une dernière
fois le 6 mars pour accueillir, devant sa résidence, des journalistes venus lui
souhaiter son 87e anniversaire59. Sa dépouille est incinérée dans la
capitale mexicaine le jour-même de sa mort60. Ses cendres auraient reposé au
funérarium J. García López avant d'être déplacées vers la Colombie, sans
connaître toutefois leur destination finale61. À l'annonce de sa disparition, le
président Juan Manuel Santos déclare
trois jours de deuil national en Colombie62. Plusieurs hommages du monde des arts,
de la culture et de la politique se succèdent parmi lesquels Fidel Castro, Enrique Peña Nieto, Dilma Rousseff, Nicolás Maduro, François Hollande et Barack Obama qui affirme que García
Márquez fut l'un de ses écrivains préférés dans sa jeunesse63,64,65,66. Quelques jours plus tard, de nombreuses
cérémonies d'adieux sont célébrées en sa mémoire en Colombie et au Mexique61. En parallèle, le quotidien espagnol La Vanguardia rend public le
premier chapitre d'une nouvelle inédite, Nous nous verrons en août (En
agosto nos vemos), entamée dans les années 1990 et laissée inachevée par
l'écrivain, insatisfait, qui commençait à souffrir de problèmes de mémoire67. Quelques jours plus tard, les
organisateurs du Festival
des films du monde de Montréal annoncent que la 38e édition
lui est dédiée68. Le 17 mai 2016,
Gonzalo García Barcha annonce que les cendres de son père ont été transférées
en Colombie au cloître de la Merced,
situé dans un ancien couvent du centre historique de Carthagène des
Indes et rattaché à l'université de la ville69. Les cendres demeureront désormais dans
un coffre, inclus dans un buste de bronze de l'auteur dessiné par l'artiste
britannique Katie Murray69.
Le 23 juin 2017,
la place
Gabriel-García-Márquez dans le 7e arrondissement de Paris est
officiellement inaugurée, en présence du président colombien Juan Manuel Santos et
de la maire de Paris Anne Hidalgo70, en hommage à l'écrivain dans le cadre
de l'« année France-Colombie71 ».
Activités
politiques
Les opinions politiques et
idéologiques de García Márquez ont été influencées par les histoires de son
grand-père Nicolás MárquezB 12. Dans une interview, García Márquez a
confié à Plinio Apuleyo Mendoza, proche ami et parrain de son premier
fils, « Mon grand-père, le Colonel, était un libéral. Au départ, mes
idées politiques viennent sans doute de lui, car au lieu de me raconter des
contes de fées quand j'étais jeune, il me tenait en haleine avec des histoires
horribles sur la dernière guerre civile que les libres-penseurs et les
anticléricaux avaient menée contre le gouvernement conservateur »F 2,B 16. Cette influence s'est traduite sur
ses vues politiques aussi bien que sur sa technique littéraire, de telle sorte
que « De la même façon que sa carrière d'écrivain s'est construite à
ses débuts par une opposition assumée au statu quo littéraire
colombien, les opinions socialistes et anti-impérialistes de García Márquez se
sont construites en opposition au statu quo global dominé par
les États-Unis »E 2.
Grâce à la reconnaissance
internationale que García Márquez a gagnée avec la publication du roman Cent ans de
solitude, l'écrivain colombien a pu jouer le rôle de médiateur
entre le gouvernement colombien et la guérilla, dont le M-19,
les FARC et
l'Armée
de libération nationale (ELN)72,73. Il a ainsi pu faire progresser les
pourparlers de paix qui se sont déroulés à Cuba entre
l'ELN et le gouvernement colombien. Il a également participé au processus de
paix entre le gouvernement d'Andrés Pastrana
Arango et les FARC,
mais sans succès74.
En 1972,
lorsque García Márquez reçoit le prix Rómulo
Gallegos, il décide de donner l'argent de ce prix au parti
vénézuélien Movimiento al Socialismo (« Mouvement vers le
socialisme »), ce qui entraîne de nombreuses critiques alors que l'argent
est destiné au magazine politique du MAS et non à sa guérillaA 82. Par ailleurs, il contribue pendant
plusieurs années à la publication d'articles politiques pour le magazine Alternativa créé en février 1974,
rédigeant notamment Chili, le Coup d'État et les GringosA 83. Il accepte également de devenir
membre du Second Tribunal Russell qui enquête sur des crimes de guerre
internationaux et les jugeA 83. Dans les années 1970, l'écrivain colombien publie
trois articles sur la Révolution des
Œillets du Portugal, à laquelle il apporte son soutienA 84. Dans l'édition du 8 avril 1981 du
journal espagnol El País, il
déclare au sujet de ses activités politiques et littéraires : « Je
suis un homme indivisible, et ma position politique obéit à la même idéologie
avec laquelle j'écris mes livres »75.
Le prestige international dont a
rapidement bénéficié García Márquez l'a également conduit à nouer des amitiés
avec certains dirigeants puissants dont l'ancien président cubain Fidel Castro. Cette relation amicale entre
les deux hommes est analysée dans Gabo y Fidel:
Retrato de una amistad (Gabo et Fidel : portrait d'une amitié)76. Dans un entretien avec Claudia Dreifus
en 1982, García Márquez dit que sa relation
avec Fidel Castro est principalement axée sur la littérature : « La
nôtre est une amitié intellectuelle. Peu de gens savent que Fidel est un homme
cultivé. Quand nous sommes ensemble, nous parlons beaucoup de la
littérature »D 6. L'avis de Castro sur ses ouvrages
impressionne beaucoup García Márquez, en particulier l'analyse qu'il a faite
de L'Automne du
patriarche, portrait d'un tyran caribéen immortel, généralement
lue comme une parabole sur les dictatures hispaniques5. Certaines personnalités critiquent
largement l'écrivain colombien pour cette relation. En 1992,
l'écrivain cubain Reinaldo Arenas fait
remarquer dans ses mémoires Antes que anocheza que García Márquez avait
accompagné Castro en 1980 lors d'un
discours. Le président cubain y a accusé des réfugiés récemment abattus dans
l'ambassade péruvienne d'être des « chusma » (en
français, « canailles »). Arenas dit se souvenir amèrement du
comportement de García Márquez à cette occasion, qu'il juge hypocrite77. Malgré ces critiques qui lui sont
adressées, il est à noter que García Márquez s'est battu pendant plusieurs
années pour que le gouvernement cubain relâche la majorité de ses prisonniers,
permettant, par exemple, la libération d'un contre-révolutionnaire, Reinol
Gonzáles, en décembre 1977A 85. Il s'implique également dans un
mouvement pour les droits de l'Homme nommé Habeas, participant à la constitution de
son organisation et en la finançant avec 100 000 dollars sur ses droits
d'auteur pour les deux années suivantesA 86. En 1982,
lors des élections présidentielles en Colombie, García Márquez apporte son
soutien au candidat libéral Alfonso López
Michelsen, mais ce dernier s'incline face au conservateur Belisario
Betancur Cuartas78.
