vineri, 19 noiembrie 2021
Robert Service
Robert Service
Naissance | (73 ans) Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord |
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Nationalité | |
Formation | Université d'État de Saint-Pétersbourg Université de l'Essex King's College |
Activités |
A travaillé pour | Université de Londres, université de Keele, université d'Oxford, UCL School of Slavonic and East European Studies (en) |
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Site web |
Robert John Service, né le , est un historien britannique spécialiste de l'histoire de la Russie. Il est professeur à la British Academy et à l'université d'Oxford. De 2004 à 2006, il a été Distinguished Visiting Scholar à la Hoover Institution.
Biographie
Robert Service passe son cycle undergraduate à l'université de Cambridge, où il étudie le russe et le grec ancien. Il fréquente ensuite les universités d'Essex et de Léningrad pour son postgraduate, durant lequel il se consacre à la science politique puis à l'histoire. Il enseigne à l'université de Keele et à la School of Slavonic and East European Studies de l'University College de Londres avant de rejoindre l'université d'Oxford en 1998, où il enseigne actuellement.
Entre 1986 et 1995, Service a publié une biographie en trois volumes de Lénine, rééditée en 2000 en un volume, dans une version mise à jour. Il a également rédigé plusieurs histoires générales de la Russie au xxe siècle. Après sa biographie de Staline, il a publié en 2009 celle de Trotsky.
Critiques
Ce dernier livre sur Trotsky a été fortement critiqué par son collègue de la Hoover Institution, Bertrand Patenaude, dans une chronique pour The American Historical Review1. Patenaude, y passe en revue son livre en parallèle d'une critique du trotskyste David North (Défense de Léon Trotsky), il y accuse Service de dizaines d'erreurs sur les faits, de présentation tendancieuse des preuves, et de « ne pas parvenir à analyser les idées politiques de Trotsky d'une manière sérieuse »2. Service a répondu que les erreurs de faits sont mineures.
En juillet 2009, avant la publication de son propre livre, Robert Service avait écrit une chronique du livre de Patenaude Stalin's Nemesis: The Exile and Murder of Leon Trotsky qu'il appréciait pour être « brillamment écrit » mais le critiquait également pour avoir négligé les crimes de Trotsky quand il partageait le pouvoir en URSS, en dépeignant Trotsky en « noble martyr ».
Le livre de Service a également été fortement critiqué par Hermann Weber, historien allemand du communisme et ex-membre du Parti communiste d'Allemagne (KPD), lequel a mené une campagne pour empêcher Suhrkamp Verlag de le publier en Allemagne. Quatorze historiens et sociologues ont signé une lettre ouverte à la maison d'édition. Celle-ci citait « une collection d'erreurs factuelles », la « connotation répugnante » des passages dans lesquels Service se penche sur les origines juives de Trotsky, ainsi que le recours de Service à « des formules utilisées par la propagande stalinienne » afin de discréditer Trotsky3,4. Suhrkamp a annoncé en février 2012 qu'il poursuivrait la publication.
Ouvrages
Version originale
- The Bolshevik Party in Revolution, 1917-23, Macmillan, 1979.
- Lenin: A Political Life: The Strengths of Contradiction, Indiana University Press, 1985.
- The Russian Revolution, 1900-1927, Macmillan, 1986, rééd. 1992 et 1999.
- Lenin: A Political Life: Worlds in Collision, Indiana University Press, 1991.
- (éd.), Society and Politics in the Russian Revolution, Macmillan, 1992.
- Lenin: A Political Life: The Iron Ring, Indiana University Press, 1995.
- A History of Twentieth-Century Russia, Lane, 1997.
- avec Geoffrey A. Hosking (éd.), Russian Nationalism Past and Present, Palgrave Macmillan, 1998.
- A History of Modern Russia, from Nicholas II to Putin, Penguin, 1998, rééd. 2003.
- avec Geoffrey A. Hosking (éd.), Reinterpreting Russia, Arnold Publishers, 1999.
- Lenin: A Biography, Harvard University Press, 2000, rééd. Belknap Press, 2002.