García Márquez entretient également
une amitié de longue date avec François Mitterrand qui
l'admire et lui fait souvent partager sa table au palais de l'Élysée79. L'écrivain apprécie quant à lui sa
stature d'homme de lettres et sa grande culture80. Comme l'explique son biographe Gerald
Martin, l'auteur, alors envoyé spécial d'El Independiente, fait sa
connaissance à Paris en 1956 lorsque le futur
président français est encore ministre de l'Intérieur du gouvernement de Pierre Mendès
France et connaît les tourments de l'affaire des fuites80. Par l'intermédiaire de Régis Debray, l'écrivain et le chef d'État
se rapprochent quelques années plus tard80. Avec Octavio Paz, Carlos Fuentes, William Styron ou encore Elie Wiesel, García Márquez est convié à la
cérémonie d'investiture de François Mitterrand le 21 mai 1981,
à la suite de son élection à la présidence de la République80. La première dame Danielle Mitterrand assiste
à la remise du prix Nobel de littérature au Colombien l'année suivante80. Par l'entremise de Régis Debray et de Jack Lang, ministre de la Culture, García
Márquez accepte de prodiguer des conseils au président français sur les
affaires sud-américaines80.
En raison de sa notoriété
nouvellement acquise à la sortie de Cent ans de solitude et de
ses opinions tranchées sur l'impérialisme américain, García Márquez
est souvent étiqueté comme provocateur et élément subversif. Au cours des années 1970, des écoles latino-américaines
interdisent la lecture et l'étude de ses ouvrages62. Plusieurs années, il se voit également
refuser des visas par les autorités d'immigration américainesE 3. En effet, il est interdit de séjour
aux États-Unis depuis 1961, date à laquelle il
se rallie à la cause de Cuba. Cependant, lorsque Bill Clinton est élu président
américain, ce dernier lève finalement l'interdiction de voyage, affirmant à
García Márquez que Cent ans de Solitude est son roman favoriD 5.
De son vivant, García Márquez
s'avère cependant ennuyé par le statut d'homme politique, de militant et
d'instance morale qui lui est conféré dans la presse et déclare : « Je
suis un romancier, et nous, les romanciers, ne sommes pas des intellectuels,
mais des sentimentaux, des émotionnels. Il nous arrive à nous, Latins, un grand
malheur. Dans nos pays, nous sommes devenus en quelque sorte la conscience de
notre société. Et voyez les désastres que nous provoquons. Ceci n'arrive pas
aux États-Unis, et c'est une chance. Je n'imagine pas une rencontre au cours de
laquelle Dante parlerait
d'économie de marché. »81.
Prises de position dans les médias
En compagnie de Günter Grass, José Saramago, Umberto Eco, John Updike, Mario Vargas Llosa, Carlos Fuentes et Juan Goytisolo, García Márquez condamne
l'attitude des autorités turques, en décembre 2005, et réclame l'abandon des
charges judiciaires contre l'écrivain Orhan Pamuk, accusé d'« atteinte à
l'identité turque » à la suite de la publication d'un article dans lequel
ce dernier reconnaît la responsabilité de son pays dans les massacres kurdes et
le génocide arménien82.
Le 25 janvier 2007,
il se joint à la longue liste de personnalités latino-américaines ayant exprimé
leur soutien à l'indépendance de Porto Rico, en adhérant à la Proclama de Panamá83 qui est approuvée à l'unanimité par
le Congrès latino-américain et caribéen pour
l’indépendance de Porto Rico le 18 novembre 200684 à Panama. Parmi les figures d'Amérique latine qui
ont défendu l'indépendance de Porto Rico, se trouvent : Ernesto Sábato, Pablo Armando
Fernández, Luis Rafael Sánchez, Mayra Montero, Mario Benedetti, Jorge Enrique Adoum, Eduardo Galeano, Carlos Monsiváis ou
encore Frei Betto83.
En 2008,
il rejoint plusieurs auteurs de renommée mondiale dont Philip Roth, Salman Rushdie et Carlos Fuentes et trois autres prix
Nobel (Nadine Gordimer, J. M. Coetzee et Orhan Pamuk) pour soutenir l'écrivain
franco-tchèque Milan Kundera,
soupçonné d'avoir dénoncé à la police secrète tchécoslovaque l'un de ses
concitoyens, condamné à 22 ans de prison85.
Son œuvre
Principales œuvres littéraires
Des feuilles dans la bourrasque
Des
feuilles dans la bourrasque (La Hojarasca) est le premier roman de García
Márquez. L'écrivain déclare que « de tout ce qu'il avait écrit (à
partir de 1973), le roman Des feuilles dans la bourrasque était
son favori parce qu'il a estimé être le plus sincère et spontané »G 6. Tous les événements du roman ont lieu
dans une chambre, pendant une période d'une demi-heure, un mercredi 12 septembre 1928.
L'ouvrage relate l'histoire d'un vieux colonel (semblable au propre grand-père
de García Márquez) qui essaye de donner un enterrement chrétien convenable à un
docteur français impopulaire. Le colonel est soutenu seulement par sa fille et
son petit-fils. Le roman explore la première expérience de l'enfant avec la
mort en suivant le cheminement de sa conscience. Le livre révèle également la
perspective d'Isabel, la fille du Colonel, fournissant ainsi un point de vue
fémininG 1.
Cent ans de solitude
Depuis l'âge de dix-huit ans, García
Márquez voulait écrire un roman centré sur la maison de ses grands-parents où
il a passé son enfance. Toutefois, ne parvenant pas à trouver le ton approprié,
il abandonna ce projet jusqu'au jour où il trouva brutalement la solution alors
qu'il conduisait sa famille à Acapulco. Il aurait alors fait demi-tour et
ramené sa famille à la maison pour commencer à écrire. Pour survivre durant les
dix-huit mois que dura l'écriture, il dut vendre sa voiture et son épouse dut
acheter le pain et la viande à crédit, accumulant aussi neuf mois de retard de
loyerF 5. Cent ans de
solitude est finalement sorti en 1967. Il
s'agit du plus grand succès commercial que l'auteur ait connu jusqu'alors. Le
biographe de García Márquez, Gerald Martin, raconte en 2008 la légende
entourant la rédaction de ce livre : à Mexico, le romancier travaille sur une
machine à écrire Olivetti dans une pièce de trois mètres sur deux baptisée
« la caverne de la mafia »5. Encouragé par ses proches, convaincus du
chef-d'œuvre, il écrit toute la journée après avoir accompagné ses enfants à
l'école, fume énormément et écoute Béla Bartók, Claude Debussy et les Beatles5. La dactylo, qui rapporte les manuscrits
chez elle, les lit et les corrige, manque d'être renversée par un bus et lâche
les feuillets qui s’éparpillent dans la rue5. Pour l'envoi du tapuscrit à son éditeur
de Buenos Aires,
l’écrivain se rend avec son épouse Mercedes à la poste mais le colis coûte 82
pesos5. Ils n'envoient qu'une moitié du texte et
vendront leur radiateur, leur sèche-cheveux et leur mixeur pour expédier l'autre
moitié en Argentine5.
Cent ans de
solitude relate sur plusieurs générations l'histoire de
la famille Buendía depuis la fondation du village fictif de Macondo. Il s'agit
d'une saga riche d'incestes et
d'événements fantastiques, ponctuée de naissances et de morts plus ou moins
tragiques. La destinée de Macondo est
souvent vue par les critiques comme suffisamment générale pour représenter
l'histoire des villages ruraux d'Amérique du Sud, ou au moins celle de la
région natale de García Márquez, autour d'AracatacaG 7,F 6.
Cette vaste fresque a connu un
succès phénoménal dès sa publication et est rapidement devenue un classique81. Elle a apporté à García Márquez une
notoriété mondiale et a été déterminante dans l'obtention, par ce dernier,
du prix Nobel de
littérature en 1982.
Elle lui avait par ailleurs valu, dix ans auparavant, le Prix Rómulo
Gallegos. William Kennedy l'a
même qualifiée de « première œuvre depuis la Genèse dont la lecture est
indispensable à toute l'Humanité »86. Des centaines d'articles, de livres, de
critiques littéraires et d'analyses universitaires ont été publiés autour de
cet ouvrage, traduit dans 35 langues et vendu à près de
30 000 000 d'exemplaires à travers le monde87. À la fois épopée familiale, satire sociale, document historique,
roman politique, pastiche biblique et
récit merveilleux, Cent
ans de solitude est représentatif de l'alternance de registres
affectionnée par l'auteur88. Considéré par plusieurs critiques,
lecteurs et écrivains tels que Pablo Neruda comme le roman de langue
espagnole le plus important depuis Don Quichotte89,81, Cent ans de solitude est
cité comme l'exemple le plus abouti de réalisme magique tel
que le popularise le boom de la
littérature latino-américaine dans les années 1960 : abolition de la
frontière entre rêve, mythes, visions, fantasmes et monde quotidien, mélange de
grandiose, de réalisme et d'humour, questionnement métaphysique, imaginaire débridé
et univers flamboyant dans lequel l'amour, la violence, la solitude, les
guerres, l'inceste et la décadence côtoient la sensualité des corps et de la
nature62. Toutefois, García Márquez dit lui-même
ne pas comprendre le succès de ce livre en particulier, ni le culte qui lui est
voué, ni la pléthore d'exégèses qu'il a entraînée : « La plupart
des critiques ne réalisent pas qu'un roman comme Cent ans de solitude est
un peu une blague, pleine de clins d'œil à mes proches ; et par
conséquent, avec leur droit pré-établi à pontifier, ils prennent la
responsabilité de décoder le livre et de se couvrir terriblement de
ridicule. »
L'Automne du patriarche
C'est la fuite du dictateur
vénézuélien Marcos Pérez
Jiménez qui a donné à García Márquez l'inspiration pour écrire
un roman du dictateur dans
la tradition littéraire sud-américaine. Selon ses mots, « c'était la
première fois que l'on assistait à la chute d'un dictateur en Amérique LatineF 7. » García Márquez a commencé
à écrire L'Automne du
patriarche (El otoño del Patriarca) en 1968 et
a déclaré l'avoir terminé en 1971.
Cependant, il a continué à peaufiner son roman jusqu'en 1975,
année où il fut publié en Espagne90. Selon García Márquez, ce roman est
un « poème sur la solitude au pouvoir »91 alors que l'on suit la vie d'un
dictateur éternel surnommé « Le Général ». Le roman se développe à
travers une série d'anecdotes relatives à la vie du général, mais qui ne
figurent pas dans l'ordre chronologique92. Bien que l'emplacement exact de l'histoire
ne soit pas clairement défini dans le roman, le pays tropical imaginé par
García Márquez peut être situé quelque part dans les Caraïbes93. À travers un entrelacs de récits,
d'énoncés et de situations hétérogènes, l'auteur peint le crépuscule d'un
dictateur qui n’en finit pas de mourir et sur lequel le temps semble s'être
arrêté par la grâce du pouvoir5.
García Márquez a donné sa propre
explication de l'intrigue93 :
« Mon intention a toujours été de produire une synthèse de tous les
dictateurs d'Amérique Latine, et en particulier ceux des Caraïbes. Néanmoins,
la personnalité de Juan Vicente Gómez [du
Venezuela] était si forte, outre le fait qu'il exerçait sur moi une véritable
fascination, qu'indubitablement le Patriarche a beaucoup plus de lui que de
n'importe quel autre dictateur. »
Chronique d'une mort annoncée
Chronique d'une mort annoncée (Crónica de una
muerte anunciada) reconstitue l'histoire d'un meurtre qui se déroula en 1951 à Sucre, une ville du département de Sucre,
dans le Nord-Ouest de la Colombie. Dans ce roman, le personnage Santiago Nasar
se réfère à un bon ami d'enfance de García Márquez, Cayetano Gentile ChimentoG 8. Rubén Pelayo catégorise cette œuvre
littéraire comme étant une combinaison de reportage, de réalisme et
de roman policierG 9.
L'intrigue du roman tourne autour de
l'assassinat de Santiago Nasar. Le narrateur joue le rôle d'un détective
qui découvre les éléments de ce meurtre seconde par secondeG 10. Le critique littéraire Rubén Pelayo
note que « l'histoire se déroule de manière inversée. Au lieu d'aller
de l'avant (...) l'intrigue se déroule en arrièreG 11. » En effet, dans le premier
chapitre, le narrateur explique exactement au lecteur qui a tué Santiago Nasar,
le reste du livre cherchant à expliciter les raisons de ce meurtre.
Chronique d'une mort annoncée a été publié en 1981, un
an avant que García Márquez ne remporte le prix Nobel de littératureG 8. Le roman a également été adapté
au cinéma par le réalisateur italien Francesco Rosi en 1987G 10.