- Russia: The Birth of a Modern Nation, Macmillan, 2002.
- Stalin: A Biography, Macmillan, 2004.
- Comrades. Communism : a World History, Macmillan, 2007.
- Trotsky: a biography, Belknap press, 2009.
Version française
duminică, 19 septembrie 2021
Amok
Amok, Stefan Zweig
Ecrit par Patryck Froissart 29.01.14 dans La Une Livres, Critiques, Les Livres, Folio (Gallimard), Langue allemande, Nouvelles
Amok, septembre 2013, traduit de l’allemand Bernard Lortholary, présentation et notes de Jean-Pierre Lefebvre, 140 p. 3,50 €
Ecrivain(s): Stefan Zweig Edition: Folio (Gallimard)
Confession d’un désespéré, cette nouvelle de Zweig parue en 1922 plonge le lecteur dans les sombres abysses du remords et de la folie.
Le temps de l’écriture s’inscrit dans le contexte trouble et perturbé des grands bouleversements sociaux et moraux de l’immédiate après-guerre, du rayonnement des thèses de Freud, dont Zweig est un admirateur inconditionnel et avec qui il échangera pendant plus de trente ans une copieuse correspondance, et des questions posées par le surréalisme sur la relation entre le rêve et la réalité, entre le conscient et l’inconscient dans la création littéraire.
Le temps du récit est antérieur, son dénouement étant précisément daté de mars 1912.
L’espace du récit cadre est clos. Nous sommes sur un paquebot, l’Oceania, où le narrateur premier, homodiégétique selon la classification de Genette, reçoit la confession, découpée comme un feuilleton, racontée en plusieurs nuits dans l’obscurité déserte et fantomatique du pont d’avant, du narrateur second, un médecin colonial en fuite tentant de regagner clandestinement son Europe natale.
L’auteur brosse une succession de tableaux en noir et noir.
Les ténèbres enveloppant les moments du récit sont en étroite relation avec le trouble et l’obscurité qui règnent dans l’âme du narrateur second, et avec la mélancolie (au sens étymologique d’humeur noire) qui caractérise l’état d’esprit dans lequel se trouve le narrateur premier lui-même.
L’atmosphère créée page après page rappelle celle, oppressante, angoissante, des nouvelles de Poe, des récits de Maupassant se situant dans la série du Horla, de certains textes de Mérimée, de Tieck, de Théophile Gautier…
L’art des maîtres du genre consiste, on le sait, à conter dans un total climat d’étrangeté des événements réels ou présentés comme tels.
Les apparitions spectrales, fugitives, partielles, en ombre chinoise ou dans l’éclair éphémère de l’allumage d’une cigarette, du personnage narrant sa propre histoire, l’auto-analyse qu’il fait de son état, se comparant à l’amok, cet individu que saisit, dans la culture malaise, une folie furieuse irrépressible qui le conduit à massacrer tous ceux qu’il rencontre jusqu’à être lui-même terrassé et assassiné, le doute qu’exprime pour sa part le voyageur narrataire et narrateur sur la santé mentale de son interlocuteur, entretiennent la permanente ambiguïté qui fait la particularité du genre, en lequel l’histoire chemine sur un fil ténu, fragile, périlleux que tend l’auteur entre réalité et irréalité, sens et non-sens, raison et folie.
Où est la limite entre imagination et description objective du réel, entre l’imaginaire, le rêve, les faits… ? Les surréalistes s’emparent, à l’époque de la parution d’Amok, de cette interrogation.
Qui ne s’est jamais demandé : « Est-ce que je rêve ? »
Le narrateur premier a l’impression de s’y perdre lui-même :
« J’aurais cru à un rêve ou à un phénomène dû à mon imagination, si je n’avais entre-temps remarqué parmi les passagers un homme portant un crêpe de deuil… ».