L'Amour aux temps du choléra
L'Amour aux temps du choléra (El amor en los
tiempos del cólera), publié en 1985, est
un roman d'une facture plus classique que les précédents mais il conte une
histoire d'amour atypique où « Les amants trouvent l'amour dans leur
« âge d'or », à plus de soixante-dix ans, alors que la mort est tout
autour d'eux »G 12. L'Amour aux temps du choléra se
fonde sur les histoires de deux couples. L'amour adolescent de Fermina Daza
avec Florentino Ariza est axé sur l'histoire des parents de García MárquezD 7. Toutefois, comme il l'explique dans
une interview, « La seule différence est que [ses parents] se sont
mariés, et dès l'instant où ils se sont mariés, ils n'étaient plus des
personnages intéressants d'un point de vue littéraire »D 7. L'amour entre les deux amants âgés est
fondé sur un récit journalistique de la mort de deux Américains, âgés de près
de 80 ans, qui se retrouvaient chaque année à Acapulco. Un jour, lors d'une sortie en
bateau, ils ont été tués à coups de rame par le batelier. D'après García
Márquez, « c'est par leur mort que l'histoire de leur secret a été
révélée. Ils m'ont fasciné. Ils étaient tous deux mariés à quelqu'un
d'autre. »D 8.
Le Général dans son labyrinthe
Peu après avoir terminé L'Amour
aux temps du choléra (1985), Gabriel García Márquez décide de créer un
roman sur Simón Bolívar.
Il s'intéresse plus particulièrement au dernier voyage du Libérateur sur
le río MagdalenaA 76. L'idée d'écrire un livre à ce sujet
lui vient initialement de son ami et compatriote, l'écrivain colombien Álvaro Mutis, à qui l'ouvrage est dédié94. Le livre raconte le voyage de Bolívar
de Bogota à la côte nord de la Colombie, alors qu'il cherche à quitter
l'Amérique du Sud pour s'exiler en Europe. La version originale en espagnol du
roman Le Général dans son labyrinthe a été publiée
simultanément en Argentine, en Colombie, au Mexique et en Espagne en 198995.
Mais, le portrait romanesque d'un
héros national et latino-américain, qui remet en question les données
historiques, a été ressenti comme un outrage par certains lors de la
publication du livre96. Dans un entretien avec María Elvira
Samper qui lui demande si le livre est à classer dans la catégorie roman
historique ou dans celle de l'histoire romancée, Gabriel García
Márquez déclare que « c'est totalement un roman », l'absence de
documentation sur le dernier voyage de Bolívar lui ayant permis de se mettre
dans la tête du personnage. Ainsi, la psychologie du héros de son livre, son
comportement et sa personnalité sont « de la fiction, basée sur
beaucoup de documents »97.
Liste de ses œuvres littéraires
Romans
- 1955 - Des
feuilles dans la bourrasque (La Hojarasca)
- 1961 - Pas
de lettre pour le colonel (El coronel no tiene quien le escriba)
- 1962 - La mala hora
- 1967 - Cent ans de
solitude (Cien años de soledad)
- 1975 - L'Automne
du patriarche (El otoño del patriarca)
- 1981 - Chronique
d'une mort annoncée (Crónica de una muerte anunciada)
- 1985 - L'Amour
aux temps du choléra (El amor en los tiempos del cólera)
- 1989 - Le
Général dans son labyrinthe (El general en su laberinto)
- 1994 - De
l'amour et autres démons (Del amor y otros demonios)
- 2004 - Mémoire
de mes putains tristes (Memoria de mis putas
tristes)
Nouvelles et Contes
- 1962 - Les
Funérailles de la Grande Mémé (Los funerales de la
Mamá Grande), comprend Il n'y a pas de voleur dans ce village (En
este pueblo no hay ladrones)
- 1972 - L'Incroyable
et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique (La increíble y triste historia de la cándida Eréndira y de su
abuela desalmada)
- 1972 - Des
yeux de chien bleu (Ojos de perro azul)
- 1992 - Douze contes
vagabonds (Doce cuentos peregrinos)
Autres
- 1970 - Récit d'un
naufragé (Relato de un náufrago)
- 1982 - Une
odeur de goyave. Entretiens avec Plinio Mendoza (El olor de la
guayaba)
- 1986 - L'Aventure de Miguel Littín, clandestin au Chili (La aventura de Miguel Littín clandestino en Chile)
- 1996 - Journal
d'un enlèvement (Noticia de un secuestro)
- 2002 - Vivre pour
la raconter (Vivir para contarla)
- 2010 - Je
ne suis pas ici pour faire un discours (Yo no vengo a decir un
discurso)
Relations
avec l'univers cinématographique
García
Márquez et le ministre colombien de la Culture, Paola Moreno (à sa gauche),
lors du Festival
international du film de Guadalajara qui s'est tenu à
Guadalajara, au Mexique, en mars 2009.
Implication dans le cinéma
Selon les critiques, le langage
imaginaire de García Márquez est extrêmement visuel, pictural et graphique39, l'écrivain colombien expliquant que
chacune de ses histoires est emprunté à une « image visuelle »F 8. Dany Laferrière vante
par ailleurs sa capacité à magnifier les perceptions98. García Márquez confère en effet une
dimension tactile à ses récits, exaltant les goûts, les couleurs, les saveurs,
les senteurs et les odeurs de l'Amérique caribéenne98. L'aspect journalistique de son
écriture, présent quant à lui dans l'abondance de détails sur le cadre de vie
sud-américain et l'atmosphère tropicale, est rapproché du cinéma documentaire81. Il n'est donc pas surprenant que
l'auteur se soit depuis longtemps impliqué pleinement dans le 7e art
et la défense d'un cinéma hispanique qu'il souhaite ancrer dans des
préoccupations politiques et sociales5. Critique de cinéma,
il est en effet l'un des fondateurs de L'École Internationale de Cinéma et
de Télévision (EICTV)
de Cuba39.
En 1985, il crée la Fondation
pour un nouveau cinéma latino-américain (en espagnol : Fundación del Nuevo Cine Latinoamericano ou FNCL) à La Havane qui a
pour missions principales d'unifier le nouveau cinéma latino-américain et d'en
assurer sa promotion99. Le FNCL aboutit à la création de
l'entité ad hoc, la Escuela de Tres Mundos (école de Trois Mondes),
en décembre 1986 avec le cinéaste argentin Fernando Birri en tant que premier
directeur. Le projet académique de cette institution était de former des
professionnels du cinéma, de la télévision et d'autres médias99.
García Márquez a été le président du
FNCL et a écrit plusieurs scénarios de filmsH 2. Lors de son premier scénario, celui
de El gallo de oro de Juan Rulfo, il travailla avec Carlos Fuentes39. Il écrit ensuite d'autres
scénarios : Tiempo de morir (1966) et Un señor muy
viejo con unas alas enormes (1988), et même des séries télévisées
comme Amores difíciles (1991)39. Il a aussi écrit Eréndira, son troisième scénario. Toutefois, le manuscrit fut perdu et fut
remplacé par une nouvelle écrite pour l'occasion. Marquez décida pourtant
d'écrire de nouveau le script, en collaboration avec Ruy Guerra et, finalement, le film
sortit en 1983100. Entre-temps, García Márquez a été
membre du jury au Festival de Cannes en 1982 sous
la présidence de Giorgio Strehler,
quelques mois seulement avant de recevoir son prix Nobel.
Adaptations de ses œuvres au cinéma
Plusieurs de ses histoires inspirent
de nombreux écrivains, artistes et cinéastes. En 1987, le metteur en scène
italien Francesco Rosi réalise Chronique
d'une mort annoncée, d'après le roman
éponyme de García Márquez101. Plusieurs adaptations sont tournées au
Mexique dont La Viuda de Montiel (1979) de Miguel Littín, Maria de mi corazón (1979) de Jaime Humberto
Hermosillo102 et El coronel no
tiene quien le escriba (1998)103 d'Arturo Ripstein. Le cinéaste anglais Mike Newell (Quatre
mariages et un enterrement) tourne L'Amour
aux temps du choléra à Carthagène des
Indes, en Colombie. Le scénario est écrit par Ronald Harwood (Le Pianiste)104. Le roman De l’amour
et autres démons est quant à lui adapté et mis en scène par
le réalisateur costaricien Hilda Hidalgo, diplômé du Film Institute de La Havane et dans lequel l'auteur
colombien se rend souvent pour des ateliers d'écriture de scénarios.
En 1996, Récit d'un naufragé inspire Pobre
mi esperanza105, clip musical dirigé par José Luis
Lozano et interprété par Isabel Pantoja. Le cinéaste serbe Emir Kusturica, grand lecteur de García
Márquez dont l'univers a nourri les films Le Temps des Gitans et Undeground,
entreprend par ailleurs l'adaptation de L'Automne du
patriarche et rencontre l'écrivain à La Havane en 2005 afin
de discuter de la mise à l'écran de son livre106. Kusturica souhaite également porter à
l'écran d'autres œuvres de l'auteur parmi lesquelles Cent ans de
solitude106. Néanmoins, aucune des adaptations
souhaitées ne voit le jour106.
En 2011, l'auteur et réalisatrice
australienne Julia Leigh avoue
avoir voulu transposer dans une époque contemporaine les thèmes et l'atmosphère
de Mémoire
de mes putains tristes ainsi que des Belles Endormies de Yasunari Kawabata avec Sleeping Beauty,
son premier film107.
Style
littéraire et sources d'inspiration
Style
Plaque
commémorative de Gabriel García Márquez réalisée par le sculpteur
franco-colombien Milthon en 2007.
Renouveau de la littérature hispanophone
García Márquez est une figure
importante du boom
latino-américain en littérature. Ses œuvres ont forcé certains
critiques littéraires colombiens à rompre avec la critique très conservatrice
qui avait été dominante jusqu'au succès de Cent ans de solitude.
Dans la revue littéraire Hispania108, Robert Sims écrit109 :
« García Márquez continue d'avoir une grande influence en Colombie,
en Amérique latine et aux États-Unis. Des critiques sur les œuvres du prix
Nobel 1982 ont
été produites en masse et continuent de l'être. De plus, García Márquez a
galvanisé la littérature colombienne en lui donnant un élan sans précédent. De
fait, il est devenu une pierre de touche pour la littérature et la critique des
Amériques, car son travail a conduit à des réactions d'attraction-répulsion
parmi les critiques et les autres écrivains tandis que les lecteurs continuent
de dévorer ses nouvelles productions. Il est indéniable que García Márquez a
contribué à rajeunir, reformuler et remettre dans leur contexte concret la
littérature et la critique en Colombie et dans le reste de l'Amérique
latine. »
García Márquez compte parmi les
écrivains hispanophones majeurs du xxe siècle. Avec l'approche
d'un conteur, il a donné un nouveau souffle littéraire à la production
latino-américaine en s'écartant de l'indigénisme en vigueur. À travers une
œuvre inclassable et foisonnante, l'auteur a développé un style original,
exubérant et accessible qui lui a valu une popularité mondiale110.
Considéré comme l'un des grands noms
du réalisme magique,
García Márquez convoque, dans ses romans et nouvelles, les grands tableaux de
l'histoire sud-américaine mais vus par le prisme de la fable,
du folklore et des mythes populaires
hispaniques. Il explique lui-même son intérêt pour les intrigues
extraordinaires et foisonnantes : sa grand-mère, Tranquilina, femme
nerveuse et visionnaire, le terrifiait la nuit avec des histoires fantastiques111. Beaucoup de lecteurs reconnaissent par
ailleurs la personnalité de Tranquilina sous les traits d'Úrsula dans Cent ans de
solitude62. Son amour du grand roman national lui
vient en revanche de son grand-père, ancien colonel d'armée, qui lui narrait
les grandes sagas et les épopées du pays, à l'instar du massacre des
bananeraies de la Caraïbe à la fin du xixe siècle, qui a vu une
révolte paysanne écrasée dans le sang avec plus de cent manifestants tués puis
finalement enterrés dans une fosse commune. Enfant, le jeune Gabriel fut
également marqué par le récit des aventures héroïques du général Rafael Uribe Uribe,
légendaire chef libéral,
protagoniste de la guerre des Mille
Jours (1899 - 1902),
la plus intense des guerres civiles colombiennes à laquelle l'aïeul de
l'écrivain, jeune soldat à l'époque, a survécu, bien que hanté à jamais par le
souvenir de ses camarades blessés et fusillés111. C'est également à son grand-père qu'il
doit la découverte de la glace qui occupe les premières pages de Cent
ans de solitude62. García Márquez concentre ces deux
influences familiales divergentes dans un univers romanesque où le lecteur est
transporté du rêve au fantasme en passant par la réalité quotidienne du peuple
colombien.
García Márquez se veut le
chroniqueur d'un régionalisme à vocation universelle, représentatif de la world literature112. Sous sa plume démiurgique et
« naïve » (non pas au sens de « bêtise » mais d'« émerveillement
de l'enfant devant sa création »113 comme l'explique Albert
Bensoussan, son traducteur), c'est donc l'Amérique latine qui
renait : ses us et coutumes, ses croyances, ses conflits, ses guerres
civiles etc., jusqu'à sa soumission à l'impérialisme nord-américain114.