Le délire mental du médecin prend sa source dans un dilemme qu’il est incapable de surmonter après avoir refusé de pratiquer un avortement demandé par une Européenne de la haute société coloniale qui repousse avec un mépris cinglant la proposition qu’il lui soumet de se donner à lui préalablement à l’opération. A la passion délirante qu’il éprouve à partir de ce jour pour cette femme hautaine se mêlent le remords engendré par la certitude déchirante de sa culpabilité dans la mort atroce de cette dernière qui n’a en définitive d’autre recours, fatal, que de s’adresser à une faiseuse d’anges locale, et les questions en rapport avec le devoir moral, déontologique, du médecin lié envers soi-même et à l’endroit de la société par le serment d’Hippocrate qu’il a prononcé.
« Je sentais […] en moi un devoir… oui, ce fameux devoir de porter assistance, ce maudit devoir… l’idée me rendait fou qu’elle pût encore avoir besoin de moi… ».
De même que l’amok lancé dans sa course furieuse est incapable de s’arrêter pour reprendre haleine, de même le lecteur qui se jette dans la lecture de cette nouvelle ne reprend son souffle qu’après en avoir lu la dernière ligne.
On appréciera la qualité de la préface et la pertinence des annotations de Jean-Pierre Lefebvre, titulaire de la chaire de littérature allemande à l’Ecole Normale Supérieure, directeur de l’édition complète de Zweig en Pléiade, la richesse du dossier biographique et bibliographique que contient cette édition, et l’excellence de la traduction de Bernard Lortholary.
Patryck Froissart
Amok ou le Fou de Malaisie / Stean Zweig
lecture, lecture adulte, roman, nouvelle, classiques10.09.2016 Par manou
Précisément, au dessus de ma tête, la constellation magique de la Croix du Sud était fixée dans l'infini, avec d'éblouissants clous de diamant, et il semblait qu'elle se déplaçât, alors que c'était le navire seul qui créait le mouvement, lui qui, se balançant doucement, la poitrine haletante, montant et descendant comme un gigantesque nageur, se frayait son chemin au gré des sombres vagues.
Roman traduit par Alzir Hella et Olivier Bournac.
Préface de Romain Rolland.
Postface de Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent.
Ce court roman, souvent considéré comme une nouvelle, nous fait entrer dans l'univers psychologique des personnes atteintes de ce que nos voisins allemands appellent "l'amok".
Il s'agit d'un brusque accès de folie constaté pour la première fois chez les Malais par les Hollandais qui est une sorte de "rage incontrôlable", entraînant un comportement violent et meurtrier proche du délire. L'amok prend fin par la mise à mort de l'individu.
...un Malais, n'importe quel brave homme plein de douceur, est en train de boire paisiblement son breuvage...il est là, apathiquement assis, indifférent et sans énergie...tout comme j'étais assis dans ma chambre...et soudain il bondit, saisit son poignard et se précipite dans la rue...il court tout droit devant lui, toujours devant lui, sans savoir où...Ce qui passe sur son chemin, homme ou animal, il l'abat avec son kris [poignard malais], et l'odeur du sang le rend encore plus violent...
Sans doute connaissez-vous déjà l'histoire ?
Le narrateur a réussi à obtenir in-extremis, une cabine sur le paquebot "Oceania" pour rentrer chez lui en Europe.
En pleine nuit, alors qu'il profite de la tranquillité du pont, il reçoit les confidences d'un homme étrange, un médecin viennois en grande détresse, l'obscurité et la solitude des deux hommes favorisant les confidences, tout en préservant leur anonymat.
Alors qu'il pratiquait dans un petit village d'Indonésie, le médecin lui confie qu'il a vu un jour arriver chez lui, une dame anglaise toute drapée dans sa dignité, pour lui demander un grand service : celui de se faire avorter alors que son mari était sur le point de rentrer et qu'elle ne l'avait pas vu depuis de longs mois. Il s'agissait pour elle d'une question d'honneur et même de vie ou de mort.
J'étais là-bas dans mon trou maudit, j'étais là-bas comme l'araignée dans son filet, immobile depuis déjà des mois. C'était précisément après la saison des pluies. Pendant des semaines et des semaines, l'eau avait clapoté sur mon toit. Personne n'était venu ; aucun européen ; chaque jour, j'avais passé le temps assis chez moi, avec mes femmes jaunes et mon bon whisky. J'étais alors au plus bas ; j'étais complètement malade de l'Europe ;
Pris d'un cynisme certain, le médecin tombe sous le charme de cette femme rigide, froide et surtout hautaine, incapable de s'abaisser à un peu d'humanité, et qui ne se résout pas à lui demander cette intervention comme un service qu'il lui rendrait, lui qui a tant besoin d'un peu de chaleur humaine.
Sous prétexte d'avoir prêté serment, il n'accepte pas.
Mais, dès le départ de la dame qui avait tout prévu sauf son refus, le remords l'envahit et ne cesse de le torturer.
Il sait bien que la jeune femme devant son refus, n'aura d'autre recours que de visiter une faiseuse d'anges. Alors devenu fou, il la poursuit jusqu'en ville et n'aura de cesse que de la retrouver...
Cette passion vire à l'obsession, jusqu'à entraîner chez lui un comportement proche de l'amok.
Dans cette longue nouvelle d'une incroyable intensité, Stefan Zweig découpe l'histoire en épisodes (en plusieurs nuits), nous faisant entrer peu à peu dans l'ambiance psychologique, le suspense et la touffeur oppressante du récit...
Encore une fois, il réussit comme personne à décrire les sentiments humains tels qu'ils sont.
Peu à peu le narrateur comprend comment ce médecin, dont on ne saura jamais ni l'âge, ni le nom, a pu ainsi basculer dans la folie, au bout de sept années de solitude passées en Malaisie à ne soigner que les gens du village, loin de toute civilisation.
La fin est sublime et c'est tout simplement du grand art !
Un classique que je vous invite à revisiter si vous le désirez...
Amok ou le Fou de Malaisie
Par manou
Précisément, au dessus de ma tête, la constellation magique de la Croix du Sud était fixée dans l'infini, avec d'éblouissants clous de diamant, et il semblait qu'elle se déplaçât, alors que c'était le navire seul qui créait le mouvement, lui qui, se balançant doucement, la poitrine haletante, montant et descendant comme un gigantesque nageur, se frayait son chemin au gré des sombres vagues.
Roman traduit par Alzir Hella et Olivier Bournac.
Préface de Romain Rolland.
Postface de Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent.
Ce court roman, souvent considéré comme une nouvelle, nous fait entrer dans l'univers psychologique des personnes atteintes de ce que nos voisins allemands appellent "l'amok".
Il s'agit d'un brusque accès de folie constaté pour la première fois chez les Malais par les Hollandais qui est une sorte de "rage incontrôlable", entraînant un comportement violent et meurtrier proche du délire. L'amok prend fin par la mise à mort de l'individu.
...un Malais, n'importe quel brave homme plein de douceur, est en train de boire paisiblement son breuvage...il est là, apathiquement assis, indifférent et sans énergie...tout comme j'étais assis dans ma chambre...et soudain il bondit, saisit son poignard et se précipite dans la rue...il court tout droit devant lui, toujours devant lui, sans savoir où...Ce qui passe sur son chemin, homme ou animal, il l'abat avec son kris [poignard malais], et l'odeur du sang le rend encore plus violent...
Sans doute connaissez-vous déjà l'histoire ?
Le narrateur a réussi à obtenir in-extremis, une cabine sur le paquebot "Oceania" pour rentrer chez lui en Europe.
En pleine nuit, alors qu'il profite de la tranquillité du pont, il reçoit les confidences d'un homme étrange, un médecin viennois en grande détresse, l'obscurité et la solitude des deux hommes favorisant les confidences, tout en préservant leur anonymat.
Alors qu'il pratiquait dans un petit village d'Indonésie, le médecin lui confie qu'il a vu un jour arriver chez lui, une dame anglaise toute drapée dans sa dignité, pour lui demander un grand service : celui de se faire avorter alors que son mari était sur le point de rentrer et qu'elle ne l'avait pas vu depuis de longs mois. Il s'agissait pour elle d'une question d'honneur et même de vie ou de mort.