Le mouvement littéraire initié par
García Márquez a connu tant d'imitateurs qu'il a conduit à la naissance d'un
contre-courant115 : le McOndo : collision du nom
« Macondo », le village imaginaire de l'auteur colombien et du
préfixe « Mc » imputable aux groupes « McDonald's » et
« McIntosh ». Cette école, représentée notamment par le Chilien Alberto Fuguet, le Bolivien Edmundo Paz Soldán ou
encore la Porto-Ricaine Giannina Braschi, réfute le réalisme magique érigé
en modèle d'application d'une littérature mondialisée et dénonce le sort
réservé à plusieurs manuscrits par les maisons d'édition nord-américaines qui
réduiraient les lettres latino-américaines à une vision rurale et folklorique
et à une atmosphère exotique avec manifestation de phénomènes surnaturels et
préoccupations métaphysiques, parfaitement caractéristiques des productions
du boom116,117. Pourtant, Garcia Márquez lui-même
déplore la lecture exoticisante de ses œuvres.
Techniques
García Márquez se situe à la croisée
des genres littéraires88 et, dans cette optique, cherche à
préserver une certaine unité thématique et stylistique, faisant en sorte que
son œuvre soit traversée par des symboles syncrétiques (païens et bibliques)
puis par des lieux et des personnages identiques (le village imaginaire de
Macondo hante ses créations). Une continuité se dégage dans sa peinture
folklorique, analogue au costumbrismo, d'un microcosme côtier et
caribéen qui finit par représenter l'Amérique du Sud tout entière. En effet,
cette dernière connait globalement un destin semblable à celui de la Colombie118. Selon Albert Bensoussan, la densité de
ses observations et le caractère titanesque de son entreprise littéraire le
rapprochent d'Honoré de Balzac qui
ambitionnait de concurrencer l'état civil grâce à La Comédie humaine118. Avec une minutie d'anthropologue,
García Márquez fait l'inventaire du mode de vie, de la pensée et des mœurs des
peuples hispaniques tout en s'adjoignant des envolées poétiques proches
du symbolisme118.
On retrouve chez lui le modèle
littéraire de Faulkner par
la multiplicité des voix narratives, l'utilisation sporadique du monologue intérieur et
l'influence de la géographie ou du cadre de vie rural sur le déroulement du
récit112,115. L'influence de l'auteur allemand Günter Grass est également notable
dans la juxtaposition de l'Histoire, du mythe, de
l'épopée, de la parodie et de la
satire politique119,115. Sa prose luxuriante manifeste une
tendance au détournement et change régulièrement de point de vue. García
Márquez part, comme dans la plupart des œuvres du boom,
du général pour aller vers le particulier en opposition aux littératures
européenne et américaine120. L'auteur participe ainsi grandement à
émanciper la littérature hispanique de l'emprise occidentale et des conventions
en vigueur.
Son écriture est également
reconnaissable par l'emploi répété de la prolepse qui renvoie les personnages à
une situation postérieure aux faits racontés. Ce procédé mêle les temporalités
et brise le récit linéaire. De fait, l'enjeu narratif ne réside plus dans la
progression dramatique, ni dans le suspense dans la mesure où les événements
futurs sont dévoilés d'emblée. Seuls comptent le caractère circulaire de la
fiction, la richesse du détail et l'arrière-plan psychologique et social115. L'exemple le plus probant de prolepse
réside dans la première phrase de Cent ans de solitude, l'une des
plus célèbres entrées en matière de l'histoire littéraire au
même titre que Don Quichotte, À la
recherche du temps perdu et Voyage au bout
de la nuit81 :
« Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le
colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours
duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. »
García Márquez malmène souvent
l'ordre chronologique et met à mal les codes dominants de la fiction littéraire
qui devient l'objet de l'œuvre en elle-même : le point de vue rétrospectif
révèle par exemple d'emblée le nom du meurtrier dans Chronique
d'une mort annoncée et délaisse l'objectif initial du roman policier (connaître l'identité
du criminel) pour se recentrer sur les motivations qui ont amené le coupable à
agir.
Loué pour la force de ses visions
hallucinatoires (prêtre en lévitation, bateau perché dans les arbres, milliers
de poules noyées, massacres couverts par le parfum des fleurs)62,5, García Márquez est aussi connu pour
omettre des détails et des événements qui semblent importants, de sorte que le
lecteur doit adopter un rôle participatif dans la construction de l'histoire.
Par exemple, dans Pas de lettre pour le colonel, le nom des
personnages principaux n'est pas précisé. Cette manière d'écrire est influencée
par les tragédies grecques comme Antigone et Œdipe roi, dans lesquelles des
événements importants se produisent hors de la scène et sont laissées à
l'imagination du spectateurE 4.
La superposition de l'érudition à
l'imaginaire et du rationnel au fantastique permet à García Márquez de
brouiller les pistes d'une lecture romanesque univoque. Emplies d'ironie, ses
œuvres esquissent une galerie de figures dramatico-bouffonnes et représentent une
société pittoresque mais paradoxale, hantée par la violence et les
tragédies : la résurgence de pulsions criminelle et sexuelle est
fréquente. Ses fictions font le constat fatal d'inégalités sociales et de
compromissions morales, fruits de luttes acharnées de pouvoir ou d'intérêt.
Celles-ci deviennent les causes principales du malheur des plus faibles,
acculés à connaître les rouages d'un destin sordide. L'auteur fustige par
ailleurs les maux qui gangrènent le comportement humain : lâcheté, bassesse,
avidité, goût du pouvoir, vengeance, attachement aux traditions archaïques...
Dotés d'un sens aiguisé de la caricature, ses romans et nouvelles mettent
en scène l'archétype de l'homme latin : machisme, sens galvaudé de
l'honneur, amitié virile, générosité, démesure et mythification des femmes
représentées à la fois sous les traits de mères, d'épouses ou de prostituées
aux pouvoirs érotiques irrésistibles. Cet aspect fictionnel a valu à García
Márquez des reproches sur une misogynie supposée5,62.
Certaines caractéristiques
traversent toute l'œuvre de l'auteur, notamment les touches humoristiques, le
recours à l'hyperbole et
les jeux sur la structure62. On note d'autres invariants : la
prolixité de la langue, le rythme musical de la phrase ou encore la puissance
suggestive de la prose62. Néanmoins, le style de García Márquez
ne se conforme à aucun schéma prédéterminé. Il n'applique en effet jamais la
même recette à deux ouvrages ce qui contribue à la grande richesse de sa
production littéraire. Il déclare d'ailleurs, au cours d'une interview121 :
« Pour chaque livre, j'essaie d'adopter une voie différente [...].