J'étais là-bas dans mon trou maudit, j'étais là-bas comme l'araignée dans son filet, immobile depuis déjà des mois. C'était précisément après la saison des pluies. Pendant des semaines et des semaines, l'eau avait clapoté sur mon toit. Personne n'était venu ; aucun européen ; chaque jour, j'avais passé le temps assis chez moi, avec mes femmes jaunes et mon bon whisky. J'étais alors au plus bas ; j'étais complètement malade de l'Europe ;
Pris d'un cynisme certain, le médecin tombe sous le charme de cette femme rigide, froide et surtout hautaine, incapable de s'abaisser à un peu d'humanité, et qui ne se résout pas à lui demander cette intervention comme un service qu'il lui rendrait, lui qui a tant besoin d'un peu de chaleur humaine.
Sous prétexte d'avoir prêté serment, il n'accepte pas.
Mais, dès le départ de la dame qui avait tout prévu sauf son refus, le remords l'envahit et ne cesse de le torturer.
Il sait bien que la jeune femme devant son refus, n'aura d'autre recours que de visiter une faiseuse d'anges. Alors devenu fou, il la poursuit jusqu'en ville et n'aura de cesse que de la retrouver...
Cette passion vire à l'obsession, jusqu'à entraîner chez lui un comportement proche de l'amok.
Dans cette longue nouvelle d'une incroyable intensité, Stefan Zweig découpe l'histoire en épisodes (en plusieurs nuits), nous faisant entrer peu à peu dans l'ambiance psychologique, le suspense et la touffeur oppressante du récit...
Encore une fois, il réussit comme personne à décrire les sentiments humains tels qu'ils sont.
Peu à peu le narrateur comprend comment ce médecin, dont on ne saura jamais ni l'âge, ni le nom, a pu ainsi basculer dans la folie, au bout de sept années de solitude passées en Malaisie à ne soigner que les gens du village, loin de toute civilisation.
La fin est sublime et c'est tout simplement du grand art !
Un classique que je vous invite à revisiter si vous le désirez...
Amok ou le Fou de Malaisie | |
Amok, édition de 1942 | |
Publication | |
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Auteur | Stefan Zweig |
Titre d'origine | Der Amokläufer |
Langue | Allemand |
Parution | 1922 |
Traduction française | |
Parution française | voir « Bibliographie » |
Amok ou le Fou de Malaisie (titre original en allemand : Der Amokläufer) est un roman court de l'écrivain autrichien Stefan Zweig publié en 1922.
Le narrateur fait la rencontre sur un bateau d'un ancien médecin allemand parti pratiquer en Indonésie. Ce dernier est sous l'effet d'une vive et soudaine obsession pour une femme, sentiment qu'il rapproche de l'amok.
Résumé
Le narrateur se retrouve sur un bateau pour revenir en Europe. Ayant une cabine très inconfortable et bruyante, une nuit il décide d’aller faire un tour sur le bateau. Ce soir-là, il rencontre un inconnu sur le pont qui lui demande de ne dire à personne qu’on l’a vu ici. Intrigué par ce personnage, le narrateur décide d’y retourner le lendemain soir. L’inconnu offre au narrateur un verre et lui demande s’il peut lui raconter son histoire. Entre minuit et trois heures du matin, l’inconnu va raconter son histoire, ponctuée par les coups de l’horloge.
Après avoir tout perdu en Europe un médecin (l’inconnu) décide de partir en mission en Malaisie. Là-bas, il vit retiré de la civilisation et ne voit que des « Jaunes » tout au long de la journée. Cela faisait plus de six ans qu’il était en mission sur place, quand, un jour, une femme blanche voilée vint jusqu’à son domicile pour lui demander assistance. Cette femme, malgré son voile, lui paraît arrogante, hautaine et ne souhaite pas que le médecin l’ausculte ou même lui pose des questions. Un jeu se met en place entre les deux protagonistes pour savoir lequel prendra le pouvoir sur l’autre et lequel perdra la face en premier.