On ne choisit pas le style. On peut toujours expérimenter pour essayer de
découvrir quel est le style le plus adapté pour un thème donné. Mais le style
est déterminé par le sujet, par l'humeur du moment. Si vous essayez d'utiliser
un style qui n'est pas adapté, cela ne marchera tout simplement pas. Ensuite,
les critiques construisent des théories là-dessus, et ils voient des choses que
moi je n'avais pas vues. Tout ce que je fais, c'est m'adapter à notre style de
vie, la vie des Caraïbes. »
Réalité et réalisme magique
La réalité est un motif important
dans toutes les œuvres de García Márquez qui cherchent à la retranscrire le
plus fidèlement possible. Cependant, l'auteur se lasse rapidement de la
rhétorique habituelle du réalisme littéraire
qui ne s'attache qu'à la réalité matérielle et objective62. Au sujet de ses premiers travaux, à
l'exception du roman Des feuilles dans la bourrasque, García
Márquez déclare que « Pas de lettre pour le Colonel, La
Mala Hora et Les Funérailles de la Grande Mémé reflètent
tous la réalité de la vie en Colombie et ce thème détermine la structure
rationnelle des livres. Je ne regrette pas de les avoir écrits, mais ils
appartiennent à un genre de littérature préméditée qui offre une vision trop
statique et exclusive de la réalité »F 9.
Dans ses autres textes, il opte pour
une approche beaucoup moins traditionnelle de la réalité, de sorte que « les
choses les plus effrayantes, les plus inhabituelles soient dites avec la plus
grande impassibilité »122, comme c'est le cas de l'ascension
aussi bien physique que spirituelle de la belle Remedios ou la lévitation du
Père Nicanor dans Cent ans de solitude. D'autres éléments de ce
type apparaissent au fil du récit, narrés d'une manière détachée :
naissance d'un enfant avec une queue de cochon, télescopage du passé et du
présent, réapparition de personnages morts, amnésie collective, dons de
voyance, tapis volants118... À cela, s'ajoute un symbolisme qui
fait de Macondo l'égal d'une communauté
biblique : Genèse et Apocalypse d'une cité du péché, avatar
de Sodome et Gomorrhe, paroles divines indéchiffrables,
malédiction céleste, prophéties, meurtre fratricide semblable à celui de Caïn et Abel, pluie diluvienne etc118. La perception mentale, spirituelle et
subjective du réel est réhabilitée. Le banal, le quotidien, le surnaturel, le
mythologique et l'onirique se
confondent sans que cela ne pose problème aux personnages ou à l'intrigue. Ce
procédé va à rebours de la littérature
fantastique, caractérisée par l'intrusion problématique de
l'irrationnel ou du paranormal dans la réalité118. Le style des œuvres de García Márquez
correspond au « royaume merveilleux » de l'écrivain cubain Alejo Carpentier et a été
assimilé réalisme magique dont
il est devenu le représentant le plus célèbre123. Ce style se caractérise par le
mélange, dans la narration, d'éléments à la fois fantastiques et réels ou
ordinaires. L'influence ludique du réalisme magique tel qu'il l'expérimente
renouvelle le champ de la fiction et s'étend aux littératures du monde entier
(africaine, caribéenne, anglo-saxonne, asiatique...)62. Bien qu'ils divergent sur plusieurs
points, les ouvrages de Salman Rushdie (Les Enfants de
minuit, Les Versets
sataniques), Toni Morrison (Beloved), José Saramago (Le Dieu manchot), Kenzaburō Ōe (Gibier d'élevage), Orhan Pamuk (Mon nom est Rouge), J. M. Coetzee (L'Âge de fer)
et Mo Yan (Le Pays de l'alcool)
en portent l'empreinte par la liberté prise avec les modèles narratifs du
passé, leurs recherches esthétiques singulières et leur manière de lire le réel
et l'histoire qui rejette un réalisme exclusif89,124,115,125,126. Le critique littéraire Michael Bell
propose une autre façon de comprendre le style de García Márquez, le concept de
« réalisme magique » étant critiqué comme étant trop binaire et trop
exoticisant : « Ce qui est réellement en jeu c'est une souplesse
psychologique qui permette à la fois de décrire sans sentimentalisme le monde
réel tout en restant ouvert à tous ces domaines que la culture moderne a, de
par sa propre logique, marginalisé ou refoulé »H 3. Sur la notion de « réalisme
magique », un dialogue entre García Márquez et Plinio Apuleyo Mendoza est
particulièrement évocateurF 10 :
« - Ta façon de traiter la réalité dans tes
livres [...] a été appelée « réalisme magique ». J'ai l'impression
que tes lecteurs européens voient généralement la magie dans les histoires que
tu racontes, mais ne perçoivent pas la réalité qui est derrière.
- C'est sans doute parce que leur rationalisme les empêche de voir que
la réalité ne se limite pas au prix des tomates et des œufs. »
Thèmes
Solitude
Le thème de la solitude est
récurrent dans beaucoup d'ouvrages de García Márquez. Ses récits s'apparentent
en effet à une longue méditation sur la solitude et la mort auxquelles l'homme
est inéluctablement confronté112. Comme le note Rubén Pelayo, « L'Amour
aux temps du choléra, comme toute l'œuvre de Gabriel García Márquez,
explore la solitude de l'individu et de l'humanité (...) Ses portraits
explorent en effet la solitude de l'amour et de l'état amoureux. »G 13. En réponse à la question de Plinio
Apuleyo Mendoza, « Si la solitude est le thème de tous vos livres, où
devons-nous chercher les racines de cette expression qui est centrale dans
votre œuvre ? Dans votre enfance, peut-être ? », García Márquez
réplique : « Je pense que c'est un problème que tout le monde a.
Chacun a sa propre manière et les moyens de l'exprimer. Le sentiment imprègne
le travail de tant d'écrivains, bien que certains d'entre eux puissent
l'exprimer inconsciemment. »F 11. Dans son discours d'acceptation
du prix Nobel de
littérature, La soledad de America latina31, García Márquez relie la solitude à la
situation de l'Amérique latine : « L'interprétation de notre
réalité selon des schémas de pensée qui nous sont étrangers ne fait que nous
rendre de plus en plus méconnus, de moins en moins libres, de plus en plus
solitaires. »127. Selon l'écrivain, le thème de la
solitude concentre inéluctablement l'amertume et la mélancolie du regard sur
l'existence. En effet, cette dernière se retrouve confrontée à l'éternel retour
des travers humains, au caractère éphémère des acquis sociaux ou à
l'évanescence des choses81. La solitude est liée aux cycles des
civilisations amenées à disparaître81. De fait, tout progrès vertical est
exclu et le fatalisme constitue
le cœur-même de la création littéraire5.