Finalement, bien qu’il connaisse la raison de la venue de cette femme, il lui dit que si elle veut de son aide il va falloir ôter ce voile et lui expliquer clairement ce qu’elle souhaite. On comprend qu’elle est enceinte et qu’elle souhaite qu’il l’avorte avant le retour de son mari, et que cet acte reste secret. En échange, elle lui propose la somme de 12 000 florins. Mais le médecin veut plus car il met sa carrière en danger ainsi que sa mission. Il veut qu’elle lui parle normalement, comme un humain et non comme une commerciale qui souhaite réaliser une transaction, il exige qu’elle le supplie de l’aider. Mais elle refuse et part en claquant la porte. Là, le médecin reste cloué sur place à essayer de comprendre ce qui vient de se passer.
Quand il réagit et s’aperçoit qu’il a fait une erreur en n’apportant pas assistance à cette femme, il se lance dans une longue course effrénée, l’Amok, tel un écervelé, pour tenter de rencontrer la femme à nouveau et lui proposer son aide. Mais celle-ci refuse à plusieurs reprises de lui parler. En dernier recours il lui fait porter une longue lettre dans laquelle il présente des excuses et lui propose à nouveau de réaliser son souhait, ce à quoi elle répond « trop tard ! ». Mais avant de repartir chez lui, le boy de la femme vient le chercher, il a besoin de lui de façon urgente. Désespérée, elle a fait appel à une vieille chinoise pour l’avorter qui n’était en fait qu’une personne sans expérience qui l'a complètement mutilée dans un lieu crasseux.
À son arrivée, il ne peut plus rien faire, elle perd trop de sang. La femme ordonne au médecin et au boy de la ramener chez elle. Ils restent toute la nuit auprès d’elle jusqu’à son dernier souffle. Mais, dans un ultime effort, elle exige du docteur que la raison de sa mort et sa grossesse restent secretes. Pour tenir sa parole, le médecin ment à son amant et au médecin de famille, mais il doit fuir car son stratagème n'a pas trompé les soupçons de l'administration, ni du mari.
L'inconnu termine son récit en révélant que le cercueil se trouve à bord du bateau et que l'Amok finit toujours par être abattu. Plus tard, en apprenant la nouvelle d'un incident au moment du débarquement, le narrateur comprend que le médecin s'est jeté à la mer avec le corps, tant pour empêcher l'autopsie que le mari voulait faire réaliser en Europe que pour l’emporter avec lui à tout jamais.
Première traduction française
La nouvelle (Der Amokläufer) a été publiée en allemand dans un recueil avec pour sous-titre Novellen einer Leidenschaft (Nouvelles d'une passion) qui comprenait quatre autres nouvelles : Die Frau und die Landschaft (La Femme et le Paysage), Phantastische Nacht (La Nuit fantastique), Brief einer Unbekannten (Lettre d'une inconnue) et Die Mondscheingasse (La Ruelle au clair de lune).
Dans le premier recueil français (1927), seule la Lettre d'une inconnue a été conservée avec Amok et une autre nouvelle, Les Yeux du frère éternel, tirée d'un autre recueil, a été rajoutée. Romain Rolland, auteur de la préface de ce recueil, regrette ce choix éditorial, Les Yeux du frère éternel n'appartenant pas, selon lui, au même registre.
Les éditions postérieures, à partir de 1930, ont corrigé cette organisation, remplaçant Les Yeux du frère éternel par La Ruelle au clair de lune.
Adaptations
Au cinéma
- 1927 : Amok de Koté Mardjanichvili
- 1934 : Amok de Fedor Ozep
- 1944 : Amok de Antonio Momplet
- 1982 : Amok de Souheil Ben Barka
- 1992 : Amok de Joël Farges
Au théâtre
- 1988 : Nocturnes, d'après Amok ou le Fou de Malaisie et Lettre d'une inconnue de Stefan Zweig, adaptation Jacques Weber, mise en scène Jacques Weber et Serge Marzolff
- 2016 : Amok, de Stefan Zweig, adaptation Alexis Moncorgé, mise en scène Caroline Darnay au Théâtre de Poche à Paris
- 2017: Amok, de Stefan Zweig, adaptation Frédérique Zesiger et Bernard Nagloo, mise en scène Frédérique Zesiger au Les Savoises à Genève
Après une lecture d'Amok, de Stefan Zweig
Stefan Zweig s’est donné la mort en 1942, à Pétropolis, au Brésil, où il s’était réfugié pour fuir l’Europe nazie. Dans sa dernière lettre, il fait état de l’épuisement de ses forces, de sa grande lassitude et de la solitude dans laquelle le contraint ce long exil dont il ne pressent pas de fin. Il est vrai que l’effondrement de la monarchie austro-hongroise en 1919 (cf les belles pages de Die Welt von gestern, consacrées au départ en exil de l’empereur Charles II, oeuvre dont le manuscrit a été remis à l’éditeur la veille du suicide) et l’avènement du nazisme en Europe avaient de quoi bouleverser plus d’un esprit sensible et clairvoyant.
La lecture d’Amok, après celles de Lettre d’une inconnue ou encore de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, m’invitent cependant à considérer les choses différemment. Il n'est pas improbable qu’un fin lettré comme l’était Zweig, juif et donc doublement héritier d’une tradition qui lui faisait un devoir de transmission et lui donnait la force de la permanence, ait trouvé en lui assez de ressources pour surmonter l’effroyable tragédie européenne. Il n'est pas improbable que le suicide de l'écrivain ne s'explique par d'autres raisons. En effet, Amok, la Lettre..., sont, parmi d'autres, des oeuvres d’une beauté noire (à rapprocher des Liaisons de Laclos ou du Moine de Lewis) lesquelles ne peuvent en aucun cas être de simples exercices de style. Elles furent écrite aux alentours de 1930, Zweig approche alors de la cinquantaine, il est en pleine possession de ses talents. Cependant, pour avoir écrit ces longues nouvelles noires, il faut en avoir vécu un peu de la substance, il faut avoir traversé la même noirceur, il faut avoir connu des femmes qui ont souffert de votre indifférence, de votre négligence, de votre...
Zweig appartenait à ce monde dont Arthur Schnitzler a mis en scène les travers et il n’est pas impossible que le personnage de George (in Vienne au crépuscule, der Weg ins Freie) ressemble à Zweig, esthète, dillettante, terriblement cruel. Si cela est vrai, il faut envisager que l’homme de soixante ans, réfugié à Pétropolis, ait été hanté par sa jeunesse flamboyante et ténébreuse et que, en l’absence de son monde viennois, à la fois disparu et lointain, les souvenirs de celle-ci l’aient dévasté jusqu’à l’anéantissement.
Le fin lettré que fut Zweig aura tenté de se racheter grâce à une oeuvre riche, féconde et éblouissante, avec laquelle il s’est entretenu plus longtemps qu’un autre homme dans son propre narcissisme. Celle-ci cependant n’en aura pas moins légué à la postérité l’un des témoignages les plus sensibles du Monde d’hier et tout le génie de Zweig réside peut-être dans ce savant mélange de complaisance et de contrition qui permet d’être dedans tout en ayant un surplomb.
A présent quelques mots à propos d’Amok ! Le décor de la nouvelle (de la novella) est non pas viennois ou italien mais oriental, malais. L’intrigue cependant est indubitablement tragique, antédiluvienne. Les forces titanesques sont déchaînées, en dépit de la bonne éducation des personnages qui n’en sont que les marionnettes impuissantes. Dans une colonie de l’extrême orient, une femme de haut rang vient consulter un médecin en toute discrétion et, sans jamais nommer la chose, lui demande un geste médical singulier : « Docteur, savez-vous ce que j’attends de vous, ou ne le savez-vous pas ?
– Je crois le savoir, mais il vaut mieux qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Vous voulez mettre fin à votre état... Vous voulez que je vous débarrasse de vos faiblesses, de vos nausées, en vous... en en supprimant la cause. Est-ce bien cela ?