Macondo
Comme le comté fictif de Yoknapatawpha chez Faulkner, le Wessex (en) de Thomas Hardy ou
encore le Combray de Marcel Proust et la Santa María
de Juan Carlos Onetti,
García Márquez reprend, dans plusieurs œuvres, le village imaginaire de Macondo comme lieu d'action même si
pour lui, « Macondo n'est pas tant un lieu qu'un état d'esprit »F 12. Quand ses histoires ne s'y déroulent
pas, leur localisation (malgré la référence fréquente à une côte caribéenne
avec un arrière-pays andin) est souvent laissée dans le flou : le modèle
géographique donné est déréalisé afin de capturer l'essence de la région, sans
qu'aucune analyse socio-politique locale ne soit donnéeH 4. Macondo est aussi illustre que ses
habitants hauts-en-couleur, métissés, frustes, ni vraiment bons ni
fondamentalement mauvais mais trouvant le moyen d'assouvir leurs pulsions118. Très vite, cette ville fictive et
allégorique est devenue célèbre dans le monde de la littérature, et comme le
note Ilan Stavans, « sa géographie et ses habitants sont évoqués
fréquemment par des professeurs et des hommes politiques », à tel point
qu'il est « difficile d'imaginer que cette ville ait été fabriquée à
partir de rien »128. Dans la mesure où García Márquez a
souvent expliqué « ne rien inventer » en littérature et
n'écrire que sur des gens et des lieux « qu'il connaît ou a déjà
vus », beaucoup de lecteurs ont reconnu en Macondo l'avatar d'Aracataca, sa ville natale située près de
la côte atlantique, prise entre les dunes et les marais d'un côté puis la
sierra de l'autre. Comme Macondo, Aracataca est une cité hantée par le spectre
des guerres et des crimes séculaires, mais aussi par les conflits familiaux, le
banditisme, les pluies diluviennes et la sécheresse129. Dans Des feuilles dans la
bourrasque, l'auteur décrit de façon réaliste l'époque du « boom de la
banane » que connut Aracataca et qui se produit également à Macondo,
caractérisée par une grande abondance de la production agricole et un essor
économique durant la période où les compagnies américaines sont présentes,
suivie d'une phase de dépression après le départ de ces dernières130. Toute l'histoire de la ville imaginaire
de Macondo, de sa fondation à sa fin tragique, est racontée dans Cent ans de
solitude qui s'y déroule entièrement131. Dans une ambiance tropicale, charnelle
et morbide, s'y jouent le sort d'Indiens, de descendants d'esclaves noirs,
d'Espagnols et d'immigrants, écrasés par la cruauté militaire et les
entreprises coloniales nord-américaines5. Les Buendía de Cent ans de
solitude, comme Macondo, jouissent de manière éphémère de la prospérité
engendrée par le boom de la banane. L'essor économique et agricole du pays les
sort d'une ruralité primitive pour les amener vers une vague idée de
civilisation avant que l'intérêt supérieur des compagnies étrangères et la
résurgence de tensions intestines ne les fassent sombrer dans la décadence et
ne les anéantissent118. En ce sens, Macondo devient une image
universelle et cosmogonique de
la vie, la mort et du cycle des civilisations5. Preuve de l'importance de l'univers de
Macondo, l'adjectif « macondiano » devient un adjectif qui dépeint
l'irrationnel grâce à l'écrivain colombien81. Dans son autobiographie, García Márquez
explique sa fascination pour Macondo, en réalité lieu-symbole de l'origine et
de la vocation artistique. Il décrit un voyage qu'il a fait avec sa mère pour
revenir à Aracataca dans sa jeunesseC 4 :
« Le train s'arrêta à une gare sans nom, et quelques instants plus
tard il passa devant la seule plantation bananière le long de la voie qui
portât le panneau indiquant son nom : Macondo. Ce mot avait
attiré mon attention dès les premiers voyages que j'avais faits avec mon
grand-père, mais je n'ai découvert, qu'une fois adulte, que j'aimais ses
résonances poétiques. Je n'avais jamais entendu qui que ce soit prononcer ce
mot, et je ne me suis même pas demandé s'il avait un sens... J'ai fini par lire
dans une encyclopédie que c'est un arbre tropical qui ressemble à un kapokier »
La Violencia
Dans plusieurs des œuvres de García
Márquez telles que Pas de lettre pour le colonel, La Mala Hora et Des feuilles dans la bourrasque,
l'écrivain colombien fait référence à la période de « La Violencia » (« La
Violence »), « une guerre civile brutale entre les conservateurs
et les libéraux qui a duré jusque dans les années 1960, causant la mort de plusieurs
centaines de milliers de Colombiens »15,G 14. Partout dans ses romans, on retrouve
des références subtiles à La Violencia comme des personnages faisant
face à des situations injustes diverses telles que les couvre-feu, la censure de la Presse ou les journaux
clandestins132. Bien que La Mala Hora ne soit pas l'un des plus
célèbres romans de García Márquez, il reste remarquable pour le portrait de
cette période qu'il dépeint avec son « image fragmentée de la
désintégration sociale provoquée par La Violencia »133. La critique assimile souvent le thème
de la violence chez l'auteur à une étude politique et sociale acérée et une
peinture corrosive du pouvoir qui contrastent avec une écriture labyrinthique,
fiévreuse et enveloppante5. Par ailleurs, l'auteur évoque le trust
des grandes compagnies américaines muselant l'économie des États latins et
causant les épisodes les plus sanglants de La Violencia62. Sa prose fait également de l'Amérique
latine une entité conservatrice, archaïque, féodale et assujettie à l’Église62. La cruauté et le cynisme y accompagnent
des mœurs dissolues et anéantissent les rêves de peuples écrasés par leurs
dirigeants62. La charge de son analyse sur le caudillisme, sa prise de position contre
les dictatures
militaires brésilienne, chilienne et argentine et
son amitié avec Fidel Castro ont
un temps entraîné l'interdiction de la lecture et l'étude de ses livres dans
certaines écoles sud-américaines au cours des années 197062. Si García Márquez dénonce en effet,
dans sa production littéraire, la nature corrompue de l'homme, la perversion du
pouvoir et les injustices de l'époque comme La Violencia, il refuse
cependant d'utiliser son œuvre comme un outil de propagande politique et idéologique5 : « Pour lui, le devoir de
l'auteur révolutionnaire est de bien écrire, et le roman idéal est celui qui
touche son lecteur à la fois par ses aspects politiques et sociaux, mais en
même temps, par sa capacité à rendre la réalité le plus fidèlement possible et
à en exposer tous ses aspects »132.
Hommages
Le 23 juin 2017, la Maire de
Paris, Anne Hidalgo, et
le président colombien, Juan Manuel Santos,
ont inauguré la place
Gabriel-García-Márquez134 dans le 7e arrondissement. La
place est située devant le 9, rue de Montalembert où
l'écrivain résidait. La Ville de Paris a également apposé une plaque
commémorative en marbre sur son immeuble, en son hommage. (W.fr.)
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