– ...
– Savez vous que la loi me l’interdit ? »
Pourquoi avec choisi ce médecin et pas un autre ?« Je n’ai aucun embarras à vous le dire. Vous vivez retiré, vous ne me connaissez pas, vous êtes un bon médecin et - c’était la première fois qu’elle hésitait - vous ne resterez pas longtemps dans ce pays, surtout si vous pouvez retourner chez vous avec une somme importante. »
La femme est portée par une hybris folle et jamais ne consent à voir en lui autre chose qu’un artisan dont elle vient acheter la dextérité et le silence. Pour son malheur cependant, le médecin est blessé dans son orgueil : « Je savais qu’elle me haïssait parce qu’elle avait besoin de moi, et je la haïssais parce qu’elle ne voulait pas condescendre à l’imploration », et encore : « J’étais fou de voir qu’elle jouait à la lady et qu’elle négociait avec un sang-froid hautain une affaire où il s’agissait de vie ou de mort... Et puis... enfin on ne tombe pas enceinte en jouant au golf... Je savais... j’étais forcé de me rappeler que cette femme glacée, pleine d’orgueil et de froideur, s’était, dans les bras d’un homme, roulée dans un lit, nue comme une bête et peut-être râlant de plaisir... »
L’hybris saisit le médecin à son tour, il ne peut s’empêcher de vouloir humilier cette femme superbe, ce n’est pas son argent qu’il veut, c’est autre chose, mais elle refuse : « Plutôt périr ! », et dès lors les éléments de la tragédie sont réunis. Humiliée, la femme renonce et finit pas recourir à une faiseuse d’anges chinoise tandis que le médecin, terrassé par la honte et le remords, cherche à retrouver sa trace pour lui offrir gratuitement cette aide qu’elle voulut acheter à prix élevé. .
Le récit est confié, au cours d’une traversée maritime, par le médecin lui-même au narrateur qui n’est autre que l’un des multiples avatars de Zweig : la tragédie est trop intense et violente pour être revécue. Elle est racontée avec la patience d’un rhapsode qui a mis un peu d’ordre dans le tumulte de la bataille. Elle apparaît aux multiples détours de l’aimable conversation de deux personnages, comme il était d’usage de le faire au café Grienstiedl, à la belle époque de Kraus et d’Altenberg, lorsque les murmures le disputaient au froissement des pages des journaux mis à disposition de visiteurs venus s’entretenir des signes avant-coureurs du prochain effondrement de l’empire.
Peut-on songer que Zweig jamais n’ait respiré le parfum mortifère d’une femme aux abois, de ces femmes qui hantaient les romans acides de Schnitzler et venaient confier la Némésis de leurs névroses aux bons soins du docteur Freud ?
Il est sans doute hasardeux d’interpréter le ressort de l’hybris des deux personnages. Zweig était un homme épris de lettres, d’éducation et de formes sensées « préserver de la barbarie » (cf Benjamin Constant). Jusqu’au bal, la femme conserve sa superbe tandis que le médecin a déjà perdu sa dignité. Sans doute espère-t-elle encore. Elle tient par-dessus tout aux apparences (au point d’accepter de mourir pour elles) mais ne dédaigne pas les multiples plaisirs que met à disposition une coterie élégante, fortunée et sans doute oisive. Et parmi eux, le plus subtil qui soit, l’érotisme qui arrache les êtres à leurs conformismes et les met en face de leurs responsabilités humaines. Le médecin quant à lui, d’avoir trahi le serment d’Hippocrate, se voit cruellement châtié et mis au banc de la société des hommes. La transgression aurait-elle un prix ? Est-ce cela que Zweig cherche à nous dire ? Auquel cas sa vision du monde est paradoxalement teintée d’un profond christianisme.
Comme tant d’autres novellas de Zweig, Amok est peut-être une fable morale livrée par un conteur talentueux, mezzo voce, comme il sied à un prédicateur lorsqu’il évoque les obscurités de la passion ou reçoit la confession d’un pénitent.